En 2023, l'actif net de l'appareil syndical de l'United Auto Workers a augmenté, malgré la baisse du nombre de membres du syndicat à son niveau le plus bas depuis la faillite de General Motors et Chrysler en 2009.

Le rapport financier (LM-2) récemment publié par le ministère américain du Travail montre que, malgré la mise en place d'une direction «réformatrice» dirigée par le président Shawn Fain, les salaires du personnel et des dirigeants, ainsi que les dépenses globales de l'UAW, ont fortement augmenté par rapport à 2022.

Fain a prétendu que l'UAW tournait une nouvelle page et mettait fin à son programme de collaboration syndicat-patronat qui durait depuis des décennies. Cependant, ses documents financiers montrent que l'appareil continue à recevoir une part importante de ses revenus par le biais de subventions directes ou indirectes de la part des constructeurs automobiles, ainsi que des revenus provenant de ses investissements à Wall Street. Ces sources de revenus ont permis au syndicat d'élargir son personnel hautement rémunéré et excessif, ainsi que de financer une série de conférences de dirigeants somptueuses dans des lieux exclusifs, dont les membres de la base sont largement exclus.

Les cotisations des membres de l'UAW collectées par Solidarity House sont investies dans une série de fonds communs de placement détenant des actions américaines et mondiales, y compris des entreprises dont la main-d'œuvre est supposément représentée par l'UAW. Les investissements de l'UAW comprennent des participations dans des fonds spéculatifs, connus pour imposer des coupes sombres aux travailleurs, tels que Bardin Hill Investment Partners, dont les opérations sont basées aux îles Caïmans, et Kohlberg Investors IX, pour n'en citer que deux.

Ainsi, l'appareil de l'UAW a directement profité de la hausse des marchés boursiers provoquée par l'assaut incessant et continu de Wall Street contre la position sociale de la classe ouvrière.

Alimentées par l'augmentation de la valeur de son énorme portefeuille d'actions, les dépenses nettes de l'UAW, moins les indemnités de grève, sont passées de 258 millions de dollars en 2022 à 318,4 millions de dollars en 2023. La rémunération du personnel du siège est passée de 52,57 millions de dollars en 2022 à 58,96 millions de dollars en 2023.

La raison de la conservation d'un tel magot gargantuesque serait apparemment de maintenir le fonds de grève de l'UAW. Cependant, l'UAW n'appelle pratiquement jamais à la grève et, lorsqu'elle le fait, elle tente de la limiter autant que possible. C'est ce qui s'est passé lors de la «grève debout» de l'année dernière, au cours de laquelle la grande majorité des travailleurs de l'automobile ont continué à travailler pendant toute la durée de la grève. Le fonds de grève est en réalité un moyen de soutenir les revenus de l'appareil syndical, et non une arme pour lutter contre les entreprises.

L'UAW n'a pas révélé le montant du fonds de grève. Ce montant n'est pas indiqué dans le LM-2, mais les années précédentes, l'appareil a révélé aux médias le montant qu'il contient. Ce n'est pas le cas cette année. Le WSWS a contacté l'UAW pour demander cette information, mais on lui a répondu qu'elle n'était pas accessible au public. Que cache l'appareil de l'UAW ?

La dépense la plus importante de l'UAW – 5 millions de dollars – a été engagée par Jenner & Block, l'un des cabinets d'avocats qui composent le «contrôleur de l’UAW» prétendument indépendant. Avec la recommandation et le soutien de l'UAW, Jenner & Block a été nommé par un tribunal dans le cadre d'un décret d'accord pour clore l'enquête fédérale sur la corruption de l'UAW.

Will Lehman, travailleur de base de Mack Trucks et socialiste, qui s'est présenté à la présidence de l'UAW contre Fain, a souligné le conflit d'intérêts flagrant que représente le fait que Jenner & Block, un cabinet d'avocats qui représente General Motors, soit impliqué dans le contrôle de l'UAW. Lehman a cité ce fait dans le cadre d'une plainte qu'il a déposée auprès du ministère du Travail concernant le refus du contrôleur de l'UAW de prendre en compte sa protestation contre le musellement systématique des votes lors de l'élection des dirigeants nationaux de l'UAW.

