À l’occasion du 60e anniversaire du coup d’État militaire de 1964: construisez la section brésilienne du CIQI !

Le 31 mars marquait le 60e anniversaire du coup d’État militaire de 1964 soutenu par l’impérialisme américain au Brésil, qui a ouvert une période de 21 années de dictature sanglante. Ce 60e anniversaire de la tristement célèbre prise du pouvoir par les militaires dirigés par le maréchal Castello Branco se déroule dans des conditions politiques sans précédent depuis l'instauration d'un régime civil dans le pays, il y a quatre décennies.

Des chars occupant le centre de Rio de Janeiro le 2 avril 1964 [Photo: Arquivo Nacional]

Le 8 janvier 2023, la préparation d'un coup d'État par l'ancien président Jair Bolsonaro et une faction du commandement militaire a culminé avec l’assaut fasciste mené contre les sièges du pouvoir dans la capitale Brasilia. La profonde implication des forces armées dans cette tentative de coup d’État est chaque jour plus démontrée.

Deux semaines seulement avant l'anniversaire du coup d'État de 1964, les médias ont rapporté le témoignage sous serment devant la police fédérale de l'ex-commandant de l'armée de l'air, le général Carlos Baptista Júnior. Il admettait que le commandement de l’armée avait participé à plusieurs réunions avec Bolsonaro après sa défaite électorale, discutant ouvertement des projets visant à empêcher le gouvernement élu d'entrer en fonction et à établir un régime dictatorial au Brésil.

Dans ces conditions politiques graves, le gouvernement du Parti des Travailleurs (PT) de Luiz Inácio Lula da Silva a fait tout son possible pour nier l’importance historique et politique du coup d'État de 1964 et pour supprimer la mémoire des victimes de la dictature militaire. Son objectif non dissimulé est de dissocier l’image des forces armées du régime dictatorial sanglant qui a duré de 1964 jusqu’au milieu des années 1980 et des complots de coup d’État actuels qui se poursuivent quel que soit le sort personnel de Bolsonaro.

Il y a dix ans, la présidente brésilienne de l'époque, Dilma Rousseff, également du PT, s'exprimait à la télévision nationale, insistant sur la mémoire du coup d'État et ordonnant qu’aux victimes soient présentés des excuses au nom de l'État brésilien. C’était l'apogée de la «marée rose» en Amérique latine, de gouvernements bourgeois dits «progressistes» au pouvoir dirigés par des partis associés à l'opposition politique aux dictatures de la région des années 1960-1980.

Cette année, en revanche, les principaux gros titres liés à cet anniversaire historique se sont concentrés sur les ordres de Lula interdisant toute mention officielle des événements d'il y a 60 ans.

Dans un entretien avec le journaliste Kennedy Alencar le 27 février, le président brésilien a déclaré que le coup d'État faisait « partie de l'histoire». Les généraux actuels, a-t-il expliqué, « n’étaient même pas nés» en 1964. Pour Lula, il n'y avait plus rien à discuter, car le peuple avait « déjà conquis le droit de démocratiser ce pays» et devait «savoir faire avancer l'histoire, [au lieu de] toujours s’y attarder, de toujours s’y attarder ».

Quelques jours plus tard, le gouvernement du PT a rendu public l'annulation des cérémonies de mémoire du coup d'État et l'annulation du projet de création d'un musée de «mémoire et démocratie», proposé par l'ancien ministre de la Justice Flávio Dino.

Les déclarations de Lula sont remarquables à la lumière des événements récents. La nervosité du gouvernement bourgeois du PT sur cette question est directement proportionnelle à la pertinence renouvelée des leçons du coup d'État de 1964 pour la classe ouvrière brésilienne et internationale.

La réémergence de l'armée et des forces politiques associées au régime de 1964 dans la politique officielle brésilienne discrédite les promesses réactionnaires des fondateurs du PT selon lesquelles, avec la chute de la junte militaire en 1985, il était possible d'établir une démocratie stable et un État social au Brésil sans briser le capitalisme ni l'État bourgeois.

