Le président argentin Milei défend la junte militaire fasciste à l'occasion de l'anniversaire du coup d'État de 1976

Dimanche, Javier Milei est devenu le premier président argentin à marquer l'anniversaire du coup d'État militaire du 24 mars 1976 en justifiant le régime de terreur fasciste qui a suivi et en niant ses crimes sanglants.

Le président Javier Milei et l'ex-dictateur Jorge Rafael Videla [Photo by LLA and Albasmalko / CC BY 3.0]

Tôt le matin, Milei a publié une vidéo de style documentaire justifiant le coup d’État militaire soutenu par les États-Unis et la dictature comme moyens nécessaires pour mener une «guerre » contre les «monstres». La vidéo de 12 minutes nie également le nombre de personnes tuées et «disparues» sous le régime militaire, et se termine par des appels à « enterrer» cette histoire et à oublier le passé.

La vice-présidente Victoria Villarruel, fille d'un officier supérieur de l'armée qui a fait carrière dans la défense de responsables militaires condamnés et qui a rendu visite à plusieurs reprises au dictateur Jorge Rafael Videla en prison, a publié une vidéo séparée appelant à «la vérité, la justice et des réparations pour les victimes du terrorisme». Elle y affirmait que les partisans de la guérilla de gauche dans les années 1970 devaient encore être punis.

Même si les faits historiques démentent entièrement leurs affirmations, les grands médias ont commencé à s'y adapter. Ils donnent à divers degré de la crédibilité aux assertions du gouvernement que la junte militaire avait agi strictement, voire principalement, contre la guérilla de gauche, ou qu'elle avait simplement commis des «excès» dans ses opérations, et que l’estimation largement acceptée de 30 000 victimes tuées et ‘disparues’ par la junte était «exagérée».

Le 24 mars 1976, l'armée arrêta la présidente Isabel Martinez de Perón à la Casa Rosada et l’embarqua sur un hélicoptère. Après la mort naturelle du général Juan Domingo Perón, 21 mois plus tôt, elle avait hérité d'un gouvernement en crise. Celui-ci avait déjà commencé à imposer des coupes sociales brutales, des attaques contre le niveau de vie dans le contexte d'une inflation de 335 pour cent et une répression massive, dont le meurtre de centaines de personnes de gauche par l'escadron de la mort péroniste Triple A.

L'armée argentine avait commencé des actions coordonnées avec les dictatures militaires du Chili, de l'Uruguay, du Paraguay, de la Bolivie et du Brésil «contre des éléments subversifs» au «début de 1974», selon la CIA, qui supervisait cette collaboration transfrontalière dans ce que l’on a appelé l’Opération Condor. Les réunions les plus importantes se tenaient à cette époque, selon Les Années Condor de John Dinges, à la base de Campo de Mayo à Buenos Aires sous les auspices des péronistes.

Immédiatement après le coup d’État, au moyen de plans méticuleusement préparés à l’avance, les troupes et les chars se sont attaqués aux sièges des syndicats et des partis de gauche, ainsi qu’aux lieux de travail, et ont commencé à arrêter massivement des militants connus. Ensuite, le lieutenant-général Jorge Rafael Videla a, en tant que commandant en chef, prêté serment au quartier général de l'armée et a mis en place pour exercer le pouvoir une junte comprenant les commandants de la marine et de l'armée de l'air.

La répression contre les quelques centaines de guérilleros du pays – des jeunes et des intellectuels politiquement égarés qui menèrent des attaques isolées et ne furent jamais une menace majeure pour le pouvoir de l’État – fut le prétexte pour justifier l’écrasement de toute opposition de la classe ouvrière à la paupérisation massive exigée par la finance mondiale.

Le gouvernement américain du président Gerald Ford, qui fut en communication active avec les conspirateurs pendant au moins un mois avant le coup d'État, a reconnu la junte le même jour, et avait préparé un programme d'assistance économique et militaire. Le Département d’État dirigé par Henry Kissinger, comme l’indiquent des documents officiels, prévoyait un «régime militaire pour une durée prolongée et d’une sévérité sans précédent ».

