Marlon Brando aurait eu 100 ans ce mois-ci

«Toute ma vie, je me suis demandé pourquoi je devais faire quelque chose. Je méprisais l'autorité. Je lui résistais, je la trompais, je la dépassais, je faisais n'importe quoi plutôt que d'être traité comme un mouton.»

«Je suis très ému et motivé par les choses injustes qui se produisent. J'ai toujours détesté les gens qui piétinent les autres.»

— Marlon Brando

Le 3 avril a marqué les 100 ans de la naissance de l'acteur Marlon Brando à Omaha, dans le Nebraska. Il est décédé en juillet 2004.

Brando était un acteur de cinéma et de théâtre qui a connu à certains moments un immense succès populaire et financier, mais il était avant tout quelqu'un qui s'efforçait d'atteindre la vérité artistique et sociale dans tout ce qu'il faisait. Les conditions, en particulier dans le monde du cinéma américain d'après-guerre, n'étaient pas souvent favorables au niveau d'engagement qu'il exigeait de lui-même et des autres. Cela lui a valu beaucoup d'insultes et de calomnies, ainsi qu'une série de tragédies personnelles qui ont fini par le décevoir et l'épuiser. Il est vraiment tombé «sur les épines de la vie» et a saigné.

Dans l'une des cassettes audio que Brando a laissées au moment de sa mort, il explique : «Je voulais vraiment être impliqué dans le cinéma, afin de pouvoir le transformer en quelque chose de plus proche de la vérité. Et j'étais convaincu que je pouvais le faire». (Des extraits de ces bandes sont présentés dans le remarquable documentaire de 2015 de Stevan Riley, Listen To Me Marlon.)

Brando dans Un tramway nommé désir (1951)

Si Brando n'a pas réussi comme il l'aurait souhaité, s'il a même parfois commis de sérieux faux pas, ce n'est pas par manque de volonté. Personne dans la vie culturelle américaine de l'après-guerre n'était plus déterminé à changer les conditions qui prévalaient, ni ne s'est épuisé davantage dans cet effort. Sa vie et sa lutte confirment une fois de plus l'observation bien connue de Marx selon laquelle les êtres humains «font leur propre histoire, mais ils ne la font pas à leur guise ; ils ne la font pas dans des circonstances qu'ils ont eux-mêmes choisies».

Il est paradoxal que Brando ait été peut-être le meilleur acteur de son époque, ou de n'importe quelle époque, mais qu'il n'ait jamais joué dans un véritable chef-d'œuvre artistique. Les films pour lesquels il est peut-être le plus connu, réalisés par Elia Kazan, Un tramway nommé désir (1951) et Sur les quais... (1954), sont des œuvres intensément problématiques, d'un point de vue artistique et, dans le second cas, également d'un point de vue moral et politique.

Kazan a tristement dénoncé en avril 1952 ses anciens camarades du Parti communiste auprès de la Commission des activités anti-américaines de la Chambre des représentants (House Un-American Activities Committee – HUAC). Il a réalisé Sur les quais... pour élever l'informateur au rang de héros social. Le film raconte l'histoire d'un docker qui finit par accepter de témoigner devant une commission criminelle contre les dirigeants d'un syndicat local. Dans son autobiographie, Brando affirme de façon remarquable, mais sans doute sincère, que «je n'ai pas réalisé à l'époque [...] que Sur les quais... était en fait un argument métaphorique» de Kazan et du scénariste Budd Schulberg [également un informateur] «pour justifier le fait de balancer leurs amis».

Brando a également expliqué dans ses mémoires que lorsqu'on lui a montré la version achevée de Sur les quais..., «j'étais tellement déprimé par ma performance que je me suis levé et j'ai quitté la salle de projection. J'ai pensé que j'étais un énorme échec». À une autre occasion, il a expliqué : «J'étais tellement gêné, tellement déçu par ma performance». En fait, malgré son immense notoriété, la performance de Brando est excessive et, par moments, presque une caricature de la méthode Stanislavski. Malheureusement, Kazan a réussi à communiquer une part de son propre manque de principes, de son apitoiement sur lui-même et de son intense mauvaise foi à travers Brando et d'autres interprètes.