Le même processus politique fondamental se développe dans toute l’Amérique latine. Dans les pays où les partis démoralisés de la «marée rose» sont revenus au pouvoir ces dernières années, ils ont mené les attaques capitalistes les plus sévères et ont ouvert la voie à l’accession des forces fascistes au pouvoir politique.

Cela a été notoirement le cas au Pérou, où les attaques anti-ouvrières du président Pedro Castillo ont préparé sa chute et l'imposition du régime d'État policier de Dina Boluarte, et en Argentine, où la révolte contre le gouvernement d'austérité péroniste a donné lieu à l'élection du président fasciste Javier Milei.

La démoralisation rapide de la coalition de la pseudo-gauche de Gabriel Boric et des staliniens au Chili, élus en promettant des réformes pour apaiser l'explosion de l'opposition de masse contre les inégalités sociales, n'a fait que renforcer le Parti républicain fasciste et les partisans du dictateur Augusto Pinochet lors des récentes élections constitutionnelles.

Le gouvernement Lula, dont le principal étendard électoral était l’unification des partis discrédités de l’establishment bourgeois contre Bolsonaro, décrit comme une aberration politique au sein d’un régime démocratique par ailleurs sain, est incapable d’expliquer comment le Brésil s’est retrouvé face à une nouvelle menace dictatoriale.

Le coup d’État militaire du 31 mars 1964 au Brésil

Le renversement du président João Goulart, du Parti travailliste brésilien (PTB), fut le point culminant de la crise prolongée de la soi-disant Quatrième République, ayant sa source dans les profondes contradictions du capitalisme brésilien d'après-guerre.

João Goulart (à gauche) et Leonel Brizola [Photo: Arquivo Nacional]

Deux ans après le début d'un mandat mouvementé, Goulart, qui se présentait comme un réformateur nationaliste du capitalisme, avait mis en place de timides contrôles sur les transferts de bénéfices à l'étranger par les sociétés multinationales et avait promis une série de soi-disant «réformes de base», parmi lesquelles une réforme agraire et un programme de « réforme urbaine» pour permettre un accès de masse au logement. Goulart mena également une politique étrangère de «non-alignement», s’opposant aux sanctions américaines contre Cuba et promettant de légaliser le Parti communiste brésilien.

Le coup d'État de 1964 consolidait une dictature militaire fasciste au Brésil après une série d'interventions autoritaires de l'armée dans la politique du pays. Le régime présidentiel d'après-guerre lui-même avait été instauré en 1945 par un coup d'État militaire qui avait renversé le régime dictatorial Estado Novo de Getúlio Vargas et fait élire président le général anticommuniste Eurico Gaspar Dutra.

En 1955, l'armée tenta d'empêcher l'entrée en fonction du gouvernement de Juscelino Kubitschek, où Goulart fut élu pour la première fois vice-président, au milieu de la crise déclenchée par le suicide de Vargas. En 1961, une deuxième tentative de coup d'État militaire eut lieu après la démission du président Jânio Quadros. Goulart, de nouveau élu vice-président, était en mission diplomatique en Chine et n'a prêté serment qu'après avoir accepté un système semi-présidentiel qui l'a privé de ses pouvoirs. À son retour au Brésil, les militaires rebelles ont tenté d'abattre l'avion de Goulart alors qu'il pénétrait dans l'espace aérien national.

Les pleins pouvoirs présidentiels ont été rétablis par plébiscite en 1962, ravivant les complots de coup d'État. Les nationalistes menés par Goulart ont ouvert la voie au prochain coup d'État militaire en entretenant des illusions sur le soutien de l’armée au gouvernement et sur la « doctrine démocratique» de la politique étrangère de l'impérialisme américain. Rien de plus éloigné de la vérité que tout cela.

