Des centaines de milliers de personnes ont manifesté en France samedi après-midi pour protester contre les violences policières et s’opposer à la loi du gouvernement Macron qui criminalise le fait de photographier ou de filmer la police. L’opposition à cette loi se renforce au milieu d’une série d’actes de violence policière durant la dernière semaine.
Plus de 100 manifestations ont été organisées, toutes les grandes villes ont eu la leur. La plus grande, celle de Paris, a commencé sur la place de la République à 14 heures et a fini à la place de la Bastille. Si le gouvernement a estimé à 46 000 les participants à la manifestation de Paris, les images et les vidéos montrent que le nombre réel était de plusieurs fois supérieur. Il y avait plus de 10 000 personnes à Bordeaux et à Lille, des milliers à Marseille, Lyon et Toulouse.
La police a répondu par une violente répression des manifestations, en particulier à Paris, où des centaines de policiers anti-émeutes ont été déployés. Le photographe indépendant syrien Ameer Al-Halbi, 24 ans, qui travaille avec l’AFP, a notamment été passé à tabac place de la Bastille. Le secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire, a publié samedi soir dans un hôpital un tweet d’Al-Halbi avec la tête et le visage bandés, affirmant que la police l’avait frappé au visage avec une matraque.
Gabrielle Cézard, une autre journaliste qui se trouvait avec Al-Halbi dans une rue étroite lorsque la police a attaqué, a déclaré: « Nous étions identifiables comme photographes et collés contre le mur. Nous avons crié: “Presse, presse ! Des projectiles ont été lancés depuis le côté des manifestants. Puis la police a mené une charge, matraques à la main. Ameer était le seul photographe à ne pas porter de casque ou de brassard. Je l’ai perdu de vue et je l’ai ensuite trouvé entouré de gens, le visage couvert de sang et de bandages ».
Dans une autre vidéo, on peut voir un policier anti-émeute braquer un pistolet à billes sur le visage d’un autre journaliste.
La loi sur la “sécurité globale”, qui a été adoptée par l’Assemblée nationale lundi et sera soumise au Sénat en janvier, rendrait passible d’une amende de 45 000 euros et de trois ans de prison la publication d’une vidéo montrant le visage d’un policier. En outre, elle élargit le pouvoir des policiers de porter leurs armes à feu hors de leur service, en exigeant qu’on ne leur refuse pas l’entrée de tout lieu public pour port d’arme. La loi prévoit également une autorisation générale pour l’utilisation par la police de drones pour filmer les manifestants, ce qui est déjà pratiqué.
La participation massive de samedi a également été déclenchée par la colère suscitée par deux incidents de violence policière survenus la semaine dernière. Lundi, la police anti-émeute s’est déchaînée sur la place de la République, attaquant un campement pacifique de 450 à 500 réfugiés mis en place pour protester contre le manque de logements et pour l’approbation de leurs demandes d’asile.
Jeudi, Loopsider a publié une vidéo d’une violente agression policière contre le producteur de musique noire Michel Zecler dans son studio d’enregistrement à Paris. Cette vidéo a été vue plus de 20 millions de fois. Zecler y raconte l’attaque minute par minute, tout en regardant les images de la caméra de surveillance montrant la police l’attaquant. L’agression dura plus de 20 minutes, il fut frappé à coups de pied, de poing et de matraque à maintes reprises à la tête et au visage, et fut traité de “sale nègre”.
La police a jeté Zecler en prison pendant 48 heures et l’a faussement accusé de les avoir agressé, avant d’être obligée d’abandonner toutes les charges lorsqu’on lui a présenté les images de la caméra de surveillance.
La loi de « sécurité globale » est reconnue à juste titre comme visant à fournir à la police une impunité accrue pour utiliser la violence contre la population. Au cours des deux dernières années, pas un seul policier n’a été inculpé pour la répression brutale des manifestations “gilets jaunes” et des grèves des chemins de fer, au cours desquelles des dizaines de personnes ont eu des yeux et des mains arrachés par les grenades paralysantes et les balles sac de haricots.
