Une caricature montrant Nétanyahou en route vers un bain de sang à Rafah est dénoncée comme antisémite par l’establishment:

L’hypocrisie de l’impérialisme canadien au service du génocide

Le journal montréalais La Presse a retiré mercredi dernier une caricature du Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou dépeint en vampire. L’acte d’autocensure a été provoqué par des accusations sans fondement d’antisémitisme, promues d’abord par l’extrême droite pro-israélienne, puis reprises par tout l’establishment politique.

Se pliant aux accusations, l’éditorialiste en chef de La Presse, Stéphanie Grammond, a présenté des excuses publiques. Elle a toutefois affirmé que le journal n’avait « jamais […] eu l’intention de véhiculer des propos antisémites», que «le dessin se voulait une critique de la politique de M. Nétanyahou» et «visait le gouvernement israélien, pas le peuple juif».

La condamnation unanime et le retrait subséquent de la caricature de La Presse représentent le dernier volet de la campagne des classes dirigeantes à travers le monde qui dénoncent toute forme d’opposition au génocide des Palestiniens comme de «l’antisémitisme».

La caricature retirée de La Presse [Photo: La Presse]

La caricature a été créée par le caricaturiste Serge Chapleau, qui a réutilisé une image du film silencieux Nosferatu le vampire.

L’image montre le personnage principal, le vampire nommé comte Orlock, debout de face sur un navire. Sa posture est imposante et menaçante. Le visage de Nétanyahou est superposé sur celui du vampire, et dessiné dans un style caricatural typique, sans être toutefois grossier. On y lit l’inscription «Nosfenyahou, en route vers Rafah» dans une fonte rouge sang, seule couleur de la caricature autrement en noir et blanc.

L’image utilisée dans la caricature est tirée d’une scène charnière de Nosferatu, dans laquelle le comte Orlock se rend par bateau de la Transylvanie vers la ville fictive de Wisborg, amenant avec lui la mort. Le comte Orlock tue l’équipage du navire qui le transporte, lui et ses cercueils. Il décimera la population de Wisborg comme si une épidémie s’était emparée de la ville autrefois paisible. Les ravages du comte Orlock rappellent les ravages de la guerre.

Image du film Nosferatu [Photo: Nosferatu]

La caricature de Chapleau est manifestement une dénonciation du Premier ministre israélien, qui s’apprête à amener la mort à Rafah dans la bande de Gaza, où se réfugient près d’un million de Palestiniens. Elle a été publiée dans un contexte d’indignation populaire face aux scènes de catastrophe à Gaza. Seulement deux jours plus tôt, le NPD social-démocrate avait déposé une motion au parlement qui s’affichait comme une tentative de modifier la politique canadienne de soutien total à l’État sioniste.

Malgré la transformation de la motion en déclaration de soutien au génocide israélien contre les Palestiniens, elle a été unanimement combattue par l’opposition conservatrice. Si la motion du NPD fut introduite pour contenir l’opposition au génocide dans le cadre de la politique bourgeoise, elle a causé une certaine crainte parmi des couches de l’élite dirigeante que leur politique pro-israélienne devenait impopulaire. La controverse artificielle autour de la caricature de Nétanyahou était à la fois une tentative de changer de sujet et un signal de la classe dirigeante qu’elle était prête à recourir à des méthodes autoritaires pour imposer une politique d’agression impérialiste qui est haïe par de larges couches de la classe ouvrière et de la jeunesse.

Le génocide que commet Israël, appuyé par ses alliés dont les États-Unis et le Canada, a déjà coûté la vie à plus de 32.000 Palestiniens, en a déplacé près de 2 millions et a imposé la famine à la quasi-totalité de la population. Il suscite l’indignation et la colère parmi la majorité de la classe ouvrière internationale. Il est cependant rare que cette vaste opposition trouve un reflet, aussi pâle soit-il, dans la presse bourgeoise officielle.

La publication par La Presse de cette caricature dépassait manifestement les bornes de la critique officiellement tolérée. Exprimer un quelconque dégoût face au massacre qui a lieu au Moyen-Orient expose l’artiste et l’écrivain à l’accusation «d’antisémitisme». En effet, Israël et ses alliés occidentaux mènent une campagne pour ternir la réputation de tous ceux qui osent critiquer leur politique meurtrière et inhumaine, en les accusant d’antisémitisme.