Washington, déterminé à empêcher d'autres pays d'Amérique latine de suivre la voie du régime nationaliste petit-bourgeois radical de Fidel Castro à Cuba, qui répondit au blocus américain en s'alignant sur l'URSS, planifiait systématiquement une intervention politique au Brésil depuis au moins 1961, sous le gouvernement Kennedy.

En 1964, le gouvernement de Lyndon Johnson lança «l'Opération Brother Sam», envoyant une force navale sur la côte brésilienne et rassemblant des fournitures militaires pour soutenir les troupes putschistes au Brésil qui, en coordination avec la CIA, s'emparèrent de Rio de Janeiro et d'autres grandes villes dans la nuit du 31 mars. L’appareil militaire américain avait été mobilisé en prévision d’un «bain de sang» et d’une «guerre civile», prédits par l’ambassadeur américain dans le pays, Lincoln Gordon.

Le président João Goulart, qui croyait avoir la loyauté de suffisamment de généraux pour résister, a été évacué par un petit groupe d'officiers vers son État d'origine, le Rio Grande do Sul, puis vers l'Uruguay, où il a été assassiné par les services secrets brésiliens en 1976. Deux gouverneurs alliés de Goulart, sur 20, tentèrent d'organiser la résistance en s'appuyant sur la police, mais furent également contraints à l'exil.

Le coup d'État a été salué par la presse et l'opposition politique à Goulart, qui sera également purgée dans les années suivantes. Le régime établi sous la direction du maréchal Castelo Branco, un vétéran de l'intervention du Brésil dans la Seconde Guerre mondiale, promit des élections pour l'année suivante, avant de supprimer progressivement les libertés démocratiques jusqu'à leur abolition complète avec la tristement célèbre loi institutionnelle numéro 5 (AI-5) imposée en mai 1968.

Les travailleurs combatifs, les dirigeants paysans et les jeunes radicalisés ont été massivement persécutés, torturés et assassinés par le régime de terreur soutenu par la CIA au cours des décennies suivantes. Le régime dictatorial brésilien a également jeté les bases d’une intervention américaine dans toute l’Amérique latine en organisant des coups d’État militaires et en exportant son système de répression et de torture en Bolivie, au Chili, en Uruguay, en Argentine et au Pérou.

Ni imprévu ni inévitable

Dans son essence politique, le coup d’État militaire de 1964 au Brésil était une confirmation par la négative de la théorie de la révolution permanente de Léon Trotsky, qui démontrait l’incapacité de la bourgeoisie des pays capitalistes arriérés à jouer un quelconque rôle historique progressiste à l’époque de l’impérialisme.

La bourgeoisie nationale de ces pays, qui émerge sur la scène politique déjà confrontée à l’opposition sociale de la classe ouvrière, ne peut pas affronter de manière conséquente l’aristocratie terrienne et l’impérialisme, mais s’appuie directement sur leurs services contre-révolutionnaires. L'achèvement des tâches démocratiques inachevées, comme la réforme agraire promise par Goulart, nécessite le lancement de mesures socialistes et la prise du pouvoir politique par la classe ouvrière.

Ce programme, élaboré par Trotsky 60 ans avant le coup d'État de 1964, avait été confirmé de manière décisive au cours de la Révolution russe de 1917. Ses lois avaient également été confirmées de manière négative au cours des décennies suivantes par les défaites catastrophiques orchestrées par la bureaucratie stalinienne, basées sur l’imposition de la théorie menchevique de la révolution «en deux étapes».

Les modestes réformes sociales et politiques mises en œuvre par la bourgeoisie brésilienne entre 1945 et 1964 étaient le produit d’un ensemble de conditions particulières générées par la stabilisation du capitalisme mondial d’après-guerre. Sur la base du potentiel encore existant de l'économie capitaliste américaine et, surtout, du désarmement criminel des soulèvements révolutionnaires de la classe ouvrière par la bureaucratie stalinienne, en particulier en Europe, la bourgeoisie impérialiste a pu rétablir sa domination politique.