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Will Lehman (à gauche), employé de Mack Trucks, s'adresse aux travailleurs de Ford Kentucky Truck en août 2022.

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L'ensemble du processus électoral en 2022 a démontré le lien entre l'appareil de l'UAW, les entreprises et l'État. Avec le soutien de l'administration Biden, des tribunaux et du contrôleur, l'appareil de l'UAW s'est efforcé d’empêcher la participation électorale afin de s'assurer que l'élection aboutirait à la nomination de l'un des deux candidats de l'appareil bureaucratique lui-même.

Les autres faits contenus dans le dossier LM-2 sont les suivants :

• Des sommes importantes sont consacrées à des achats qui n'ont aucun rapport avec les intérêts des travailleurs. Il s'agit notamment de 599.859 dollars pour des «articles promotionnels» : parapluies, stylos, t-shirts, carnets de notes, sacs de sport, ponchos de pluie, etc.

• De nombreuses dépenses sont obscures. Par exemple, selon le rapport financier, 13.544 dollars ont été versés à Elite Snipe Gun and Rifle Detailing Services pour la formation au maniement des armes à feu. L'adresse de l'entreprise semble être le domicile d'une personne à Detroit. Elite Snipe Gun ne figure dans aucune liste d'entreprises, y compris dans le registre des entreprises de l'État du Michigan.

• Plus d'un million de dollars ont été dépensés pour des vols, dont 651.000 dollars pour la seule compagnie Delta Airlines. Un autre million de dollars a été consacré à la restauration, dont 467.599 dollars pour un contrat de banquet.

• Le personnel de l'UAW est truffé de parents de responsables actuels et anciens de l'UAW, dont l'ancien vice-président en disgrâce Norwood Jewell, qui a été condamné à une peine de prison pour son rôle dans la corruption de l'UAW.

L'intégration de la pseudo-gauche dans l’appareil bureaucratique

L'UAW a augmenté à la fois la taille de son appareil bureaucratique et son niveau de rémunération. Parmi les bénéficiaires figurent des individus liés à des tendances de pseudo-gauche telles que les Socialistes démocrates d’Amérique et Labor Notes. Ils ont été recrutés dans le cadre de la tentative de l'appareil de l'UAW de redorer le blason du syndicat en le présentant comme réactif et «réformé». Le but de cette manœuvre est de donner à l'administration Fain un coup de jeune en matière de relations publiques. Parmi les personnes qui sont venues grossir les rangs de l'UAW au cours de l'année écoulée, on peut citer :

• Donald «Chris» Brooks (172.591 dollars), membre des DSA et ancien rédacteur de Labor Notes, qui a conçu la stratégie bidon de «grève debout» de Fain.

• Brian Shepherd (131.522 dollars), membre des DSA qui dirige la campagne de syndicalisation de l'UAW.

• Jonah Furman (106.667 dollars), directeur de la communication de l'UAW. Il a été rédacteur pour Labor Notes et ancien organisateur de la campagne présidentielle de Bernie Sanders en 2020.

• Ben Dictor, avocat spécialisé dans le droit du travail et ancien directeur financier de Bernie Sanders. Son cabinet d'avocats Eisner & Dictor a reçu un total de 484.870 dollars de l'UAW en 2023.

• Brandon Mancilla, directeur de la région 9A (203.829 dollars), membre des DSA qui a supervisé la trahison des travailleurs diplômés de Harvard en 2021.

• Vail Kohnert-Yount (107.610 dollars), directrice adjointe de la région 9A, membre du Parti démocrate et diplômée de la faculté de droit de Harvard, qui a été nommée après avoir fait un don de 25.000 $ à la campagne électorale de Shawn Fain.

