Des manifestations éclatent dans tout le Sénégal alors que le président Sall annule les élections

Des manifestations ont éclaté dans tout le Sénégal après que le président Macky Sall a annoncé, le 3 février, le report indéfini des élections présidentielles prévues pour le 25 février. Les protestations se poursuivent, avec des appels à manifester dans la capitale, Dakar, et dans d’autres grandes villes, après que le Conseil constitutionnel a invalidé le décret électoral de Sall.

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Le 3 février, Sall a invoqué les conflits entre les pouvoirs judiciaire et législatif ainsi que l’interdiction de candidatures clés pour déclarer que le Sénégal «ne peut pas se permettre une nouvelle crise». Le gouvernement avait interdit de nombreux candidats, dont Ousmane Sonko, du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), et Karim Wade, du Parti démocratique sénégalais (PDS), le fils de l’ancien président, Abdoulaye Wade.

Sall a appelé à «un dialogue national ouvert pour créer les conditions d'une élection libre, transparente et inclusive». Il a proposé de rester au pouvoir jusqu’à ce que des élections puissent être organisées au plus tôt en décembre, dans le cadre d’une prise de pouvoir extraconstitutionnelle.

C’était la première fois depuis 1963, trois ans après l’indépendance formelle du Sénégal vis-à-vis de la France, que les élections présidentielles étaient reportées. Tout au long de cette période, le régime sénégalais a servi d’instrument à la politique impérialiste de la France, des États-Unis et de l’OTAN en Afrique de l’Ouest. Le régime de Sall a été au centre des complots français pour envahir le Mali, le Niger et d’autres pays du Sahel qui ont cherché des alliances avec Moscou après que la France se soit retirée de sa guerre au Mali de 2013 à 2022.

Afrique de l’Ouest [Photo by PirateShip6 / CC BY-SA 4.0]

Les partis d’opposition ont d’abord refusé d’agir contre le coup de force de Sall, organisant des manifestations de quelques dizaines de personnes seulement qui ont été rapidement dispersées par la police. «Nous devons trouver de nouvelles stratégies avec des actions disparates à travers le pays», a déclaré au Monde le 7 février un homme politique anonyme proche de la coalition PASTEF-PDS.

Les bureaucrates syndicaux ont déclaré qu’ils envisageaient une grève générale, mais qu’ils ne pouvaient pas la déclencher. Cheikh Diop, de la Fédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS), a déclaré: «La lutte pour la préservation d’un processus électoral respectueux de la Constitution s’impose à nous. La création d’un rapport de force n’exclut pas une grève générale, mais il faut prendre le temps d’aller à la base pour s’organiser».

Des manifestations de masse ont cependant éclaté le 9 février à Dakar et dans tout le pays après que des appels à manifester se soient répandus sur les médias sociaux. Le régime Sall, qui avait organisé une vague d’arrestations avant les manifestations, a lancé une répression sanglante au cours de laquelle les forces de sécurité ont abattu au moins deux jeunes hommes et tiré sur des dizaines de journalistes. Néanmoins, les manifestations se sont poursuivies, notamment à Dakar, à Ziguinchor, où Sonko et le PASTEF ont une base électorale, et dans la ville de Saint-Louis, dans le nord du pays, où un étudiant a été tué.

Des photos ont circulé montrant des manifestants brandissant le drapeau russe, pour s’opposer à la collaboration de Sall avec Paris contre le Mali, le Niger et d’autres pays du Sahel cherchant à s'allier avec Moscou.

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Le gouvernement français, tristement célèbre pour sa violence incessante contre les manifestations sociales dans son pays, a publié une déclaration dans laquelle il approuve la justification de la tentative de coup d’État de Sall. «La France réitère son appel aux autorités pour qu’elles organisent l’élection présidentielle le plus rapidement possible», a déclaré le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Christophe Lemoine, dans un communiqué. Lemoine a également appelé Sall à «faire un usage proportionné de la force» contre les manifestants opposés à sa tentative de coup d’État.

Les manifestations ont également semé la panique dans les partis d’opposition bourgeois officiels du Sénégal, qui s’efforcent de soutenir le régime. Le 11 février, les anciens présidents sénégalais Abdou Diouf et Abdoulaye Wade ont publié une lettre ouverte appelant Sall au «dialogue national». Ils ont appelé le peuple sénégalais à «mettre fin à nos divergences et à nos crises politiques». Ils ont demandé aux jeunes «d’arrêter immédiatement la violence».

Sall a coupé les connexions à l’internet mobile au Sénégal et a interdit une manifestation nationale prévue pour mardi, que les partis d’opposition ont ensuite annulée. Néanmoins, les manifestations se sont poursuivies au Sénégal et dans la diaspora sénégalaise à l’étranger.

Les journalistes de WSWS ont interviewé des manifestants lors d’une marche à Paris contre la tentative de coup d'État de Sall. Mustafa a déclaré: «Nous ne pouvons pas accepter cela. Nous sommes ici pour montrer notre colère, pour montrer à Macky Sall, le grand dictateur, que nous ne sommes pas d'accord. Sall nous avait promis un gouvernement où tout le monde se sentirait mieux, où il y aurait de l’équité et où la justice serait impartiale. Mais nous constatons que la justice est servie dans ses intérêts. Le bilan de Macky Sall est négatif, il a échoué, il dirige le Sénégal et il y a eu 80 morts dans les manifestations» pendant qu’il était président.

