Un artiste québécois critique de Glencore censuré alors que la multinationale continue d’empoisonner

Un groupe musical a été victime d’un acte de censure pour avoir accusé dans ses chansons la Fonderie Horne d’empoisonner les résidents de Rouyn-Noranda, ville située au nord du Québec, dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue.

Originaire de la région, le groupe de musique metal Guhn Twei a récemment été désinvité du festival Alienfest qui devait se tenir en juin à La Sarre, une autre ville d’Abitibi située à environ une heure de route de Rouyn-Noranda. Quelques jours plus tard, le festival a été complètement annulé par ses organisateurs, dont un est employé et actionnaire de Métal Marquis, une entreprise de la région dont le principal client est la Fonderie Horne.

Propriété de la multinationale Glencore, la Fonderie Horne est pointée du doigt depuis longtemps par des habitants de Rouyn-Noranda pour son rejet excédentaire de produits toxiques. Ces critiques ont refait surface dans la toute la province en 2022, après la révélation de nouvelles statistiques démontrant que l’entreprise empoisonne la population de Rouyn-Noranda par ses rejets d’arsenic et d’autres métaux lourds, au vu et au su de tout l’establishment politique.

La Fonderie Horne de Rouyn-Noranda (source: wikipedia) [Photo by Clarius29 / CC BY-SA 4.0]

Le chanteur de Guhn Twei, Simon Turcotte, a travaillé à la Fonderie Horne pour un sous-traitant jusqu’à ce qu’il reçoive, à 26 ans, un diagnostic de sarcome, une tumeur maligne des tissus mous qui a ultimement mené à l’amputation de sa jambe droite.

Turcotte a déclaré lors d’une entrevue donnée au quotidien La Presse en janvier 2023 qu’il ne pouvait pas prouver de lien direct entre son emploi à la Fonderie Horne et son «cancer extrêmement rare, super agressif qu’un jeune homme de 26 ans pogne de nulle part, quand il est en pleine forme», mais qu’«on sait les risques pour la santé liés à la Fonderie Horne».

De nouvelles preuves de ces risques pour la santé ont été dévoilées en juin 2022 lorsque les médias ont révélé que le directeur national de la Santé publique du Québec d’alors, le Dr Horatio Arruda, aussi impliqué dans les politiques meurtrières du gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) en réponse à la pandémie de COVID-19, avait bloqué en 2019 la publication de données qui comparaient l’état de santé à Rouyn-Noranda avec le reste de la province.

Le document dissimulé identifiait les émissions d’arsenic et d’autres métaux lourds de la fonderie Horne comme responsables des graves problèmes de santé qui affligent la population de Rouyn-Noranda à des taux beaucoup plus élevés que dans le reste de la province.

Les statistiques montraient un nombre anormalement élevé de naissances avec faible poids, une espérance de vie nettement moindre que la moyenne québécoise, 50% plus de cas de la maladie pulmonaire obstructive chronique et un taux de cancer du poumon de 140,3 cas par 100.000 habitants entre 2013 et 2017 (comparativement à 107,7 pour l’ensemble de la province).

La musique de Simon Turcotte est engagée et critique Glencore ouvertement. Le premier album de Guhn Twei paru en 2023 porte le titre de Glencorruption et les chansons, aux noms évocateurs comme Tueurs d’enfants, Marée noire, Parasites et Eau de fonte parlent de la Fonderie Horne. Dans la première chanson de l’album, qui porte aussi le titre de Glencorruption, Turcotte chante notamment que les dirigeants de la multinationale sont des «bandits à cravate», des «capitalistes parasitaires», des «tueurs d'enfants» et des «violeurs de planète».

Le chanteur est aussi très actif sur les réseaux sociaux où il cherche à informer la population de Rouyn-Noranda des dangers pour la santé des émanations de la fonderie, pointant notamment les milliards de profits de la multinationale qui refuse d’apporter les modifications nécessaires pour réduire les émissions d’arsenic et d’autres métaux toxiques.

Après avoir été programmé à l’affiche du Alienfest 2024 avec son groupe, Turcotte a reçu le 26 mars un courriel des organisateurs lui annonçant que Guhn Twei ne pourrait pas performer en raison de ses critiques à l’égard de Glencore: «Nous [Métal Marquis] sommes un des fournisseurs de la fonderie et c’est exactement là que ça devient sensible».

Après que Turcotte eut révélé publiquement l’acte de censure dont lui et son groupe ont été victimes, le festival Alienfest a été carrément annulé, les organisateurs évoquant des «conflits d’intérêts» entre les commanditaires et des participants.

Tant les organisateurs que Glencore se sont empressés de déclarer que l’entreprise propriétaire de la Fonderie Horne n’était pas intervenue pour forcer le retrait de Guhn Twei ou l’annulation du festival. Comme Turcotte l’a souligné à juste titre, peu importe qu’il y ait eu des pressions ou non de la part de l’entreprise, il est significatif que la seule peur de lui déplaire suffise pour censurer un artiste et annuler un festival de musique.

L’évènement démontre l’énorme contrôle que les grandes entreprises et leurs riches actionnaires exercent sur tous les aspects de la vie – social, économique, politique, artistique – sous le système capitaliste.

Dans un monde où l’art est dévalué, abaissé au niveau de simple marchandise soumise aux impératifs du profit et où le financement public des artistes est nettement insuffisant, les riches peuvent s’attitrer le rôle de mécènes et utiliser leur argent pour réprimer et censurer les artistes critiques.

