Des milliardaires ultra-droitiers financent l’attaque contre les droits démocratiques

Nouvelles révélations sur la corruption à la Cour suprême des États-Unis

La révélation de la corruption endémique de la Cour suprême des États-Unis s’est amplifiée au cours de la semaine écoulée. Si le scandale se concentre sur le juge Clarence Thomas et son épouse Virginia «Ginni» Thomas, les plus ouvertement corrompus, il implique de plus en plus l’ensemble de la Cour, y compris le président de la Cour suprême et la minorité démocrate.

Le mois dernier, le site web de journalisme d’investigation ProPublica a publié une série d’exposés montrant que Clarence Thomas, un adversaire brutal des droits démocratiques et sociaux de la classe ouvrière, a accepté des millions de dollars de «cadeaux» non déclarés de la part de Harlan Crow, un donateur milliardaire du Parti républicain qui possède une collection d’objets hitlériens et nazis dans son manoir du Texas et qui affirme que le marxisme est sa plus grande crainte.

Le président de la Cour suprême des États-Unis, John Roberts, arrive avant que le président Joe Biden prononce le discours sur l’état de l’Union devant une session conjointe du Congrès au Capitole, le mardi 7 février 2023, à Washington. [AP Photo/Jacquelyn Martin]

Pendant plus de vingt ans, Thomas et sa femme ont profité de vacances somptueuses, tous frais payés, soit sur le superyacht de Crow, soit dans ses divers centres de villégiature privés, sans que Thomas en fasse état dans ses déclarations de revenus. Il était accompagné de cadres de groupes de réflexion fascistes, de barons de l’industrie et de dirigeants de la Société fédéraliste de droite, une courroie de transmission servant à placer des réactionnaires au sein des tribunaux fédéraux.

Depuis son accession à la haute cour en 1991, Thomas a joué un rôle central dans une série de décisions antidémocratiques et pro-patronales qui ont fait reculer des droits précédemment établis, y compris le droit de vote.

Il s’agit notamment de la décision 5-4 dans l’affaire «Bush contre Gore» (2000) qui a mis fin au recomptage des votes en Floride et a volé l’élection présidentielle pour George W. Bush, le perdant du vote populaire.

Parmi les autres décisions historiques dans lesquelles Thomas a rejoint la majorité de droite – la plupart du temps en rédigeant des décisions concomitantes qui définissent les positions les plus extrêmes de la droite – citons: Citizens United contre FEC (2010), qui a levé pratiquement toutes les restrictions sur les dons des entreprises aux campagnes électorales; Shelby County contre Holder (2013), qui a fortement sapé la disposition relative à l’application du Voting Rights Act de 1965; et Dobbs contre Jackson Women’s Health, qui a annulé le droit constitutionnel à l’avortement, rendu l’année dernière.

Thomas est impliqué dans la tentative de Trump de renverser l’élection de 2020 par le biais des activités de sa femme Ginni, une militante républicaine d’extrême droite de longue date qui a travaillé avec les avocats et les assistants de Trump pour faire annuler les listes électorales pro-Biden dans les États clés remportés par le candidat démocrate mais dirigés par des législateurs républicains. Clarence Thomas a refusé de se récuser dans les affaires de la Cour suprême liées à la tentative de coup d’État dans laquelle sa femme a joué un rôle majeur.

Depuis les premières révélations, ProPublica a publié des articles exposant le fait que Thomas a eu des relations financières directes avec Crow, ayant vendu la maison en Géorgie où sa mère vivait (et continue manifestement d’y vivre gratuitement) au fasciste milliardaire pour plus de 130.000 dollars. Thomas n’a pas signalé cette transaction dans ses déclarations financières.

Le 4 mai, ProPublica a publié un nouvel article qui documente le fait que Crow a payé les frais de scolarité du petit-neveu de Thomas dans une académie militaire privée pendant un an et dans un internat privé pendant une deuxième année, pour un coût total estimé à 150.000 dollars ou plus. Il a également indiqué qu’il y a une quinzaine d’années, Crow avait fait don d’une grande partie du budget d’un groupe politique fondé par l’épouse de Thomas, qui lui versait un salaire de 120.000 dollars. Rien de tout cela n’a été rapporté par le juge Thomas.