De nombreux artistes ont fait face à de frauduleuses accusations d’antisémitisme, par exemple le musicien socialement conscient Roger Waters. Les caricatures de l’artiste Dwayne Booth aux États-Unis, qui enseigne à l’Université de Pennsylvanie, ont également été dénoncées comme des références à «l’accusation de meurtre rituel» pour son emploi d’images de sang, ou de bébés massacrés par les Forces armées israéliennes. Sous la menace de licenciements et du retrait des riches donateurs dont dépendent leurs finances, les universités américaines imposent le régime strict de censure que réclament Israël et les deux partis de droite qui exercent un monopole politique aux États-Unis.

En dehors des États-Unis, cette campagne des élites dirigeantes pour bannir toute voix dissidente se déploie largement en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne, où les gouvernements sont allés jusqu’à interdire les manifestations propalestiniennes. Et elle s’est intensifiée au Canada la semaine passée avec les allégations hystériques d’antisémitisme autour de la caricature de Nétanyahou.

Une campagne orchestrée de dénonciations

La caricature de Chapleau a d’abord été dénoncée par le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA), une organisation d’extrême droite sioniste, sur X, peu après sa publication en matinée. Accusant La Presse «d’antisémitisme», le CIJA a affirmé que «les doigts crochus» ou le «gros nez» de la figure étaient «des tropes [clichés] antisémites».

Une fois le ton donné, tout l’establishment politique a fait écho à l’accusation d’antisémitisme.

«[C]e genre de trope antisémite rappelle les années 1930», a écrit le sénateur conservateur Leo Housakos sur X. Christopher Skeete de la Coalition avenir Québec (CAQ) a quant à lui déclaré: «Je salue le fait que ça a été retiré, mais je vous dirais que c’était de mauvais goût. C’était blessant.»

Alexandre Boulerice du NPD a déclaré: «Faire une représentation du Premier ministre d’Israël comme un vampire, il y a une référence historique que l’extrême droite antisémite faisait dans les années 1920 et 1930 du siècle dernier, donc je pense que ce n’était pas approprié, je pense qu’il aurait pu choisir un autre monstre».

Enfin, le Premier ministre Justin Trudeau a déclaré en conférence de presse mercredi dernier que «le contenu et les allusions antisémites sont toujours inacceptables. C’est reprendre des allusions qui datent de bien des décennies, de façon absolument inacceptable».

Ces dénonciations sont d’une hypocrisie révoltante. Ceux qui prétendent aujourd’hui s’indigner devant une caricature supposément «antisémite» sont de fervents défenseurs de l’alliance entre l’extrême droite ukrainienne et le gouvernement canadien. Ils soutiennent une guerre contre la Russie en Ukraine dans laquelle le Canada est allié à des néonazis, c’est-à-dire de vrais antisémites. Et ils passent sous silence la présence au coeur du gouvernement israélien de fascistes purs et durs qui réclament ouvertement un génocide et un «nettoyage ethnique» dans les territoires palestiniens.

S’il est vrai que l’image du vampire a été associée à la caricature antisémite, notamment par les nazis, elle est loin d’être le monopole de l’extrême-droite. La symbolique du vampire est également utilisée pour symboliser des figures puissantes, sinistres, meurtrières (comme Nétanyahou), sans aucune référence à un caractère juif. Le vampire a été utilisé pour représenter toutes sortes de figures de la classe dirigeante, et même pour illustrer le capital lui-même.

Dans son emploi inimitable de la métaphore, Karl Marx écrivait que le «capital est du travail mort, qui ne s’anime qu’en suçant tel un vampire du travail vivant, et qui est d’autant plus vivant qu’il en suce davantage». Plus récemment, le film du réalisateur chilien Pablo Larraín (paru l’an dernier sur Netflix), imagine le dictateur fasciste Augusto Pinochet à l’image du comte Orlock, en tant que sinistre vampire sanguinaire.

