Les pays du G7 discutent d'un plan de saisie des avoirs financiers russes gelés

La Banque de Russie à Moscou [Photo by Ludvig14 via Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0]

Alors que les États-Unis et l’Union européenne sont confrontés à des difficultés politiques croissantes pour obtenir un financement militaire accru pour la guerre en Ukraine, un plan visant à saisir des actifs financiers russes gelés d’une valeur d’environ 300 milliards de dollars, qui circule depuis un certain temps, est désormais examiné de façon plus active.

Les avoirs de la banque centrale russe détenus dans des banques étrangères et des institutions financières internationales ont été gelés presque immédiatement après le début de la guerre, en février 2022, provoquant une onde de choc dans le système financier international. À ce moment-là, et dans les discussions qui ont suivi, la saisie proprement dite était considérée comme allant trop loin.

Au début de l'année, la Banque centrale européenne (BCE) a mis en garde contre une proposition de l’UE visant à utiliser les actifs et à les détourner vers l’Ukraine, et a déclaré que cela devait faire partie d'un plan global impliquant les puissances du G7.

«Nous devons être prudents car cela pourrait nuire à notre réputation», a déclaré la BCE, «il pourrait y avoir des implications pour l’euro en tant que monnaie sûre».

Dans une note interne publiée à l’époque, la BCE avait mis en garde contre les risques d’atteinte aux «fondements juridiques et économiques» du rôle international de l’euro. «Les implications pourraient être considérables», disait-elle.

Le risque est que d’autres pays, tels que la Chine et l’Arabie saoudite, qui stockent une partie de leurs réserves de devises en euros, considèrent que cela n’est pas sûr.

Selon un diplomate de l’UE, cité par le Financial Times (FT) lorsque la proposition de saisie des avoirs a été discutée pour la première fois au début de l’année: «Toutes les grandes économies dominées par l’euro sont très prudentes à ce sujet en raison des effets potentiels sur l’euro, les investissements étrangers et la compensation en euros.

Les avis divergent, comme en témoignent les récents commentaires adressés au FT.

Philip Zelikow, un ancien diplomate américain, a cité comme précédent l’indemnisation de plus de 52 milliards de dollars, finalement payée à la fin de l'année dernière, qui avait été extorquée à l’Irak pour l’invasion du Koweït en 1990.

«Il s’agit d’une opportunité énorme», a-t-il déclaré. «Nous avons passé près de deux ans à nous frayer un chemin dans les méandres juridiques et nous pouvons maintenant commencer à envisager les possibilités qui s’offrent à nous. Si cela fonctionne, l’argent en jeu — 300 milliards de dollars — changerait la donne pour l’Ukraine».

Ingrid Brunk, professeur de droit international à la Vanderbilt Law School, s’est opposée à cette idée, la jugeant «peu judicieuse».

« De nombreux pays ont subi des dommages en raison de nombreuses violations du droit international, sans qu'il soit suggéré de saisir les avoirs en devises étrangères. Ce sont les actifs les plus sacro-saints du système financier mondial ».

Malgré ces réserves, l’establishment politique impérialiste exerce aujourd’hui une pression concertée pour aller de l’avant.

L’ancien premier ministre britannique, aujourd’hui ministre des Affaires étrangères, Lord David Cameron, a déclaré à une commission parlementaire au début du mois qu’il était persuadé qu’il existait une «voie légale» pour confisquer les actifs.

Cameron s’appuyait sur une longue tradition. À l’époque où la Grande-Bretagne régnait sur la colonie de Ceylan, aujourd’hui Sri Lanka, on y disait que le maître colonial pratiquait «le parjure le jour et la falsification la nuit».

Cameron a déclaré qu’il faisait pression au sein du G7 en faveur de la proposition de saisie des actifs russes, affirmant que «des temps extraordinaires nécessitent des mesures extraordinaires». Il a nié qu’une telle action aurait un «effet dissuasif», car les investisseurs susceptibles d’être perturbés avaient déjà été «passablement refroidis par le fait que nous avons gelé les avoirs».

De la manière indiquée par l'expression sri-lankaise, les experts juridiques se mettent au travail.

Le FT rapporte que, bien que les États-Unis ne se soient pas officiellement prononcés en faveur de la saisie des avoirs, ils s’efforcent de faire avancer le projet. Le journal cite un récent document de travail du G7, rédigé par des responsables américains, qui présenterait la saisie comme une «contre-mesure» autorisée par le droit international pour «inciter la Russie à mettre fin à son agression».

Le document américain indique que la saisie d’actifs pourrait être «effectuée en tant que contre-mesure légale par les États qui ont été lésés et spécifiquement affectés par la violation du droit international par la Russie».