La censure ne vise pas seulement ceux qui dénoncent les pratiques d’affaires nocives, mais aussi ceux qui critiquent la politique étrangère impérialiste et les fauteurs de guerre. Le chanteur Roger Waters, par exemple, s’est attiré les foudres des grands médias et des politiciens capitalistes pour sa défense véhémente du peuple palestinien et sa condamnation de l’assaut génocidaire mené par l’État israélien contre la population de Gaza.

En 2005, la Fonderie Horne avait cessé de financer le Centre d’exposition de Rouyn-Noranda après la présentation de l’exposition Mine de rien qui critiquait l’entreprise pour ses effets nocifs sur la santé et sur l’environnement.

Dans une région éloignée comme l’Abitibi, où l’activité économique est moins diversifiée, une entreprise géante comme Glencore – présente dans 35 pays et ayant réalisé des profits de plus de 13 milliards de dollars l’année dernière – a une influence encore plus démesurée et indue.

Mais cette réalité n’est pas limitée à l’Abitibi. L’influence de Glencore s’étend à tout l’est du Canada et est renforcée par l’appui inconditionnel que l’entreprise a reçu des gouvernements provinciaux successifs du Parti québécois, du Parti libéral du Québec et, depuis 2018, de la CAQ.

Afin de protéger les gargantuesques profits de Glencore, les gouvernements se sont rendus complices de l’empoisonnement de la population en refusant d’appliquer les lois environnementales à l’entreprise ou en les modifiant pour l’avantager.

Alors que la norme québécoise pour les émissions d’arsenic est de 3 nanogrammes par mètre cube (ng/m³) depuis 2011, le gouvernement du Québec a permis à la fonderie Horne d’émettre 200 ng/m³ d’arsenic jusqu’en 2021, avant de réduire cette permission spéciale à 100 ng/m³ en 2021.

En réponse à l’indignation suscitée par les révélations de juin 2022, le gouvernement Legault a annoncé que le seuil des émissions journalières d'arsenic devrait diminuer progressivement pour atteindre 15 ng/m3 en 2027 – ce qui représente encore 5 fois plus que le plafond provincial.

Ces seuils, qui ne constituent ni plus ni moins qu’une permission de continuer d’empoisonner la population de Rouyn-Noranda, ont été imposés dans une nouvelle autorisation ministérielle accordée à Glencore pour la Fonderie Horne en mars 2023 qui visait à calmer la grogne populaire.

Il a ensuite été révélé que Glencore a obtenu de nombreux assouplissements à l’autorisation ministérielle en menaçant de fermer la fonderie. L’entreprise, qui a réalisé des profits records et versé 7,1 milliards de dollars à ses actionnaires en 2022, a également reçu un crédit d’impôt de 150 millions de dollars dans le budget de mars 2023 du gouvernement du Québec pour la réalisation des améliorations nécessaires à la réduction de ses émissions.

La concentration moyenne d’arsenic dans l’air émis par la Fonderie Horne a été de 45,2 ng/m⁠3 dans l’année suivant la nouvelle autorisation ministérielle, quinze fois la norme québécoise. Par ailleurs, 33 mesures quotidiennes dépassaient largement cette moyenne, dont un pic record de 517,4 ng/m⁠3.

Toujours avec la bénédiction du gouvernement du Québec, Glencore pollue également l’air de Limoilou, un quartier ouvrier de la Ville de Québec. Depuis plusieurs années, les résidents de Limoilou se plaignent que l’air qu’ils respirent est fortement pollué en raison de la poussière produite par les opérations de transbordement de nickel que Glencore mène au port de Québec.

Une étude menée par la Direction régionale de la santé publique de la Capitale-Nationale de 2017 à 2021 a révélé que les résidents de Limoilou respirent quatre fois plus de nickel que ceux des autres secteurs de la ville. Le ministère de l’Environnement du Québec a mesuré 50 dépassements de la norme quotidienne de nickel dans l’air de Limoilou entre 2018 et 2022. Selon les experts, le type de particules de nickel présent dans l’air à Limoilou est cancérigène.

En avril 2022, le gouvernement du Québec a mis en place un programme de surveillance de la présence de nickel dans l’air afin de «rassurer» les citoyens. Simultanément, il a accédé aux demandes de Glencore et rehaussé la limite quotidienne autorisée de nickel dans l’air, la faisant passer de 14 ng/m3 à 70 ng/m3 à compter du 28 avril 2022.

Malgré cette hausse du seuil, le ministère de l’Environnement a annoncé en mars dernier qu’il a enregistré trois dépassements importants de la norme quotidienne de nickel dans l’air entre décembre 2022 et janvier 2024. Le nombre de dépassements qu’il y aurait eu en vertu de l’ancienne norme n’a pas été dévoilé. Le gouvernement a aussi révélé que chacun des dépassements avait été associé à une opération de Glencore au port de Québec. Les médias ont depuis confirmé au moins trois autres dépassements.

Le gouvernement du Québec a émis des avis de non-conformité à Glencore lui demandant de fournir «d’ici les prochaines semaines» un plan de mesures correctives. Le ministre de l’Environnement Benoit Charette a refusé d’imposer une amende à l’entreprise et s’est félicité du nombre peu élevé de dépassements de la norme de nickel dans l’air, sans mentionner que ce nombre est uniquement dû au rehaussement du seuil par son gouvernement.

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