Un rapport d’enquête publié le 4 mai par le Washington Post est encore plus accablant: il révèle que Leonard Leo, l’ancien directeur de la Federalist Society et figure de proue de l’évolution des tribunaux vers l’extrême droite, s’est arrangé pour que Ginni Thomas reçoive secrètement des dizaines de milliers de dollars de la part de la sondeuse républicaine Kellyanne Conway en janvier 2012.

Le Post a écrit:

Leo, une figure clé dans un réseau d’organisations à but non lucratif qui a travaillé pour soutenir les nominations de juges conservateurs, a dit à Conway qu’il voulait qu’elle «donne» à Ginni Thomas «un autre 25.000 dollars», peut-on lire dans les documents. Il a insisté sur le fait que les documents «ne devaient pas mentionner Ginni, bien sûr…»

Leo a demandé à Conway de facturer au Judicial Education Project les 25.000 dollars supplémentaires acheminés secrètement vers la société de Ginni Thomas, Liberty Consulting.

Le Post a également rapporté ce qui suit:

Au total, selon les documents, la société de sondage [de Conway] a payé 80.000 dollars à la société de Thomas, Liberty Consulting, entre juin 2011 et juin 2012 et elle s’attendait à payer 20.000 dollars de plus avant la fin de l’année 2012.

Il a noté qu’en décembre 2012, le Judicial Education Project a présenté un mémoire d’amicus curiae dans l’affaire Shelby County contre Holder, qui plaidait en faveur de l’annulation de la disposition du Voting Rights Act qui exigeait que les États ayant des antécédents de ségrégation et de déni du droit de vote des Noirs obtiennent une autorisation fédérale avant de modifier leurs règles de vote. Thomas s’est prononcé à une majorité de 5 contre 4 contre cette disposition, contribuant à ouvrir la voie à une série de lois qui exigent des cartes d’électeurs et d’autres barrières qui visent les pauvres, les travailleurs et les jeunes.

Image recadrée d’un tableau accroché dans le complexe privé Topridge du milliardaire Harlan Crow, le représentant assis à côté de Clarence Thomas. En face de Thomas et de Crow, on trouve les avocats Peter Rutledge et Mark Paoletta, et le milliardaire Leonard Leo (au centre). [Photo: Sharif Tarabay via ProPublica]

Mais la prévalence des cadeaux corrompus et souvent non déclarés, des voyages gratuits, des honoraires lucratifs de conférencier et des transactions financières avec des personnes et des institutions riches et bien connectées n’est en aucun cas limitée à Thomas ou aux républicains de la Cour. Voici quelques-unes des révélations qui ont été faites au cours des dernières semaines:

  • Peu après avoir été promu à la haute cour en 2017, le juge Neil Gorsuch, premier nommé par Trump, a vendu une propriété au directeur général d’un grand cabinet d’avocats qui a souvent affaire à la cour et n’a pas divulgué l’identité de l’acheteur.
  • Jane Roberts, l’épouse du président de la Cour suprême John Roberts, a perçu 10,3 millions de dollars de commissions de la part de cabinets d’avocats d’élite pour leur avoir fourni les services d’avocats coûteux entre 2007 et 2014. Au moins l’un de ces cabinets a plaidé une affaire devant le président de la Cour suprême après avoir versé des centaines de milliers de dollars à sa femme. Cette information a été révélée par un dénonciateur, et non par le juge en chef Roberts.
  • Selon le Centre for Responsive Politics, le juge démocrate à la retraite Stephen Breyer a effectué au moins 225 voyages subventionnés entre 2004 et 2018, notamment en Europe, au Japon, en Inde et à Hawaï. L’un d’entre eux était un voyage à Nantucket payé par David Rubenstein, un magnat du capital-investissement. Certains de ces voyages ont été financés par la famille Pritzker, que le magazine Forbes classe parmi les 10 familles les plus riches des États-Unis. Elle comprend le gouverneur démocrate de l’Illinois, J. B. Pritzker.
  • En 2018, la défunte juge Ruth Bader Ginsburg a bénéficié d’une visite privée en Israël, payée par un milliardaire israélien, Morris Kahn, qui avait eu à faire aux tribunaux.