Le dernier Tango à Paris (1972) contient des moments intéressants où Brando révèle quelque chose sur sa propre vie, mais il s'agit d'une œuvre prétentieuse et douteuse dans l'ensemble. Il a joué dans deux films réalisés par Francis Ford Coppola, Le Parrain (1972) et Apocalypse Now (1979). Le premier comporte des éléments intrigants et directs, décrivant le crime organisé comme une division des grandes entreprises américaines. Brando considérait l'histoire comme étant «à propos de l'esprit d'entreprise, parce que la Mafia est le meilleur exemple de capitalistes que nous ayons» (cité dans la biographie de Stefan Kanfer, Somebody). Cependant, le film glorifie et idéalise les voyous de la Mafia, ce qui était également l'une des préoccupations de Brando avant le tournage. Son rôle dans Apocalypse Now, un film qui contient des images frappantes de la violence et de la folie militaires américaines pendant la guerre du Viêt Nam, est malheureusement le plus faible et le plus confus de l'œuvre.

Sur une autre des cassettes, l'acteur a ensuite commenté avec amertume,

Je n'ai pas fait de grands films. Un grand film, ça n'existe pas. Au royaume des aveugles, l'homme qui n'a qu'un œil est roi. Il n'y a pas d'artistes. Nous sommes des hommes d'affaires, des commerçants. Et il n'y a pas d'art. Les agents, les avocats, les publicitaires. [...] Ce ne sont que des conneries. L'argent, l'argent, l'argent. Si vous pensez qu'il s'agit d'autre chose, vous allez être blessé.

Marlon Brando et Christian Brando dans Listen to Me Marlon (2015)

Brando s'est engagé au mieux de ses capacités et de sa détermination dans le mouvement des droits civiques, l'opposition aux armes nucléaires et à la peine de mort, et la cause des Amérindiens. L'auteur James Baldwin a rappelé que Brando était «totalement non conventionnel et indépendant, un magnifique spécimen. La race ne signifiait vraiment rien pour lui – il méprisait tous ceux qui pratiquaient la discrimination de quelque manière que ce soit». L'acteur lui-même a déclaré : «Je me lève, non pas pour la race noire, mais pour la race humaine. Tous les hommes sont créés égaux.»

Notamment, lorsque Brando a reçu un Oscar pour Le Parrain en mars 1973, il a envoyé l'activiste autochtone Sacheen Littlefeather prendre sa place et refuser le prix en raison du «traitement réservé aujourd'hui aux Amérindiens par l'industrie cinématographique». À l'époque, quelque 200 Oglala Lakota et adeptes de l'American Indian Movement (AIM) occupaient Wounded Knee, dans le Dakota du Sud, sur la réserve indienne de Pine Ridge. En fait, Brando s'est surtout révélé à la fin des années 1960 comme un critique sévère de la société capitaliste américaine. Le FBI le surveillait depuis les années 1940.

Deux lettres adressées au Los Angeles Times en juillet 2004, au moment de sa mort, expriment quelque chose sur Brando en tant qu'être humain et personnalité sociale. Susanne Jonas, professeure en études latino-américaines, explique qu'en réponse à un article qu'elle avait écrit pour critiquer les actions des États-Unis au Guatemala, Brando «m'a contactée et a entamé une discussion d'une heure sur l'histoire des opérations américaines dans ce pays. Outré par l'entraînement militaire américain et les manuels de la CIA sur les tueries en Amérique centrale, il voulait comprendre comment il était possible de transformer des garçons américains normaux en tueurs et en tortionnaires à l'étranger».

La deuxième lettre du Times provient d'un certain Jon Dosa, producteur d'un talk-show télévisé de San Francisco en 1968. Deux dirigeants des Black Panthers, Bobby Seale et Eldridge Cleaver, avaient été invités à y participer. Brando les accompagnait. «Bien que sa nature recluse et son dédain de l'attention publique aient été bien établis à ce moment-là», écrit Dosa, «je l'ai approché pour lui demander de se joindre aux deux dissidents dans l'émission. Il a décliné l'invitation. Je lui ai dit : “Bien sûr, tu dois te rendre compte que si tu te présentes, tout le monde te regardera.” Sans hésiter, il a accepté. [...] L'émission a attiré l'attention de la presse et, bien sûr, tout le monde l'a regardée.»

Brando grandit dans une famille malheureuse. Son père, un vendeur, qui avait son propre passé de négligence familiale, «était dur», selon son fils. «Il se battait dans les bars. C'était un homme qui n'avait pas beaucoup d'amour en lui. Il restait loin de la maison, buvait et couchait dans tout le Midwest. Il avait l'habitude de me gifler, sans raison valable.»

