Les avocats d’Assange dénoncent sa persécution par les États-Unis et la Grande-Bretagne au premier jour de l’audience devant la Haute Cour

Au cours des trois dernières années, les comparutions du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, au tribunal se sont limitées à des argumentations concernant sa santé et le risque de suicide en cas d’extradition vers les États-Unis pour répondre à des accusations en vertu de la Loi sur l’espionnage (Espionage Act).

Cela s’explique par la décision de justice, en janvier 2021, soigneusement élaborée de la juge Vanessa Baraitser, qui s’oppose à l’extradition sur le seul point du risque de suicide.

Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, salue ses partisans depuis le balcon de l’ambassade d’Équateur à Londres, le 19 mai 2017 [AP Photo/Frank Augstein]

Le «World Socialist Web Site» a lancé à l’époque cet avertissement: «En se prononçant contre l’extradition uniquement pour des raisons de santé mentale, Baraitser a approuvé dans son intégralité le déni par l’accusation de la liberté d’expression et de la liberté de la presse ainsi que ses justifications pour l’abus flagrant des droits de procès équitable et des droits humains d’Assange ».

Les conclusions de Baraitser sur le risque de suicide ont été annulées par la Haute Cour en décembre 2021, en raison des «assurances» données par le gouvernement américain. Ces questions ont ensuite fait l’objet de mois d’appels juridiques et de rejets sans fin par les tribunaux britanniques.

Mardi, à la Haute Cour du Royaume-Uni, l'équipe juridique d'Assange a enfin eu l'occasion de sortir de ce carcan procédural et de soulever les questions de la criminalité étatique et du déni des droits démocratiques déchaînées qui sont réellement au cœur de cette affaire, et qui ont été systématiquement négligées par Baraitser.

Pendant cinq heures, Edward Fitzgerald KC et Mark Summers KC ont défendu devant le juge Johnson et Dame Victoria Sharp le droit d’Assange à faire appel des conclusions de Baraitser devant la Haute Cour. Ils ont également contesté la décision de la ministre de l’Intérieur britannique d’ordonner l’extradition conformément à la recommandation du tribunal.

Assange a été autorisé à assister à l’audience en personne, mais il n’a pas pu le faire, même par liaison vidéo, en raison de l’aggravation de son état de santé après les presque cinq ans d’incarcération à la prison de haute sécurité de Belmarsh.

L’argumentation avancée par Assange contre ses accusateurs est dévastatrice. Elle établit que le gouvernement américain mène une campagne de persécution politique en représailles à la révélation par le fondateur de WikiLeaks de crimes du gouvernement américain. Il viole par là ses droits démocratiques les plus essentiels: le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture et à des peines inhumaines et dégradantes, le droit à la liberté d’expression et le droit de ne pas être soumis à des procédures judiciaires abusives et à un pouvoir arbitraire.

Summers a présenté les preuves les plus significatives, affirmant que les États-Unis utilisaient illégalement les poursuites engagées contre Assange pour punir son activité à WikiLeaks. Une activité qui avait révélé «des crimes commis par l’État américain, des crimes qui se situent au sommet de la hiérarchie juridique», notamment «des assassinats extrajudiciaires, des restitutions, des tortures, des prisons obscures, des meurtres crapuleux».

Ce que le travail d’Assange a révélé, a poursuivi Summers, c’est un type de «criminalité qui imprègne le tissu même du gouvernement américain, y est approuvée et tolérée». Son cas relève donc d’une catégorie de cas où «les représailles de l’État utilisent le système de justice pénale».

Summers a cité comme «illustration vivante» et «exemple paradigmatique de l'histoire» la lettre ouverte d’Emile Zola condamnant la persécution d’Alfred Dreyfus par l’État français, «J'accuse...»!

Abordant les événements ayant conduit aux poursuite lancées contre Assange, il a rappelé: «À la fin de 2016, la CPI [Cour pénale internationale] a annoncé qu’elle se préparait à enquêter sur l’objet de ces allégations», pour lesquelles les documents de WikiLeaks étaient «essentiels».

Très peu de temps après, une série de responsables américains ont dénoncé Assange et WikiLeaks, notamment Mike Pompeo, alors directeur de la CIA, qui a qualifié WikiLeaks d’«agence de renseignement non étatique hostile».

«Avec le recul, ces mots ont autorisé une action directe contre Assange, du type de celle révélée par une enquête de Yahoo! News publiée en septembre 2021. «Les États-Unis ont élaboré un plan pour tenter de tuer ou de restituer Assange aux États-Unis… Les poursuites ont été engagées afin de fournir un cadre pour le projet d’enlèvement et de restitution de Assange.

