La préfecture de Paris interdit les manifestations algériennes

Dimanche, alors que des manifestations masse se développent à l’international contre le génocide à Gaza la préfecture de Paris a interdit toute manifestation en lien à l’Algérie. Ce jour-là, un collectif d’associations dont l’Amitié franco-algérienne avait prévu une manifestation célébrant les martyrs algériens de la guerre d’indépendance, ainsi que le «hirak», la mobilisation de masse contre la dictature militaire algérienne en 2019.

La préfecture a twitté : «En raison de risques de troubles graves à l’ordre public, le préfet de police interdit l'ensemble des manifestations prévues demain dimanche 18 février, en commémoration du ‘Chahid’ d’une part et en lien avec le ‘Hirak’ d’autre part.»

Cette interdiction est une attaque fondamentale contre les libertés publiques et un signe du caractère antidémocratique du régime français. La lutte des travailleurs et des masses opprimées en Algérie contre l’impérialisme français, en une guerre de 1954 à 1962 qui a fait un demi-million de victimes alors que 2,5 millions d’Algériens étaient emprisonnés dans des camps, était une grande expérience révolutionnaire du 20e siècle. L’opposition aujourd’hui à la dictature militaire algérienne, liée à l’impérialisme, constitue une continuation nécessaire de cette lutte.

L’attaque de la police contre le droit de manifester vise à étouffer l’opposition ouvrière au génocide à Gaza, à la guerre impérialiste contre la Russie et à la dictature capitaliste, en Algérie et en France.

Dans l’immédiat, la déclaration de la préfecture que la manifestation posait un «risque de troubles graves» était un mensonge. Les organisateurs de la manifestation clamaient leur volonté d’organiser une manifestation pacifique, et ont d’ailleurs platement obéi à l’interdiction de manifester. Mais plus largement, cette interdiction constitue un aveu par la classe dirigeante qu’elle voit dans l’opposition ouvrière au génocide et à la guerre une menace révolutionnaire.

Des journalistes du WSWS se sont rendus sur le site de la manifestation interdite. Ils ont interviewé des organisateurs de la manifestation, présents pour demander à ceux qui seraient venus sans être au courant de l’interdiction, prononcée à 0h15 dimanche matin, de rentrer chez eux.

Amine Dib, de l’Amitié franco-algérienne, a dit : «On voulait se mobiliser pour la mémoire des martyrs de la révolution algérienne, qui étaient avant tout des combattants contre l’impérialisme et contre le colonialisme. Et parmi ces combattants-là, il y avait le lieutenant (et militant du Parti communiste algérien Henri) Maillot, qui a été traité de traître parce qu’il a donné des armes au FLN. Il a répondu avant de mourir par une très belle lettre en disant, ‘Je n’ai jamais trahi la France. Ma seule patrie c’est l’Algérie et la classe ouvrière.’ »

La classe dirigeante, a dit Dib, veut faire croire aux Français qu’en « insultant les Arabes et les musulmans, ça va changer leur vie. Or nous, on leur enlève leurs poubelles tous les matins.» Toutefois, il a ajouté que son association serait « responsable » et se plierait à l’interdiction de manifester.

Dib a pointé le contraste entre l’interdiction d’une manifestation pacifique et le soutien français aux milices islamistes en Libye, en Syrie et ailleurs : « Ce que je ne comprendrai jamais, c’est pourquoi l’État français soutient des terroristes islamistes … Et nous, en tant que citoyens algériens, nous venons de partout pour manifester. Et on nous a interdit de manifester. »

Dib a aussi souligné son opposition aux guerres impérialistes de l’OTAN au Moyen Orient et contre la Russie en Ukraine: «Cela fait un moment qu’on veut piéger l’Algérie pour l’entraîner dans des guerres absurdes comme on a fait en Libye, en Irak. … Il y a cette France qui signe des pétitions et qui insulte l’Algérie tous les jours. Moi je suis contre la guerre avec la Russie, il ne faut donner aucune arme ni à la Russie, ni à l’Ukraine. »

Dib a dénoncé les interdictions de manifester contre le génocide à Gaza: «En France, il y a une chape de plomb, il y a interdiction totale. Le judaïsme est une grande pensée, et la Shoah a existé. Mais avoir souffert n’autorise pas à massacrer les autres … Que ce soit clair, être antisioniste, c’est être anti-nationaliste, c’est être anti-fasciste. De la même manière dont je suis contre le nationalisme arabe, je suis contre le sionisme, tout simplement.»