Le 30 avril, le New York Times a publié un article sur l’influence croissante de la droitière Scalia Law School de l’université George Mason, nommée d’après le juge archi-réactionnaire décédé lors d’une partie de chasse tous frais payés en 2016. Le Times a noté:

D’autres facultés de droit ont accueilli des juges lors de voyages à l’étranger tous frais payés. L’université de New York, par exemple, a envoyé les juges Ginsburg et Sotomayor à une conférence au Portugal en 2019, bien qu’elles n’aient pas reçu de salaire d’enseignant. En 2016, Tulane a payé le juge Alito pour enseigner à Berlin et à Paris, selon sa déclaration de cette année-là, et a couvert ses dépenses. Notre Dame, qui compte la juge Amy Coney Barrett parmi ses enseignants de longue date, a récemment tenté d’attirer l’attention de la Cour, en envoyant le juge Alito à Rome et le juge Kavanaugh à Londres.

Il a cité un coordinateur de la Scalia Law School qui a écrit à propos d’un cours que le juge (Neil M.) Gorsuch devait donner en Italie: «Pendant que nos invités sont avec nous, je m’attends (d’après l’expérience de Padoue) à ce qu’ils veuillent manger, boire et s’amuser avec nous (en particulier avec NMG)».

En fait, on connait depuis longtemps quelles sont les grandes lignes du lien entre l’argent des sociétés, l’influence politique et le pouvoir judiciaire fédéral au sein de la classe dirigeante et des cercles médiatiques. Ils sont tout simplement dissimulés au grand public.

Aujourd’hui, dans le contexte d’une guerre impopulaire en Europe, d’un effondrement général du système politique qui va jusqu’à une tentative de coup d’État par l’ancien président, d’une crise financière, d’une inflation galopante et d’une rébellion croissante de la classe ouvrière aux États-Unis et dans le monde, certaines parties de la classe dirigeante réagissent avec nervosité au discrédit jeté sur la Cour Suprême.

Le New York Times a récemment déploré le fait que la confiance du public dans l’institution considérée comme l’incarnation de «l’État de droit» ait atteint un plancher record de 25 pour cent, selon les sondages. Elle rivalise avec la présidence et le Congrès dans la rapidité avec laquelle elle est discréditée aux yeux de la population.

Mais le gouvernement Biden et le Parti démocrate n’ont aucune envie d’exiger la démission ou la mise en accusation de Thomas. Ils craignent d’affaiblir le soutien républicain à la guerre par procuration menée par les États-Unis en Ukraine contre la Russie, préoccupation centrale du gouvernement Biden, ainsi que de lever le voile sur les pratiques corrompues des juges «libéraux» et de droite.

Lorsque les premiers articles de ProPublica sur Thomas ont été publiés début avril, Alexandria Ocasio-Cortez, du Parti démocrate, une dirigeante de la fraction des Socialistes démocrates d’Amérique, a annoncé qu’elle présenterait une résolution en faveur de la destitution de Thomas. Mais après avoir reçu des instructions claires de ses supérieurs, elle a discrètement mis de côté cette demande, se contentant de tweeter que Thomas devrait démissionner.

Dick Durbin, chef de la majorité au Sénat et président de la commission judiciaire, a poliment demandé que le président de la Cour suprême, Roberts, assiste à une audition organisée le 2 mai pour discuter d’un nouveau code de déontologie. Lui et d’autres démocrates ont clairement indiqué que leur principale préoccupation n’était pas d’éradiquer la corruption ou de mettre fin au rôle des groupes de réflexion et des groupes de pression richement financés dans les multiples nominations de réactionnaires dans les tribunaux, mais de trouver une manière de redorer l’image de la Cour.

Roberts a envoyé une lettre superficielle à la commission pour décliner son invitation, en invoquant l’«indépendance» de la Cour et la séparation des pouvoirs. Il a joint un document sur les lignes directrices de la Cour en matière de surveillance et a qualifié d’inutile tout renforcement des règles et des procédures. Ce document a été cosigné par les neuf juges.

Ce qui a été révélé à la Haute Cour est l’existence d’une conspiration permanente contre les droits démocratiques et sociaux de la classe ouvrière sous la forme d’un organe non élu dont les membres sont nommés à vie. Il s’agit en fait d’une expression concentrée du caractère de toutes les institutions de l’État capitaliste, qui sont des instruments de domination de la classe dirigeante. Elles ne peuvent pas être «réformées», mais doivent être renversées et remplacées par des organes démocratiques de la classe ouvrière au pouvoir.

(Article paru en anglais le 6 mai 2023)

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