Il a ajouté: «Les revenus des ressources naturelles ne sont jamais redistribués à la population. Macky Sall a échoué à tous points de vue. C’est dégueulasse, on ne veut plus de lui».

«Sall a remis les Français en position» dans la région, a ajouté Mustafa. «Mais nous sommes solidaires des Maliens qui se sont mobilisés pour exiger la fin de la guerre de la France dans leur pays».

Mendy s’adresse au WSWS à Paris lors d’une manifestation contre la tentative de coup d’État du président Macky Sall au Sénégal.

Mendy a également critiqué Sall pour avoir tenté de rejoindre une alliance soutenue par la France et menaçant d’attaquer le Mali, le Niger et d’autres États du Sahel afin de soutenir les intérêts impérialistes français dans la région.

Mendy a déclaré: «Je serais surpris que le Sénégal rejoigne l’alliance militaire. Vous voyez déjà, au Mali, ils ne veulent pas des Français et sont alliés aux Russes. Ce débat commence à intéresser beaucoup de gens au Sénégal. Nous préférons avoir les Russes comme alliés plutôt que les Français, qui sont au Sénégal depuis tant d’années, depuis l’indépendance en 1960. Bien sûr, nous ne sommes pas contre la présence de la France en Afrique, mais elle doit être équitable. Nous devons pouvoir bénéficier des ressources dont nous disposons. Nous ne sommes pas contre la France, mais nous sommes contre la politique de la France».

Mendy a relevé des similitudes avec l’offensive israélienne en cours, soutenue par l’OTAN, contre les Palestiniens de Gaza: «Les habitants de Gaza sont des victimes. Les Israéliens sont lourdement armés, les Palestiniens n’ont que des pierres, c’est donc un combat totalement inégal».

Il a expliqué: «La France ne veut pas que les richesses naturelles du Sénégal échappent à son contrôle. Elle a perdu le Mali, le Niger, le Burkina Faso, et d’autres pays. Maintenant, ils fondent leur politique sur le Sénégal, et le président Macky Sall est complice de cela. Pour moi, c’est Macron qui tire les ficelles de Macky Sall».

La lutte pour les droits démocratiques et contre les niveaux grotesques d’inégalité sociale qui prévalent ne peut se poursuivre que par une lutte révolutionnaire qui vise à transférer le pouvoir à la classe ouvrière et à mettre en œuvre des politiques socialistes. Cette lutte doit être menée au-delà des frontières nationales artificielles établies par les puissances impérialistes en Afrique, et avec les travailleurs de France et d’autres puissances impérialistes. Cela nécessite une lutte pour l’internationalisme marxiste, c’est-à-dire pour le trotskisme, contre les forces nationalistes bourgeoises qui cherchent à subordonner les travailleurs aux élites capitalistes locales.

Les leçons amères des soulèvements révolutionnaires d’Égypte et de Tunisie en 2011, ainsi que de nombreuses autres luttes récentes à travers l’Afrique, doivent être tirées. Les partis politiques qui promettaient de construire une démocratie capitaliste florissante se sont révélé n’avoir d’autre perspective que de tromper les masses et de servir de couverture au rétablissement des dictatures que les travailleurs venaient de renverser.

Actuellement, les dynasties politiques Sall et Wade manœuvrent avec le PASTEF pour tenter de ramener les manifestations sous le contrôle de l’establishment politique. Karim Wade a annoncé le 14 février que le chef du PASTEF, Ousmane Sonko, était «en négociation avec le Président Macky Sall pour obtenir rapidement sa liberté et celle des autres personnes emprisonnées avec lui». Se faisant l’écho de Sall, Wade a déclaré que cela permettrait la tenue «d’élections le 15 décembre dans le cadre d’un scrutin démocratique, ouvert, transparent et inclusif» pour choisir le prochain président.

PASTEF se présente comme un parti radical, mais c’est un parti procapitaliste qui parle au nom des couches de la classe moyenne aisée, hostile au socialisme et au pouvoir des travailleurs. Il se décrit comme un parti de «jeunes cadres de l’administration publique sénégalaise, du secteur privé, des professions libérales, des milieux enseignants et des hommes d’affaires qui, pour la plupart, n’ont jamais fait de politique». Il prône «une doctrine pragmatique, qui ne s’identifie à aucune idéologie historiquement connue: socialisme, communisme, libéralisme, etc.»

La condition préalable essentielle pour défendre les droits démocratiques et arrêter la propagation de la guerre et de la dictature, à travers l’Afrique et au niveau international, est de construire une avant-garde marxiste révolutionnaire dans la classe ouvrière, opposée au nationalisme bourgeois, et luttant pour amener la classe ouvrière au pouvoir et construire le socialisme.

(Article paru en anglais le 16 février 2024)

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