Toutefois, l’entrevue a mis en lumière les problèmes politiques soulevés dans la lutte contre le génocide et la guerre impérialiste. Cette lutte nécessite la mobilisation révolutionnaire internationale de la classe ouvrière, seule force capable de lutter contre l’État policier capitaliste. Or, là-dessus, Dib s’est opposé aux positions du Comité international de la IVe Internationale (CIQI), la direction du mouvement trotskyste.

Dib a attaqué les «trotskards». Il a proposé une opposition patriote à l’impérialisme, fondée sur sa tentative de réconcilier sa lecture de Lénine avec sa lecture du philosophe existentialiste bourgeois Martin Heidegger. Il n’a pas proposé d’avenue pour mobiliser les travailleurs contre l’État policier français et ses interdictions de manifester.

Mais la fondation nécessaire d’une lutte contre le génocide et l’impérialisme est la lutte trotskyste contre le stalinisme et le nationalisme bourgeois. La révolution d’octobre 1917 et l’Internationale communiste étaient fondées sur la théorie de la Révolution permanente élaborée par Léon Trotsky: Lutter contre l’impérialisme et pour la démocratie nécessite une lutte internationale de la classe ouvrière pour le pouvoir et pour la création d’une société socialiste à l’échelle mondiale.

L’arrivée au pouvoir du régime nationaliste et capitaliste en Algérie en 1962 reflétait les trahisons commises par la bureaucratie stalinienne et sa théorie de «socialisme en un seul pays». Le «Front populaire» qu’elle forma avec la bourgeoisie libérale en France impliquait un rejet de la lutte contre le capitalisme et le colonialisme français. Le soutien du Front populaire au colonialisme à partir de 1934 a discrédité le stalinisme et ouvert la voie aux nationalisme bourgeois en Algérie.

La défense de la continuité du trotskysme par le CIQI et sa section française, le Parti de l’égalité socialiste (PES), est l’alternative marxiste au stalinisme et au nationalisme bourgeois. Le CIQI s'est opposé aux forces dirigées par Michel Pablo et Ernest Mandel qui ont rompu avec le trotskysme en 1953, disant que le stalinisme et le nationalisme bourgeois fourniraient ensemble une direction révolutionnaire. Et trois ans plus tard, en pleine guerre d’Algérie, le PCF stalinien votait des crédits de guerre contre le mouvement dirigé par le FLN nationaliste bourgeois.

Le PES s’oppose au NPA pabliste et à tous ceux qui ont rompu avec le CIQI, tels le Parti des travailleurs (PT) lambertiste, pours’allier aux bureaucraties sociale-démocraties ou staliniennes. Il dénonce leur défense de diverses guerres impérialistes menées par la France et ses alliés, fondée sur une politique petite-bourgeoise, identitaire et antimarxiste, de genre ou de race.

Pour justifier son antitrotskysme, Dib a résumé avec force sa désillusion avec les forces pablistes petite-bourgeoises: «Aujourd'hui, les syndicats, quels qu'ils soient, ne s'intéressent plus à la classe ouvrière, c'est devenu des bureaucraties bourgeoises. C’est comment c'est dur d'être bourgeois et arabes, d'être bourgeois et noir, d'être bourgeois et lesbienne, ou encore comment c'est dur d'être bourgeois et gay. Aujourd'hui la classe ouvrière crève la dalle … et ça leur permet d'écrire des mémoires à Paris-VIII ou à l’EHESS».

Mais les trahisons des pablistes et des bureaucraties ne justifient pas le rejet d’une lutte marxiste pour l’unification internationale révolutionnaire des travailleurs contre le génocide, la guerre et le capitalisme. Aujourd’hui, comme lorsque Marx et Engels publièrent le Manifeste du Parti communiste, «Les ouvriers n’ont pas de nation. On ne peut leur ravir ce qu’ils n’ont pas … le prolétariat de chaque pays doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique».

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