L’accusation d’antisémitisme dans le cas de la caricature de Chapleau, qui vise une figure d’État, assimile du même coup cette figure d’État au peuple juif. En d’autres mots, parce que la caricature vise Nétanyahou, elle viserait supposément tous les juifs. Cet amalgame dépend de l’idée que Nétanyahou et l’État israélien sont des représentants légitimes des juifs, et que la politique de l’État israélien est celle du peuple juif, une idée elle-même antisémite, et profondément offensante pour de nombreux juifs qui s’opposent au génocide en Palestine.

Les mêmes politiciens qui brandissent maintenant leur sensibilité aux «clichés» antisémites des années 1930, incluant Trudeau lui-même, applaudissaient à l’unisson au parlement, pas plus tard qu’en automne dernier, un criminel de guerre nazi – Yaroslav Hunka, qui a servi dans la 14e Division de Grenadiers de la Waffen-SS, connue sous le nom de Division Galicie.

La classe dirigeante canadienne a une longue histoire d’antisémitisme au Québec et au Canada anglais. Le Canada a systématiquement exclu les réfugiés fuyant le régime d’Hitler. Même après la Seconde Guerre mondiale et toutes les horreurs de l’Holocauste, le ministre adjoint de l’Immigration pouvait déclarer à propos des réfugiés juifs: «Aucun c’est trop». Dans le Québec des années 1930, les nationalistes canadiens-français étaient le fer de lance de l’incitation à l’antisémitisme.

Après la Seconde Guerre mondiale, le Canada est devenu un refuge pour les nationalistes ukrainiens d’extrême droite, dont certains avaient collaboré avec les nazis dans leur invasion de l’Union soviétique et l’Holocauste. Au début de la Guerre froide menée par les États-Unis, ces groupes extrémistes étaient considérés comme des alliés potentiels en raison de leur opposition fanatique au communisme et à toute influence soviétique. Juste après la guerre, le gouvernement libéral du Canada, en collaboration avec les services de renseignement américains et britanniques, a facilité l’entrée des Ukrainiens associés à des groupes nazis au Canada. Cela incluait d’anciens membres de la Division Galicie.

L’impérialisme canadien, qui a accueilli des criminels de guerre nazis, est présentement en alliance avec des forces néonazies en Ukraine, et appuie la politique génocidaire au Moyen-Orient d’un gouvernement ouvertement raciste et fasciste.

Le génocide de Gaza et les opérations militaires des puissances impérialistes au Moyen-Orient ne sont que l’un des fronts d’un conflit mondial en pleine expansion. L’un de ses volets comprend les provocations dirigées contre l’Iran. Un autre est la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine, dans laquelle le Canada est impliqué jusqu’au cou, qui a déjà fait des centaines de milliers de victimes. Elle prépare la voie à un conflit direct avec la Russie, et ultimement avec la Chine. De plus, il existe un lien étroit entre la guerre impérialiste et le tournant des élites dirigeantes à travers le monde vers des forces néofascistes, telles que Donald Trump aux États-Unis et Giorgia Meloni en Italie.

Mais aucun de ces développements n’offusque les moralistes qui crient à «l’antisémitisme». Au contraire, ils en sont les acteurs principaux.

Vampires, antisémitisme et Nosferatu

Le seul fait que Chapleau ait utilisé l’image d’un vampire pour s’attaquer à Nétanyahou a suffi aux politiciens et médias bourgeois pour l’accuser d’antisémitisme. Mais l’image du vampire n’appartient pas exclusivement à l’extrême-droite nazie. Son utilisation dans la caricature politique a une longue histoire, qui n’est pas intrinsèquement antisémite.

Ce n’est pas seulement dans les pages du Stürmer que l’on trouvait des images de vampires dans les caricatures politiques de la première moitié du vingtième siècle. On peut, par exemple, observer l’emploi d’une image de vampire chauve-souris presque identique dans deux caricatures, dont la première bien connue du Stürmer a un sens antisémite, alors que la seconde paraissait dans le journal illustré de gauche le plus important d’Allemagne (Der Wahre Jacob) et dénonçait l’ordre d’entre-deux-guerres sans aucune référence à des juifs.