Au contraire, le commandant de la police anti-émeute dont l’unité a tiré la bombe lacrymogène ayant tué Zineb Redouane, une femme de 80 ans, à Marseille, figurait parmi 9 000 policiers décorés de la médaille d’honneur, tout comme le chef de l’unité qui a assailli un concert de musique à Nantes et a provoqué la noyade de Steve Canico, âgé de 24 ans.
Face à une explosion d’opposition de la part de la population, Macron a publié vendredi une déclaration sur Facebook affirmant que les image de l’attaque de Zecler « nous font honte. » Macron, dont la violence policière habituelle contre les manifestations pacifiques a été condamnée par les organisations internationales des droits de l’homme, a clamé de manière absurde son soutien à la « liberté de manifester. Quelles que soient les circonstances, chaque citoyen doit pouvoir exprimer ses convictions et revendications à l’abri de toute violence et de toute pression. »
Trois policiers impliqués dans le passage à tabac de Zecler ont été placés en détention provisoire. Le gouvernement a annoncé un réexamen interne de l’attaque du camp de réfugiés de lundi dernier y compris l’agression du journaliste Rémy Buisine, par ses enquêteurs internes de la police (IGPN), dont le rôle est d’enquêter sur la police mais qui la disculpe invariablement.
Jeudi, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a faussement affirmé dans une interview au journal de 20 heures sur France2 que Buisine avait refusé de témoigner dans l’enquête de l’IGPN, ce que Buisine a réfuté dans un tweet, déclarant que personne n’avait tenté de le contacter.
Le Parti socialiste (PS), les Verts et la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon sont intervenus dans le mouvement de protestation pour le canaliser derrière des appels creux à la réforme de la police. Ces partis soutiennent tous la mise en place d’un État policier contre l’opposition croissante de la classe ouvrière aux inégalités sociales, comme ils ont soutenu l’imposition de deux ans d’état d’urgence par le PS sous François Hollande. Ils sont terrifiés par la possibilité d’une explosion de colère de la classe ouvrière et le développement d’un mouvement de sa part contre le capitalisme.
Hollande a publié une déclaration sur Twitter appelant Macron à retirer la loi sur la « sécurité globale, » ajoutant qu’il y avait « plus d’honneur » à retirer une loi « quand le risque c'est de créer de l'incompréhension et des violences. »
Le député du LFI Adrien Quatennens a appelé Darmanin à aller « vers la désescalade » par le « limogeage du préfet Lallement et le retrait de cette proposition de loi », qui est « contestée jusque dans les rangs de la majorité. »
Mélenchon, s’adressant aux journalistes lors de la manifestation de samedi, a déclaré qu’ « il est temps de procéder à une reprise en main générale de la police et, pour être encore plus clair, à une refonte de la police ». Il n’a donné aucun détail sur ce qu’impliquerait une telle “refonte”, si ce n’est de déclarer que dans un gouvernement « démocratique », la police serait « gardienne de la paix ».
Le but de Mélenchon est de dissimuler aux travailleurs le rôle historique essentiel de la police en tant qu’arme répressive directe de l’État capitaliste, chargée de protéger les intérêts d’une petite élite capitaliste qui a amassé d’immenses richesses contre l’opposition populaire d’en bas. Le virage rapide de Macron vers la construction d’un État policier autoritaire fait partie du virage vers la dictature des gouvernements capitalistes du monde entier: du Brésil aux États-Unis en passant par l’Allemagne, où le parti fasciste Alternative pour l’Allemagne (AfD)a été élevé au rang d’opposition officielle au parlement allemand.
Ce processus est alimenté par l’énorme croissance des inégalités sociales qui a été intensifiée par la pandémie de coronavirus. La réponse à cette stratégie de la classe dominante est la construction d’un mouvement révolutionnaire international de la classe ouvrière pour renverser le capitalisme et établir des États ouvriers, exproprier les richesses de l’élite financière et réorganiser l’économie pour répondre aux besoins sociaux.