L'acteur a décrit sa mère, qui était une actrice en herbe, comme «l'ivrogne de la ville. Elle a commencé à se dissoudre et à s'effilocher. Quand ma mère a disparu. Partie quelque part, nous ne savions pas où elle était. Je devais aller la chercher en prison. Aujourd'hui encore, ces souvenirs me remplissent de honte et de colère.»

À une occasion, Brando se souvient que «mon père frappait ma mère, j'ai monté les escaliers et je suis entré dans la pièce. J'avais tellement d'adrénaline que je l'ai regardé, je l'ai transpercé du regard et je lui ai dit : “Si tu la frappes encore, je vais te tuer.”»

Brando et sa sœur Jocelyn dans The Chase (1966)

Brando a été envoyé à l'école militaire pour en faire «un homme». Il a méprisé cette école. «C'était une punition cruelle et inhabituelle. L'esprit de l’armée n'a qu'un seul but : être aussi mécanique que possible. Fonctionner comme une machine humaine. L'individualité n'existait tout simplement pas. Je me sentais très seul.»

À 19 ans, il se rend à New York, où il est pris en charge par la célèbre professeure d'art dramatique Stella Adler, à qui Brando attribue la transformation de sa vie. «Je suis arrivé à New York», explique-t-il dans l'une de ses cassettes audio, «avec des chaussettes et un esprit troués. Je me souviens m'être saoulé, m'être allongé sur le trottoir et m'être endormi. Personne ne me dérangeait. J'ai toujours été quelqu'un qui avait une curiosité infinie pour les gens. J'aimais marcher dans la rue et regarder les visages».

Brando a apporté cette «curiosité infinie» à son jeu d'acteur. Il a électrisé le public dès ses premières représentations sur scène grâce à son naturel et à son honnêteté.

Ses prestations dans The Men (1950), A Streetcar Named Desire, Viva Zapata ! (1952), Julius Caesar (1953), The Wild One (1953) et On the Waterfront ont fait de lui une star du cinéma, une célébrité internationale, ce qui le mettait extrêmement mal à l'aise. Il refusait de parler de sa célébrité ou de son métier d'acteur avec qui que ce soit. Ses enfants apprendront plus tard que les questions sur ses performances ne faisaient que le mettre en colère.

Brando représentait quelque chose de significatif et d'inspirant pour une génération en quête d'une alternative à l'Amérique engourdissante de la guerre froide et d'Eisenhower. «C'était avant les années soixante», a-t-il déclaré. «Les gens étaient en quête de rébellion, et il se trouve que j'étais au bon endroit, au bon moment et dans le bon état d'esprit. En un sens, c'était ma propre histoire.»

Cependant, Brando se heurte rapidement à la réalité du Hollywood des années 1950. Dans le sillage de la liste noire anticommuniste (qui a dévoré les carrières du frère de son mentor Stella Adler, Luther, et de la propre sœur de Brando, Jocelyn, actrice et partisane de diverses causes de gauche), le réalisme intense des années 1940 est devenu quelque chose de dangereux et d'interdit. Au milieu et à la fin des années 1950, il se retrouve à jouer dans une série de films exagérés et généralement médiocres (Desirée, Guys and Dolls, The Teahouse of the August Moon, The Young Lions). À la fin de la décennie, Brando est devenu suffisamment mécontent pour créer sa propre société de production et produire, réaliser et jouer dans One-Eyed Jacks (1961), un western de vengeance qui comporte des moments passionnants.

Comme nous l'avons noté dans une nécrologie en 2004, les «opinions sociales radicales de Brando ont sans aucun doute influencé son mécontentement face au caractère de plus en plus conformiste des rôles qu'on lui proposait au cinéma. Après de vifs désaccords avec le réalisateur Lewis Milestone sur Les Révoltés du Bounty (1962), au cours desquels Milestone prétendait que Brando avait l'habitude de se mettre du coton dans les oreilles pour ne pas entendre les instructions du réalisateur, l'acteur avait acquis la réputation d’être “difficile”».

Burn! (1969)

Brando a déclaré sur l'une de ses cassettes que Les Révoltés du Bounty «a peut-être été ma pire expérience en matière de réalisation d'un film. Je ne veux plus jamais faire ce genre de film tant que je vivrai». Selon lui, certains réalisateurs «ne savent pas ce qu'est le processus. Ils ne savent pas à quel point il est délicat de créer une impression émotionnelle. Ils dissimulent leur sentiment d'inadéquation en se montrant très autoritaires, en donnant des ordres». Sur Les Révoltés, «il y a eu beaucoup de frictions, de confusion et de désespoir, de déception et de dégoût, il y a eu des bagarres».