Pendant une brève période, l’afflux d’investissements étrangers et l’exploitation des relations diplomatiques avec l’URSS pour conclure des marchés avec l’impérialisme ont permis à la bourgeoisie brésilienne de nourrir l’illusion d’un développement économique national indépendant.

Ces conditions, temporaires par nature, ne modifiaient pas les contradictions fondamentales du capitalisme impérialiste diagnostiquées lors de la fondation de la Quatrième Internationale, et qui étaient en train d’engendrer une nouvelle vague de révolution mondiale.

Au Brésil, les années d'après-guerre ont été témoins d’une extension massive de la classe ouvrière industrielle et de ses affrontements croissants avec le système capitaliste et l'appareil syndical pro-patronat légué par l'Estado Novo de Vargas.

La tâche politique décisive était de construire un parti trotskyste révolutionnaire qui lutterait pour l’indépendance politique de la classe ouvrière brésilienne vis-à-vis de la bourgeoisie et de ses agents, et la préparerait à la prise du pouvoir politique. Cela exigeait en premier lieu une lutte sans compromis contre l’influence politique du stalinisme, représenté par le Parti communiste brésilien (PCB).

Le stalinisme désarme la classe ouvrière brésilienne

Au milieu de l’agitation politique au sein de la population brésilienne à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le PCB, toujours illégal et dont les dirigeants étaient emprisonnés, travailla systématiquement pour empêcher l'opposition massive à la dictature de Vargas de menacer l'intégrité de l'État bourgeois.

Annonçant le cadre politique qui sous-tendrait les actions contre-révolutionnaires du PCB au cours des décennies suivantes, le leader historique du parti, Luís Carlos Prestes, déclarait dans une interview emblématique en 1944 :

Après la terrible et longue nuit fasciste et tant d'années de guerre, de douleur et de misère, les peuples veulent la paix et pour le prolétariat le plus avancé et le plus conscient, pour les communistes en un mot, ce qu'il faut, c'est la consolidation définitive des conquêtes démocratiques sous un régime républicain, progressiste et populaire.

Une telle république, si elle doit s'établir sans affrontements ni luttes majeures, dans le cadre de l'ordre et du droit, ne peut en aucun cas être une république soviétique, c'est-à-dire socialiste, mais une république capitaliste, issue de l'action commune de toutes les classes sociales, démocratiques et progressistes, depuis le prolétariat jusqu'à la grande bourgeoisie nationale, à la seule exception de ses éléments les plus réactionnaires, numériquement insignifiants.

Expliquant sa perspective, basée sur la doctrine stalinienne de la «coexistence pacifique» avec l’impérialisme, le PCB écrivait, également en 1944 :

En fait, l’élément positif de la période d’après-guerre réside dans les principes de collaboration et de solidarité internationales établis à Téhéran par Churchill, Roosevelt et Staline, qui ont créé des possibilités pour chaque peuple de se développer pacifiquement.

L’année suivante, le PCB fut déclaré légal et ses dirigeants furent amnistiés. Sur la base du prestige acquis par l’État ouvrier soviétique avec la défaite militaire du nazisme et de la crise des partis bourgeois brésiliens face à une classe ouvrière renaissante, le PCB s'est soudainement transformé en parti de masse et Prestes, récemment libéré, fut élu avec le plus grand nombre de voix de tous les sénateurs du pays.

Mais les illusions criminelles entretenues par les staliniens sur le caractère progressiste de la bourgeoisie nationale et de l’impérialisme et sur la renaissance d’une nouvelle ère démocratique se sont rapidement heurtées à la réalité. Le gouvernement Dutra, s’alignant sur Washington, interdit le PCB en 1947 et rompit les relations avec l’URSS.

Au lieu de voir l’impérialisme permettre le «développement pacifique» de «chaque peuple », particulièrement en Amérique latine, on a vu se confirmer la prédiction du « Manifeste de la Quatrième Internationale sur la guerre impérialiste et la révolution prolétarienne» de 1940: que l’armement monstrueux de l’impérialisme américain préparait le remplacement de la politique du «bon voisinage» par une domination de fer sur l’hémisphère occidental.