La dictature militaire allait rester au pouvoir jusqu'en décembre 1983 et supervisa une orgie de détentions et de torture de plus de 100 000 travailleurs, jeunes et intellectuels. Les travailleurs militants, même ceux qui avaient simplement participé aux grèves avant le coup d’État, ont été systématiquement kidnappés, torturés et jetés depuis des avions dans l’océan Atlantique. Parmi les personnes assassinées figuraient des dizaines de travailleurs de l'automobile de Mercedes Benz et Ford à Buenos Aires.

Dès 1978, selon une note déclassifiée des États-Unis émanant de la Direction des renseignements de Pinochet (DINA) au Chili, le 601e Bataillon argentin avait «recensé 22 000 morts et disparus» depuis 1975. Dans une interview de juin 2002, Manuel Contreras, chef de la DINA, qui a coordonné ses activités en étroite collaboration avec l'armée argentine et la CIA, a estimé que l'armée argentine avait tué 30 000 personnes durant sa sale guerre.

Un rapport du Département d’État de mars 1978 estimait qu’il y avait eu jusqu’alors entre 12.000 et 17.000 « disparus». La principale catégorie comprenait entre 3.750 et 5.000 travailleurs de la base et militants syndicaux, et en deuxième lieu 3.000 membres des familles des travailleurs.

Comme indiqué (article en anglais) dans des câbles diplomatiques américains déclassifiés, un collaborateur a expliqué à Kissinger que l'un des parallèles avec l'Allemagne nazie était que «pour se redresser économiquement, ils doivent briser le pouvoir des structures traditionnelles, et en particulier du mouvement ouvrier...» Les mêmes calculs sont fait aujourd’hui.

Dimanche, en réponse aux falsifications provocatrices de Milei, des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes sont descendus dans la rue pour commémorer les victimes et protester contre le gouvernement, y compris environ 400 000 personnes qui ont rempli la Place de Mai à Buenos Aires. La participation a été bien plus importante que les années précédentes.

Cette année, le 24 mars a été caractérisé par un changement radical de la situation objective, en Argentine et dans le monde, avec notamment l’éruption d’une guerre mondiale et la promotion agressive par les élites dirigeantes d’apologistes de la dictature fasciste, en Amérique latine, en Europe et en Asie du Sud-Est.

Les rassemblements de dimanche ont eu lieu au milieu d'une vague de grèves et de manifestations contre les attaques de Milei qui visent l'emploi, les salaires, les retraites et l'aide sociale. Ces derniers jours, ces luttes se sont concentrées sur l'opposition aux projets de Milei de licencier jusqu'à 70 000 employés du secteur public.

La bureaucratie syndicale dirigée par les péronistes a réussi jusqu'à présent à maintenir les grèves divisées et limitées ; elle a signé des accords au rabais acceptant des licenciements et des augmentations de salaires bien inférieures à l'inflation, qui a atteint 276 pour cent par an le mois dernier.

Soixante pour cent des Argentins, dont 70 pour cent des enfants, vivent à présent dans la pauvreté.

Malgré une crise sociale et politique explosive, les discours et commentaires des organisateurs, des responsables syndicaux et de la pseudo-gauche laissaient transparaître la complaisance devant la menace d’un retour à des formes fascistes de pouvoir. Au-delà des slogans vides et usés de «justice» et de «souvenir», aucune tentative n’a été faite pour tirer les leçons historiques du coup d’État de 1976.

Au lieu de quoi les péronistes et leurs apologistes du soi-disant Front de gauche et des travailleurs (FIT-U) ont profité de l'occasion pour poursuivre leurs efforts pour canaliser la colère sociale de masse derrière des appels aux institutions capitalistes et des illusions sur elles, y compris sur les partis péronistes au parlement, sur les tribunaux et sur le gouvernement Milei même.