C’est dans le même but que le gouvernement américain bafoue aujourd’hui les droits légaux d’Assange devant les tribunaux britanniques. Le traité d’extradition de 2003 entre le Royaume-Uni et les États-Unis, en vertu duquel celui-ci demande son transfert aux États-Unis, exclut explicitement l’extradition pour des délits politiques, dont les accusations au titre de la loi sur l’espionnage, a expliqué Fitzgerald, étaient un «pur » exemple.

La loi sur l’extradition de 2003, adoptée par le gouvernement travailliste de Tony Blair, qui ne prévoit pas d’exception pour les délits politiques, permet d’éluder cette question. Comme l’a expliqué Fitzgerald, le gouvernement américain se trouve en position d’exiger: «‘Conformément à ce traité, remettez-moi Assange’, et pourtant ce même traité prévoit une protection qui est incompatible avec sa remise [aux États-Unis] ».

Il a résumé la situation en ces termes: «On ne peut pas à la fois s’appuyer sur un traité et le répudier». Cela constituerait un abus de procédure, contraire à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Assange est également poursuivi pour des activités dont il n’avait aucune raison légale de penser qu’elles feraient l’objet de poursuites, ce qui est contraire à l’article 7 de la CEDH, qui stipule qu’il n’y a pas de peine sans loi. À l'époque où WikiLeaks a publié des documents fuités du gouvernement américain, «les journalistes n’appartenant pas au gouvernement n’avaient jamais été poursuivis au titre de la loi sur l'espionnage», a expliqué Summers. L’affaire «franchit une nouvelle frontière juridique».

La décision initiale de Baraitser a balayé de la main tous ces arguments. En ce qui concerne les motivations politiques malveillantes à l'origine des poursuites engagées par les États-Unis, selon Summers, « elle a examiné peut-être 10 % » du dossier présenté par l'équipe d'Assange.

Le plus flagrant avait été le traitement de leurs arguments au titre de l’article 10 de la CEDH, «Liberté d’expression». Pour décider si la divulgation de documents privés ou classifiés est un acte d’expression protégé, un tribunal devait déterminer si le préjudice causé par la divulgation est compensé par l’intérêt public qu’elle sert.

Summer a déclaré: «Le poids et l’importance de l’intérêt public dans cette affaire l’emportent sur tout le reste… Il est difficile de concevoir une divulgation dans un plus grand intérêt public». Les documents publiés par WikiLeaks ont été utilisés par la Cour européenne et la Cour pénale internationale.

Et pourtant, dans la décision initiale de Baraitser, «nulle part la juge ne reconnaît l’intérêt public.... Ce qu’elle fait, c’est reconnaître tout ce qui se trouve de l’autre côté de la balance», en se concentrant sur le préjudice que le gouvernement américain allègue, mais n’a jamais prouvé, avoir causé à ses agents et à ses informateurs. «Il s’agit d’une erreur juridique flagrante».

Dans sa formulation la plus tranchante, Summers a déclaré: «La révélation des crimes de guerre en cours, des meurtres en cours, des restitutions, de la torture, de tout cela, au moins de manière défendable… pourrait l’emporter sur la divulgation des noms de certaines des personnes qui font tout cela».

Ceci, a conclu Summers, devrait être vrai pour le lanceur d’alerte, Chelsea Manning, et encore plus pour l’éditeur de ces informations fuitées.

Outre le rôle des tribunaux, celui du gouvernement britannique a été mis plus particulièrement en lumière. En vertu de la loi, le ministre de l’Intérieur est responsable de l’émission de l’ordre final d’extradition. Avant de le faire, il est tenu par la loi sur l’extradition de 2003 d’établir qu’il n’y a aucun risque que la personne extradée soit condamnée à la peine de mort.

C’est à peine si l’on a fait semblant de le faire. Le gouvernement américain a la possibilité de reformuler les accusations portées contre Assange en les qualifiant de crime capital. Summers a déclaré au tribunal que l’équipe juridique d’Assange avait «déposé cette plainte auprès de la ministre de l’Intérieur ; sa réponse était du charabia». Elle a affirmé que le ministre de l’intérieur ne devait tenir compte que des chefs d’accusation actuellement formulés. «C’est tout à fait contraire à la position de ce pays sur la peine de mort.

Il a conclu: «Ce qu’il faut dans cette affaire, ce sont des garanties concernant la peine de mort; c’est simple. Et pourtant, on ne veut pas les donner».

Les avocats des gouvernements américain et britannique répondront aux arguments d’Assange mercredi, lors de la deuxième et dernière journée de l’audience.

(Article paru en anglais le 2I février 2024)

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