Malgré un changement politique du PCB qui commença à dénoncer l’impérialisme américain et ses agents locaux, les staliniens conservèrent pleinement leur orientation vers la bourgeoisie nationale et leur détermination à empêcher la classe ouvrière brésilienne de prendre la voie de la révolution socialiste. Leurs futurs dissidents, comme le Parti communiste du Brésil (PcdoB) qui a rompu avec le PCB en 1962 pour s'orienter vers le maoïsme et la guérilla paysanne, devaient rester également fidèles à sa doctrine en faillite des «deux étapes».

Manifestation ouvrière à Rio de Janeiro en 1963 [Photo: Arquivo Nacional]

À la veille du coup d’État de 1964, le PCB défendait les orientations réactionnaires de sa tristement célèbre Déclaration de mars 1958, qui annonçait une nouvelle phase de développement économique, politique et social du capitalisme brésilien, menée par «des forces nationalistes, progressistes et démocratiques croissantes» en conflit avec « l’impérialisme américain et les entreguistas» [bradeurs] qui le soutiennent ».

Le corollaire de cette politique, qui a conduit à l’écrasement de la classe ouvrière brésilienne, a été la promotion de l’armée comme force anti-impérialiste et démocratique. En 1961, au milieu des tentatives visant à empêcher l'investiture de Jango, le PCB déclara que le «groupe réactionnaire putschiste» était «poussé à l'isolement par le puissant mouvement de défense de la légalité démocratique qui, face à la répression fasciste [...] bénéficie d’un soutien croissant de la part de secteurs importants des forces armées.»

En janvier 1964, alors que l’armée préparait son coup d’État sanglant, Prestes fit une déclaration qui résumait la capitulation criminelle des staliniens face à la bourgeoisie :

Les forces armées du Brésil présentent des caractéristiques très particulières, très différentes de celles des autres pays d’Amérique latine. L’une des questions spécifiques de la révolution brésilienne est le caractère démocratique, la tradition démocratique des forces armées, en particulier de l’armée.

Neuf ans plus tard, les homologues staliniens chiliens de Prestes feraient des affirmations douteuses similaires sur les caractéristiques démocratiques uniques de l'armée chilienne – «le peuple en uniforme» – avec les mêmes conséquences désastreuses.

Les renégats du trotskysme sabotent la construction de la direction révolutionnaire

Il y avait un immense potentiel pour construire un parti trotskyste au sein de la classe ouvrière brésilienne, qui aurait pu empêcher la trahison des directions staliniennes et nationalistes bourgeoises et armer les travailleurs contre la réaction fasciste par les méthodes de la révolution socialiste.

Depuis les années 1920, pendant les années de l’Opposition internationale de gauche, le mouvement trotskyste jouissait d’un grand attrait politique au Brésil, en particulier parmi la classe ouvrière et les étudiants de São Paulo, la région la plus industrialisée du pays.

Mais malgré les conditions objectives favorables, la construction d’une section de la Quatrième Internationale au Brésil a été systématiquement minée par l’action des tendances liquidatrices petites-bourgeoises qui exprimaient les puissantes pressions de la stabilisation d’après-guerre sur l’avant-garde révolutionnaire internationale.

En 1940, le chef fondateur de l’Opposition de gauche brésilienne, Mario Pedrosa, rompit avec la Quatrième Internationale et rejoignit l’opposition petite-bourgeoise dirigée par Max Shachtman et James Burnham dans le Socialist Workers Party (SWP) américain. Pedrosa a semé une immense confusion politique au Brésil, utilisant son prestige d’ancien leader du mouvement trotskyste pour populariser les théories anti-marxistes assimilant le stalinisme au fascisme et pour soutenir différentes factions réactionnaires et pro-impérialistes de la bourgeoisie brésilienne au nom de la lutte pour la «démocratie ».