• Mike Miller (207.049 dollars), directeur de la région 6, diplômé de l'UCLA et associé de Brandon Mancilla. Il a supervisé l'isolement et la trahison des grèves des travailleurs universitaires sur la côte ouest, où il réside.

Dictor, Furman et Brooks ont récemment fait l'objet d'un article très favorable publié par le Wall Street Journal («Three Young Activists Who Never Worked in an Auto Factory Helped Deliver Huge Win for the UAW», 30 octobre 2023) vantant les contrats de trahison de 2023 chez les Trois Grands. Selon le Journal, l'un des principaux porte-parole de l'Amérique des affaires, les trois «ont bénéficié d'une tribune nationale au cours de l'une des années les plus actives en matière de grèves depuis près d'une génération. Il en a résulté une bataille plus âpre et plus tranchante dans les négociations collectives avec Detroit – et l'une des plus grandes victoires depuis des décennies».

En réalité, les conventions collectives négociées, loin d'être de grandes «victoires», n'ont eu qu'un impact minime sur les résultats des constructeurs automobiles. Elles ont préparé le terrain pour une réduction massive des effectifs, qui a déjà commencé, la direction s'efforçant de répercuter sur les travailleurs le coût énorme de la transition vers les véhicules électriques.

Le fait que le Journal, qui n'est pas connu pour ses sympathies à l'égard des travailleurs, parle en termes aussi élogieux des agents de pseudo-gauche indique le rôle important qu'ils jouent dans le renforcement de l'appareil de l'UAW, un soutien clé pour le Parti démocrate et le capitalisme américain dans son ensemble.

Le rapport financier de l'UAW indique que le syndicat a dépensé 14 millions de dollars en lobbying politique en 2023, mais en réalité, son rôle politique dans le soutien au Parti démocrate est bien plus important. Le personnel rémunéré de l'UAW consacre une grande partie de son temps à faire campagne pour les démocrates. Kohnert-Yount en est un bon exemple. Ses parents sont des donateurs aisés du Parti démocrate et elle a travaillé comme stagiaire à la Maison-Blanche d'Obama. Elle a également travaillé au ministère américain du Travail, nommée par Obama.

La plupart des membres de la pseudo-gauche intégrés à l'appareil de l'UAW sont issus de la classe moyenne supérieure. En termes de perspectives, de mode de vie et de revenus, ils sont très éloignés de la vie des travailleurs d’usine. Brooks est diplômé du programme «Union Leadership and Activism» de l'université du Massachusetts à Amherst, et Dictor est diplômé de la Cardozo School of Law et de l'université de Floride.

L'élévation de Fain à la présidence de l'UAW ne représentait pas une réforme de l'UAW, et encore moins la restauration du contrôle de la base. L'installation de Fain fait partie d'une opération menée par l'administration Biden et le Parti démocrate pour remodeler et consolider l'appareil profondément discrédité de l'UAW, et plus largement les syndicats américains dans leur ensemble, afin de restaurer leur capacité à étouffer l'opposition des ouvriers de l'automobile au programme d'austérité et de guerre mondiale de la classe dirigeante.

Les événements révèlent rapidement la fraude de la «réforme» de l'UAW. Quelques mois seulement après le prétendu accord national «historique» de 2023 sur l'automobile, les maigres gains présentés par Fain, tels que l'élimination des travailleurs temporaires et leur conversion à temps plein, ainsi qu'une transition «juste» vers les véhicules électriques, se révèlent frauduleux à mesure que les entreprises procèdent à des licenciements massifs.

Pour mener ce combat, les travailleurs de l'automobile doivent répondre à l'appel de Will Lehman et de l'Alliance ouvrière internationale des comités de base pour la construction et l'expansion d'un réseau de comités de base dans les usines automobiles et dans d'autres industries. L'objectif de ces comités n'est pas de gagner des postes dans l'appareil corrompu de l'UAW, mais de l'abolir et de redonner le pouvoir aux travailleurs de l’atelier.

(Article paru en anglais le 10 avril 2024)