Au cours des années qui ont précédé 1976, ces mêmes forces avaient utilisé des méthodes similaires pour désarmer politiquement la classe ouvrière, bloquant une lutte indépendante pour le pouvoir et préparant le terrain pour qu’un coup d’État militaire fasciste réussisse.

Au-delà des déclarations de Milei et de Villarruel, les événements qui ont précédé cet anniversaire ont montré que la classe dirigeante s'efforce de réprimer toute critique du bilan de l'armée.

Elle cherche à saper une conscience démocratique profondément enracinée et l’opposition populaire à l’armée afin de restaurer son rôle dans la politique nationale et les opérations répressives, de mobiliser les couches les plus réactionnaires de la société contre la classe ouvrière et de préparer un retour aux formes de gouvernement dictatoriales. Il y a un élément de désespoir et d’irresponsabilité dans ces efforts.

Le 20 mars, le directeur de la CIA William Burns est arrivé à Buenos Aires pour y rencontrer les dirigeants de l'appareil de renseignement et de sécurité. Le moment choisi était extrêmement provocateur et, étant donné le rôle important de la CIA dans la consolidation du pouvoir de la dictature, et la visite montrait clairement que l'impérialisme américain envisage d'utiliser le même degré de violence génocidaire contre toute opposition à ses intérêts.

De plus, l'impérialisme américain considère clairement l'Argentine et plus largement la région comme un front clé dans les plans de recolonisation du monde. Il la voit comme une source majeure de gaz naturel, de pétrole, de lithium et d'autres minéraux clés ; et comme l'un des principaux producteurs agricoles du monde et principale source d’eau douce.

Entre cette visite et les événements de dimanche, le ministre de la Défense Luis Petri a envoyé des responsables rencontrer d'anciens responsables de la dictature détenus à la prison militaire de Campo de Mayo. Ils ont pris des photos avec des activistes et des épouses de responsables exigeant leur libération.

Patricia Bullrich, ministre de la Sécurité, a ensuite déclaré que les militaires et policiers condamnés étaient «injustement emprisonnés».

Ces provocations et rumeurs dans les médias sur d'éventuelles grâces ont conduit l'ONU et la Commission inter-américaine des droits de l'homme à publier le 24 mars une déclaration commune appelant «les États à ne pas accorder de grâce, d'amnistie humanitaire ou d'avantages» aux personnes reconnues coupables de graves violations des droits humains. Alejandro Slokar, un juge fédéral argentin, a également fait une déclaration avertissant que toute grâce, amnistie ou commutation violerait les lois nationales et internationales en vigueur.

Le 21 mars, Petri et Bullrich ont tenu une conférence de presse pour annoncer un projet de loi au parlement visant à lever l’interdiction instituée après la dictature et empêchant l’armée « d’intervenir et de mener des opérations de sécurité intérieure». Cette annonce fait suite à l’envoi de troupes dans la ville de Rosario en guise de «soutien logistique» pour lutter ostensiblement contre les cartels de la drogue.

Enfin, le 21 mars également, l'organisation HIJOS, réseau national de fils et filles de victimes tuées sous le régime militaire, a dénoncé une attaque fasciste contre l'un de ses membres. Plus tard dans la semaine, la victime, Sabrina Bölke, qui travaille également dans le secteur public, a révélé que le 5 mars, deux agresseurs armés l'avaient soumise à la torture, à des sévices sexuels et à des menaces de mort.

Les agresseurs ont dessiné «VLLC» sur le mur de sa chambre – l'acronyme espagnol du slogan de Milei «Vive la liberté, merde». Ils ont ensuite volé des documents appartenant à HIJOS.

Il s’agit de l’attaque la plus importante perpétrée par des bandes fascistes depuis la tentative d’assassinat contre l’ex-présidente péroniste Cristina Fernández de Kirchner en 2022 par un membre d’un groupe fasciste, ‘Révolution fédérale’, qui comprend des fanatiques « libertariens» pro-Milei.

(Article paru en anglais le 27 mars 2024)

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