Malgré la capitulation politique de Pedrosa, le Parti Socialiste Révolutionnaire (PSR) a continué la lutte pour construire une direction révolutionnaire dans la classe ouvrière brésilienne basée sur la Quatrième Internationale pendant les dures années de la Seconde Guerre mondiale. Manifestation ignoble mais représentative de la détresse des staliniens face à l'influence du trotskysme au cours de cette période, le célèbre romancier et membre du PCB Jorge Amado écrivit:

[Les] trotskystes, dissociant le problème national du problème international, prêchaient la violence, le coup d'État, ignoraient la guerre, luttaient contre l'unité nationale qui était le mot d'ordre du Parti. Ils ont divisé de nombreux honnêtes gens, les entraînant dans les mouvements de «résistance»…

Le centre, le cœur même de toute cette pourriture, de cette misérable collusion contre le peuple brésilien, se trouvait à São Paulo, où [...] est né un prestige trotskyste qui a souillé le milieu littéraire et étudiant, qui a alarmé le prolétariat. La bataille de São Paulo fut décisive pour le Parti.

Le leader du mouvement trotskyste au Brésil à l'époque était Hermínio Sacchetta, qui succomba dans les années d'après-guerre aux mêmes pressions de démoralisation politique de la petite bourgeoisie qui avaient précipité la rupture de Pedrosa d’avec le trotskysme. Dans les années 1950, Sacchetta a ouvertement désavoué le bolchevisme et a provoqué la dissolution du PSR.

Bien qu'il n'ait jamais clarifié les raisons de sa rupture, les proches collaborateurs de Sacchetta ont rapporté qu'il avait été profondément désenchanté après avoir assisté au Troisième Congrès de la Quatrième Internationale en 1951, au cours duquel Michel Pablo présenta sa ligne liquidatrice qui réhabilitait la bureaucratie stalinienne en tant que force révolutionnaire et prêchait la dissolution des partis trotskystes dans le «mouvement de masse» sous sa forme existante dans chaque pays.

Cette attaque frontale menée contre les perspectives fondamentales de la Quatrième Internationale a été combattue par les partisans du trotskysme orthodoxe qui ont mené une guerre politique contre le révisionnisme pabliste, consolidée par la fondation du Comité international de la Quatrième Internationale en 1953.

Sacchetta en revanche, comme l'indiquent certaines informations, considérait les thèses de Pablo comme le résultat décevant mais inévitable du développement du trotskysme. Sa capitulation a ouvert la voie à l'ultra-pabliste latino-américain Juan Posadas qui créa le soi-disant Parti révolutionnaire ouvrier trotskyste (POR-T) dans le vide laissé par le PSR et le présenta frauduleusement comme le représentant du trotskysme au Brésil.

Le POR-T s'est construit à partir de 1954 en défendant «l'entrisme total» au sein du PCB dans le but de constituer une faction «de gauche» de la bureaucratie stalinienne. Après une décennie, les pablistes abandonnèrent cette politique fallacieuse pour défendre, en 1963, une forme encore plus dégradante de dissolution dans le mouvement travailliste de Leonel Brizola, qualifiée par Posadas d'«entrisme intérieur», c'est-à-dire agissant comme de simples conseillers auprès de sa direction bourgeoise.

La lutte contre le révisionnisme pabliste, qui s'est avérée être une priorité absolue pour établir l'indépendance politique de la classe ouvrière au Brésil, a été considérablement compromise par la trahison du SWP et des sections latino-américaines du Comité international dirigées par l'Argentin Nahuel Moreno. Reprenant l’analyse pabliste selon laquelle la Révolution cubaine avait prouvé qu’une révolution socialiste pouvait être menée en l’absence d’un parti marxiste et sans la mobilisation de la classe ouvrière, ils ont réunifié leurs partis avec le Secrétariat international pabliste en 1963.