Cela signifie que les puissances impérialistes qui ont financé la guerre pourraient obtenir une partie des réserves russes à titre de compensation. Il est clair qu’il y a des pressions pour que cela se produise.

Selon un responsable occidental, cité dans un récent rapport du FT, il y avait des «conversations animées» au sein du G7 et un «consensus croissant» en faveur de l’utilisation des actifs souverains russes.

« Cela revient à cette question: est-ce aux seuls citoyens et trésors occidentaux de payer pour la guerre ou bien le Kremlin devrait-il lui aussi être mis à contribution»?

Suite à l'échec de l'UE à se mettre d'accord sur le financement de la guerre, un autre diplomate de l'UE a déclaré: «Nous devons trouver un moyen de faire parvenir de l’argent à l'Ukraine, sous quelque forme que ce soit. De plus en plus de pays pointent du doigt les actifs et se demandent pourquoi ils sont toujours là».

Des pressions s’exercent également de l’autre côté de l’Atlantique.

Un article paru hier dans le New York Times indiquait que le gouvernement Biden «signalait discrètement un nouveau soutien à la saisie de plus de 300 milliards de dollars d’actifs de la banque centrale russe entreposés dans les pays occidentaux» et pressait les autres membres du G7 de présenter un plan, peut-être d’ici le 24 février, date du deuxième anniversaire de l’invasion russe.

Lundi, le Wall Street Journal a publié une tribune de J. French Hill, membre républicain du Congrès de l’Arkansas, et de Lulzim Basha, membre du parlement albanais, affirmant qu’ils avaient uni leurs forces pour faire payer à la Russie la reconstruction de l’Ukraine.

«M. Poutine doit payer pour ses agressions et ses crimes de guerre. Une législation forte pour saisir tous les actifs souverains russes est un début», écrivent-ils.

Un autre problème est celui des intérêts payés sur l’argent russe gelé. Cela s’est avéré être ce qui s’appelle dans les milieux criminels un «joli petit revenu». Euroclear, la chambre de compensation basée en Belgique où se trouve la majeure partie de l’argent russe, a gagné environ 3 milliards d’euros au cours des neuf premiers mois de l’année. Des discussions sont en cours sur l’utilisation de ces bénéfices exceptionnels.

Au début du mois, la Commission européenne a approuvé une proposition visant à trouver un moyen «légal» d’utiliser les intérêts de ces actifs pour fournir à l’Ukraine jusqu’à 15 milliards d’euros au cours des quatre prochaines années.

Les détails de ce plan n’ont pas été rendus publics, contrairement à la pratique habituelle. Pour être mis en œuvre, il devrait être adopté par le Parlement européen et les 27 États membres, ce qui pourrait s'avérer impossible. Mais c'est une indication de la direction que prennent les événements.

Un pas important a été franchi en Allemagne cette semaine. Les procureurs ont intensifié les procédures entamées en juillet pour saisir plus de 720 millions de dollars détenus sur le compte d’une institution financière russe à Francfort. C’est la première fois qu’une mesure est prise pour saisir des actifs et pas seulement les geler.

Le ministre allemand de la justice, Marco Buschmann, a souligné l’objectif plus large qui sous-tend cette mesure.

«Ce qui s’applique personnellement aux dirigeants sans scrupules s’applique également aux actifs de leur appareil de pouvoir: nous ne permettrons pas que l’argent russe utilisé pour financer la guerre d’agression illégale reste intact sur des comptes allemands», a-t-il déclaré.

Il reste à voir si la mesure de saisie des avoirs russes sera mise en œuvre, mais il est clair qu’il y a une pression en ce sens. La crainte, malgré les déclarations enthousiastes de Cameron et d’autres, est que cela ait un impact majeur sur les opérations du système financier international.

Déjà, après le gel des avoirs russes au printemps 2022, un certain nombre de pays, dont la Chine, l’Arabie Saoudite et le Brésil, ont pris des mesures pour réduire leur dépendance à l’égard du dollar américain, reconnaissant qu’ils pourraient eux aussi faire l’objet de mesures s’ils s’écartaient de la voie tracée par les États-Unis et les autres puissances impérialistes.

La proposition de saisie d’actifs est également révélatrice des objectifs plus larges de la guerre entre les États-Unis et l’OTAN. Il ne s’agit pas de «défendre la démocratie» et la «petite Ukraine», mais de dépecer la Russie et de piller ses ressources. La saisie de ses actifs souverains constituerait un pas important vers cet objectif.

(Article paru d’abord en anglais le 22 décembre 2023)

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