Le régime équatorien envahit l’ambassade du Mexique et y enlève l’ex-vice-président du pays

Le président mexicain Andrés Manuel López Obrador, a suspendu les relations diplomatiques avec l’Équateur après l’invasion de l’ambassade mexicaine dans la nuit de vendredi à samedi.

L’ancien vice-président équatorien, Jorge Glas, emmené à la prison de sécurité maximale de La Roca, à Guayaquil, le samedi 6 avril 2024 [Photo: Policía de Ecuador]

À 22 heures, une unité d’élite lourdement armée de la police et de l’armée a escaladé les murs du bâtiment diplomatique mexicain de Quito et en a défoncé les portes pour enlever l’ancien vice-président équatorien Jorge Glas, qui y avait obtenu l’asile. Le chef consulaire mexicain Roberto Canseco a déclaré avoir été frappé à la tête et a affirmé que la vie du personnel et celle de Jorge Glas avait été mise en danger.

Le gouvernement d’extrême droite du président Daniel Noboa a justifié l’opération en affirmant que Glas, qui avait été condamné dans deux affaires de corruption, risquait de s’enfuir après que le Mexique eut demandé un passage sûr pour le faire sortir du pays.

Un jour plus tôt, Noboa avait déclaré l’ambassadrice mexicaine Raquel Serur persona non grata et lui avait demandé de quitter le pays pour protester contre les insinuations de Lopez Obrador que Noboa était complice de l’assassinat du candidat à la présidence Fernando Villavicencio l’année dernière. Le président mexicain avait déclaré que Noboa n’avait été élu que grâce à ce crime.

L’annonce de l’envoi d’un avion militaire pour récupérer Serur a suscité de nombreuses spéculations sur le fait qu’il serait également utilisé pour faire sortir clandestinement Glas.

Après l’enlèvement, l’armée équatorienne a transporté Glas par avion jusqu’à la ville portuaire de Guayaquil et l’a immédiatement escorté jusqu’à la prison de haute sécurité de La Roca.

Jusqu’à présent, seuls deux précédents historiques d’incursions de l’État dans des ambassades en Amérique latine ont été rapportés dans les médias, tous deux sous des dictatures militaires.

En juin 1976, la police uruguayenne avait fait irruption dans l’ambassade du Venezuela et battu plusieurs fonctionnaires diplomatiques pour enlever Elena Quinteros, une institutrice de gauche qui avait sauté la clôture pour se cacher dans l’ambassade. Elle a ensuite été emmenée dans un centre de torture et exécutée. En réponse, le Venezuela a rompu ses relations diplomatiques jusqu’en 1984.

Vingt ans plus tôt, en juin 1956, la dictature militaire du lieutenant-général Eugenio Aramburu avait envoyé des hommes armés s’introduire dans l’ambassade d’Haïti et capturer sept opposants argentins qui fuyaient une répression brutale. Les pressions internationales avaient toutefois contraint le régime à restituer ces sept personnes à l’ambassade.

Le précédent le plus pertinent est cependant le retrait de l’asile politique accordé par l’Équateur au fondateur de WikiLeaks Julian Assange, en avril 2019, lorsque Quito a permis à la police britannique d’entrer dans son ambassade de Londres et d’enlever le journaliste, qui a depuis été emprisonné et risque à présent d’être extradé vers les États-Unis. Il existe désormais de nombreuses preuves que la CIA avait prévu d’enlever ou de tuer Assange à l’ambassade.

Que ce soit sous les Républicains ou les Démocrates, le gouvernement américain a été le principal sponsor du virage à droite de la classe dirigeante équatorienne, qui est passée de l’octroi de l’asile à Assange en 2012 à la renonciation à cet asile, et maintenant à l’enlèvement d’un ancien vice-président dans une ambassade étrangère à Quito.

Le traitement de Glas a été présenté comme faisant partie de la «guerre interne» lancée par Noboa ostensiblement contre les gangs depuis début janvier, lorsque le régime a déclaré un état d’exception pour déployer des troupes et suspendre les droits démocratiques dans le pays. Cet assaut a donné lieu à près de 15.000 détentions en trois mois et à de nombreux rapports de groupes de défense des droits de l’homme faisant état de tortures et d’exécutions extrajudiciaires.