Dans ses efforts pour liquider le CIQI et détruire le trotskysme en tant que tendance politique distincte, le leader du SWP Joseph Hansen entreprit une tournée journalistique de quatre mois en Amérique du Sud entre 1962 et 1963. Dans le but de prouver que «l’exemple cubain» se répandait à travers le continent, en faisant le nouvel épicentre de la révolution mondiale, Hansen s'est rendu dans le nord-est du Brésil pour interviewer le leader de la Liga Camponesas (Ligues paysannes), Francisco Julião, membre du Parti Socialiste Brésilien (PSB).

Saluant les perspectives réactionnaires et anti-marxistes des Ligues paysannes, Hansen écrivit dans un article publié le 15 janvier dans The Militant: «Ce que cherchent les Ligues, c'est d'élever le mouvement des camponesos [sic] à un niveau politique qui permette de donner à ce secteur de la population la représentation politique qui lui revient de droit.»

Présentant le petit-bourgeois réformiste Julião comme le leader incontesté du mouvement socialiste au Brésil, il a conclu: «Notre meilleure façon de répondre et de les aider dans leurs combats est d’intensifier notre propre lutte pour le socialisme. Pour y arriver, l’idéal serait d’avoir quelques Julião nord-américains chez nous. »

Le rôle politique criminel joué par Hansen et le SWP est clairement révélé par le contraste entre cette interview louangeuse et l'éditorial du numéro précédent du Militant.

Alors qu’il déclarait avoir été accueilli à son arrivée à Sao Paulo par une «grève générale illimitée» des travailleurs dans «la région la plus industrialisée d'Amérique latine», le leader du SWP n'a jamais évoqué la nécessité ni la capacité du mouvement trotskyste de lutter pour la direction du mouvement ouvrier et de l’armer contre la menace fasciste évidente. La révélation ultérieure du CIQI qu’Hansen était un agent infiltré de l'État américain au sein du mouvement trotskyste explique les motivations directes de ses actions de sabotage politique.

Mais la politique de Hansen faisait appel à des sentiments de classe précis qui trouvèrent un soutien parmi de larges couches de la petite bourgeoisie et donnèrent la force à la réaction pabliste de saper la capacité de la Quatrième Internationale à résoudre la crise de la direction prolétarienne au cours des décennies suivantes.

Durant les années de répression brutale du régime militaire, des centaines de jeunes et de travailleurs au Brésil ont été torturés et assassinés alors qu'ils luttaient pour ce qu'ils croyaient être le véritable trotskysme.

Mario Pedrosa derrière Lula au rassemblement du PT [Photo: PT]

Le rôle destructeur du pablisme a été pleinement révélé avec l'explosion des grèves ouvrières massives à la fin des années 1970 qui ont fait tomber la dictature brésilienne. Avec la démoralisation absolue du PCB, qui avait servi de principal instrument pour contenir l'opposition ouvrière dans la période précédente, la bourgeoisie brésilienne comptait sur les services contre-révolutionnaires des renégats du trotskysme.

De Mário Pedrosa au Secrétariat unifié pabliste, en passant par les courants moréniste et lambertiste, ils ont tous servi de sage-femmes politiques au Parti des travailleurs pro-capitaliste de Lula dans les années 1980, qui a permis la stabilisation du régime bourgeois au Brésil.

À l’occasion du 60e anniversaire du coup d’État de 1964, alors que le gouvernement Lula cherche à effacer le souvenir même de cette catastrophe politique, le Groupe pour l’égalité socialiste au Brésil appelle la classe ouvrière et la jeunesse à en étudier les cruciales leçons. Vous ne pouvez pas vous permettre d’être à nouveau trahis. La crise grandissante du capitalisme mondial, qui provoque l’effondrement de l’ordre bourgeois réactionnaire au Brésil, doit conduire à la victoire du socialisme international.

Cette fois-ci, une véritable direction révolutionnaire doit être construite à temps; cela signifie construire une section brésilienne du CIQI !

(Article paru en anglais le 7 avril 2024)

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