Brando espère de meilleures choses avec Charlie Chaplin dans A Countess From Hong Kong (1967), mais l'expérience s'avère également insatisfaisante. Sorti la même année, Reflections in a Golden Eye, d'après Carson McCullers, sur un officier militaire homosexuel refoulé, est une autre «étude psychologique» vaseuse, un «Southern Gothic», mais au moins Brando et le réalisateur John Huston s’entendent bien.

Huston a déclaré plus tard au cinéaste français Bertrand Tavernier que

C'était un plaisir de travailler avec Brando. On m'avait dit qu'il était très difficile. Au contraire, il a été formidable. Il passait son temps à approfondir son personnage, à trouver des petites touches qui renforcent le sens du film. Il me faudrait des heures pour dire tout le bien que je pense de lui. Je pense que c'est le meilleur acteur avec qui j'ai travaillé.

Et Huston avait travaillé avec Humphrey Bogart, Walter Huston, Edward G. Robinson, Sterling Hayden, Jose Ferrer, John Garfield, Gregory Peck, Clark Gable, Montgomery Clift, Kirk Douglas et bien d'autres.

«Brando a un pouvoir exceptionnel», ajoute-t-il. «Il peut prendre un petit détail et le faire sien, l'intégrer comme s'il s'agissait d'une partie de lui-même.»

En 1969, il joue dans Burn! (Queimada), réalisé par Gillo Pontecorvo (La Bataille d'Alger), dans le rôle d'un agent provocateur britannique envoyé pour encourager une révolte d'esclaves sur une île des Caraïbes contre la domination portugaise. Un régime fantoche émerge, dépendant d'une puissante compagnie sucrière britannique, et plus tard, le personnage de Brando revient pour réprimer brutalement une seconde révolte. The Chase (1966), réalisé par Arthur Penn, est un autre des films les plus réussis de Brando.

Le Parrain (1972)

Les dernières décennies de la vie de Brando, au cours desquelles il est devenu obèse, ce qui fait partie de sa révolte contre sa propre image de charmeur, n'ont pas été heureuses. Mais elles ne le furent pas non plus pour le cinéma américain, ni pour la population américaine. Un désastre familial est venu s'ajouter à ses malheurs artistiques. En 1990, son fils tue par balle le petit ami de sa fille, après que celle-ci a affirmé à tort que ce dernier avait abusé d'elle. «La misère est arrivée dans ma maison», a-t-il déclaré avec douleur aux médias. La fille de Brando se suicidera quelques années plus tard.

Jusqu'au bout, il est resté un ennemi de la société américaine officielle. Il ne pouvait que dire à propos des pouvoirs en place : «Ils mentent. Les députés, les présidents, tous. Ils mentent quand ils sont seuls, ils mentent quand ils dorment.» On ne «voit plus de visages sans mensonges, sauf les morts. Ce sont eux les vrais assassins, les vrais meurtriers.»

Parlant des responsabilités des artistes, Brando a affirmé que tout «ce que nous faisons doit refléter l'atmosphère de nos vies. Nous vivons aujourd'hui dans un monde fou et meurtrier».

Dans l'une de ses cassettes, il a fait référence à

Shakespeare s'adressant à tous les artistes [dans le discours d'Hamlet aux acteurs] : Adaptez l'action au mot, le mot à l'action. [...] Refléter la nature ; montrer à la vertu son propre trait, au mépris sa propre image, et à l'âge et au corps même de l'époque sa forme et ses pressions.

La vie et la carrière de Brando comportent des éléments tragiques, mais il a donné l'exemple et fixé des normes élevées en matière de principes artistiques et moraux. Même nombre de ses erreurs sont fascinantes et éclairantes.

Compte tenu de la constance artistique et sociale de Brando, il ne semble pas inapproprié de conclure par le langage que Mary Shelley a utilisé à l'égard de son mari, le poète Shelley. Après sa mort, elle a évoqué «l'empressement et l'ardeur avec lesquels il était attaché à la cause du bonheur et de l'amélioration de l'humanité». Purifier «la vie de sa misère et de son mal était la passion dominante de son âme ; il y consacrait toutes les forces de son esprit». Quels que soient ses défauts, poursuit-elle, «ils devraient être excusés par ses semblables, puisqu'ils prouvent qu'il est humain».

(Article paru en anglais le 6 avril 2024)

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