Cette décision de laisser les forces armées se déchaîner contre les «terroristes» et de se passer de toute préoccupation pour les droits démocratiques et la légalité a eu pour principal soutien le gouvernement Biden, qui a ratifié un programme d’aide militaire de 200 millions de dollars et conclu des accords pour l’envoi de troupes américaines en Équateur. Washington a ensuite envoyé des délégations de haut niveau et des équipes de représentants des forces de l’ordre américaines pour participer directement aux opérations menées dans le cadre de l’état d’exception.

Noboa a non seulement été encouragé par ce soutien mais il a encore probablement reçu le feu vert et l’aide du gouvernement Biden pour son incursion dans l’ambassade du Mexique.

La seule protestation est venue du porte-parole du département d’État, Matthew Miller, qui a ‘‘tweeté’’ sur un ton mesuré: «Les États-Unis condamnent toute violation de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Nous encourageons nos partenaires, le Mexique et l’Équateur, à résoudre leurs différends dans le respect des normes internationales».

Samedi, le Commandement Sud des États-Unis a confirmé la participation de l’Équateur à un déploiement de la 4e Flotte, qui verra des officiers de 11 nations sillonner les côtes de l’Amérique latine pendant plusieurs mois à bord du porte-avions USS George Washington.

L’ensemble de l’establishment politique de l’Équateur et de tous les pays de la région – dont le gouvernement de López Obrador au Mexique – a suivi ce virage à droite, adopté des attaques similaires contre les droits démocratiques et accru le rôle politique de l’armée sous prétexte de combattre le crime organisé.

Le mois dernier, le gouvernement Noboa a été érigé en modèle de «sécurité» et s’est vu confier la présidence du Comité latino-américain de sécurité intérieure (CLASI), une initiative de l’Union européenne qui regroupe 14 pays d’Amérique latine, dont le Mexique, et qui est censée coordonner les opérations de lutte contre le crime organisé.

En Équateur, sous le drapeau de l’«unité nationale», chacun des partis du Parlement, les bureaucraties syndicales dirigées par les staliniens et les leaderships nationalistes indigènes, ont tous approuvé l’état d’exception. Le parti ‘Révolution citoyenne’ de Jorge Glas et de l’ex-président Rafael Correa, qui vit en exil, a attaqué à plusieurs reprises Noboa par la droite pour manque de fermeté face à l’augmentation de la violence liée aux gangs.

L’enlèvement opéré à l’ambassade du Mexique représente une escalade dans l’évolution de l’ensemble de la classe dirigeante équatorienne vers l’adoption de formes de gouvernement ouvertement dictatoriales, dont la cible ultime sont la classe ouvrière et les travailleurs ruraux.

Sous le poids des pressions économiques et géopolitiques qui ont leur source dans l’émergence d’un nouveau partage du monde, la seule réponse des bourgeoisies latino-américaines est d’intensifier leurs attaques contre les droits sociaux et démocratiques à la demande du capital financier mondial.

Dans le même temps, les conflits économiques et militaires déclenchés par la campagne menée par les États-Unis pour assurer leur hégémonie dans le monde conduisent à une rupture des relations internationales dans toute la région.

L’incursion violente dans l’ambassade mexicaine, qui équivaut à un acte de guerre, s’inscrit dans un contexte de crises diplomatiques et d’affrontements qui ont mis aux prises les gouvernements du Venezuela, du Mexique, du Brésil, de la Colombie, de l’Argentine, de l’Équateur et de la Guyane. Le Nicaragua a également rompu ses liens avec l’Équateur pour protester contre les événements de vendredi. Il y a moins d’un an, les troupes chiliennes et péruviennes s’affrontaient sur leur frontière à propos de tentatives pour chasser les migrants de leurs pays respectifs.

Le fait que les événements de Quito aient eu lieu la même semaine que le bombardement israélien de l’ambassade d’Iran, qui menace de transformer le génocide à Gaza en guerre plus large au Moyen-Orient, met en évidence la rapidité avec laquelle le capitalisme s’enfonce dans la guerre mondiale, la dictature et la criminalité pure et simple.

(Article paru en anglais le 8 avril 2024)

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