À gauche: «Le vampire» dans une édition de 1930 du Stürmer | À droite: dans une édition de 1919 du Wahre Jacob [Photo: University of Heidelberg Library]

C’est précisément parce que le lien entre l’image du vampire et l’antisémitisme est si fragile que les impérialistes ont cru nécessaire de faire du film Nosferatu un film préféré des nazis, voire même une œuvre antisémite.

David Frum, chef de file du néo-conservatisme, a enchéri l’accusation d’antisémitisme sur X avec des détails qui ont été répétés sans aucune vérification. «Le film Nosferatu de 1922, qui a inspiré la caricature de La Presse, a également inspiré les caricaturistes nazis du Troisième Reich», a-t-il écrit.

En tant que source pour l’idée que Nosferatu était associé aux nazis, Frum a fourni un article de blogue publié par l’ANU (Museum of the Jewish People, une institution sioniste financée par l’État israélien) d’un auteur qui n’est pas historien et qui ne fournit aucune source pour des affirmations qu’il est le seul à faire. En effet, l’auteur, qui se décrit lui-même comme un raconteur d’histoires (« storyteller »), affirme carrément que Julius Streicher, l’éditeur du journal nazi der Stürmer, était un grand amateur du film Nosferatu. L’auteur et l’institution n’ont pas voulu fournir de source lorsqu’on leur en a demandé.

Mais Nosferatu n’est pas le fruit de l’imagination de protonazis, et on ne peut pas non plus l’interpréter comme une œuvre antisémite sans faire violence aux règles de l’interprétation objective de l’art. Réalisé en 1921 par Friedrich Wilhelm Murnau, le film représentait plutôt l’expérimentation et l’innovation artistique de l’époque de Weimar, et non pas les préjugés réactionnaires qui ont alimenté le mouvement nazi.

Un nombre considérable des créateurs de Nosferatu étaient eux-mêmes juifs et influencés non pas par la droite, mais par la gauche. Le scénariste du film, Henrik Galeen, était juif. Alexander Granach, qui jouait le rôle de Renfield, était l’acteur juif le plus connu en Allemagne à l’époque. Gustav von Wangenheim, qui jouait Hutter, était d’origine juive et membre du Parti communiste allemand. La carrière de Max Schreck, l’acteur du rôle principal, fut par la suite associée à des figures telles que Max Ophüls et Bertolt Brecht.

Comme le faisait remarquer le World Socialist Web Site dans une critique de ce film:

Le Nosferatu de Murnau [est sorti] quelques années seulement après la boucherie de la Première Guerre mondiale. Son amant [juif !] est mort dans les tranchées, comme des millions d’autres. Quelles qu’aient pu être les opinions de Murnau sur le conflit, et rien n’indique qu’il ait été un opposant politique, cette œuvre sombre et lacérante est une réponse, passée à travers les filtres artistiques du réalisateur (et du scénariste Galeen), à la dévastation monumentale de la guerre (et de la pandémie de grippe de 1918 qui y est liée et qui a également tué des dizaines de millions de personnes). […] On serait presque tenté de dire que le Nosferatu de Murnau est l’un des films antiguerre les plus puissants de cette période.

La tentative de vandaliser Nosferatu comme une œuvre antisémite dépend d’une grille d’analyse postmoderniste profondément hostile à la culture et à la vérité historique, qui est reprise telle quelle dans la campagne en cours pour dénigrer toute forme d’opposition au génocide lancé contre le peuple palestinien.

Le théâtre d’indignation morale de l’establishment dirigeant devant la caricature de La Presse n’a rien à voir avec l’opposition à l’antisémitisme. Il sert plutôt à légitimer la politique génocidaire d’Israël soutenue par Washington et Ottawa, à intimider l’opinion publique et à semer la confusion parmi la classe ouvrière et la jeunesse.

La seule réponse appropriée des travailleurs et des jeunes, qui ont manifesté par millions à travers le monde contre la descente vers la barbarie capitaliste, est de diriger toute leur énergie vers la mobilisation de la seule force sociale capable de mettre fin au capitalisme qui engendre le génocide et la guerre impérialiste – la classe ouvrière internationale.

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