Des travailleurs québécois et ontariens dénoncent le manque d’équipements de protection individuels

Partout au Canada, les travailleurs de la santé doivent porter le fardeau des décennies de compressions budgétaires et de privatisations dans les services publics. Les entrevues qui suivent illustrent leur impact dévastateur dans divers hôpitaux et organismes de soins de santé.

Julianne est inhalothérapeute dans un hôpital sur la Rive-sud de Montréal. Comme spécialiste cardio-respiratoire, elle travaille directement auprès des gens atteints de la COVID-19. Sa plus jeune patiente est dans la jeune quarantaine.

«Comme les chirurgies électives ont été mises sur pause, les directions ont transféré les travailleurs du bloc opératoire vers d’autres secteurs comme les soins intensifs. Les procédures sont très différentes, mais nous avons eu une seule journée de réorientation pour connaître les procédures et savoir où se trouve le matériel.»

«On nous dit de limiter les masques N95. Au lieu de prendre un N95 pour chaque patient comme on devrait le faire, on prend un masque N95 qu’on met avec tout le reste de l’équipement, puis on ajoute un masque de procédure par-dessus, qu’on jette entre chaque patient», explique Julianne. «Le masque de procédure et la visière que nous devons porter protègent le N95 des gouttelettes. Du moins c’est ce qu’on nous dit, mais on ne sait pas. La compagnie de masque ne recommande pas cette procédure en tout cas», ajoute-t-elle.

Julianne a vu des travailleurs utiliser des acétates peu rigides dans lesquels ils faisaient deux petits trous et y passaient une ficelle en guise d’attache. «Une de mes collègues portait une telle visière aussi. Elle a dû faire des manœuvres sur un patient ventilé et malheureusement le circuit s’est débranché. L’air du respirateur a fait voler l’acétate et ma collègue a été extrêmement exposée aux sécrétions du patient», raconte-t-elle.

«Dans un monde idéal, du moment où on est exposé, on devrait être retiré du travail, mais ce n’est pas la réalité. Tant qu’on n’a pas de symptômes ou de test positif, on doit continuer à travailler, même si on sait que la période d’incubation est de deux semaines. Pendant ce temps, une personne infectée va travailler et potentiellement contaminer des collègues ou d’autres patients».

Julianne fait aussi le lien entre la situation actuelle et les compressions budgétaires dans la santé: «Il y a tellement eu de coupures dans les dernières années. Le budget devient une question de priorité devant la santé des patients. On ne remplace pas les absents parce que "ça coûte trop cher". Alors on est forcé de faire du temps supplémentaire obligatoire».

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Carlos a travaillé pendant 15 ans comme intervenant auprès des personnes malentendantes et malvoyantes en Ontario. Il travaille maintenant dans un foyer à but non lucratif pour adultes handicapés, y compris des personnes âgées.

Carlos explique que dans son milieu, «la gestion des masques et des EPI (équipements de protection individuels) a été un vrai désastre. On nous a fourni des gants, ce que nous avons toujours eu, mais rien d'autre. Il n'y a pas de véritables équipements de protection disponibles. J'ai envoyé un message au syndicat de la fonction publique (SCFP) et bien sûr, ils y travaillent. Je viens de recevoir un message cette semaine disant qu'ils organisent des réunions à ce sujet maintenant. Il semble que c'est juste ce qu'ils reçoivent directement du ministère.»

«Au foyer, qui est en fait une maison, les usagers sont tous entassés dans le salon. La direction nous a envoyé une note de service nous disant de les placer tous dans des endroits séparés, mais nous ne pouvons pas les mettre dans leur chambre 24 heures sur 24. Ils ne comprennent pas la gravité de la situation et ils sont déjà en colère. Cela devient donc de plus en plus dangereux pour le personnel», raconte l’intervenant.

Il conclut en disant que «si nous tombons malades, nous devons utiliser nos congés de maladie, mais plusieurs d’entre nous n’ont pas de congés de maladie. Nous serons alors obligés d'utiliser nos jours de vacances pour couvrir les absences dues au coronavirus ».

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Marianne travaille comme assistante de programme avec 20 autres employés dans un centre de santé communautaire à but non lucratif de la région d'Ottawa pour les personnes atteintes de démence et d'autres problèmes de santé mentale.

Marianne souligne que «les choses ont énormément changé depuis l'épidémie de COVID-19 et maintenant nos services sont presque totalement arrêtés. Tout se fait à distance (le programme zoom et des appels téléphoniques) depuis la mi-mars. Nous n'avions pas d'EPI avant de fermer. La semaine précédente, nous avions vraiment intensifié l’utilisation du désinfectant pour les mains, mais nous n'avions jamais utilisé de masques.»

«Il aurait dû y avoir des stratégies et de l’équipement en place au cas où quelque chose comme ça arriverait. Jamais est-ce qu’une pandémie aurait dû être considérée comme un événement improbable. Il y a eu des pandémies depuis le début des temps.»

Marianne est également critique par rapport à la réalité des travailleurs au front et celle des hauts dirigeants qui s’en sortent relativement indemnes. «Notre PDG a eu le culot de nous envoyer une vidéo à Pâques avec sa famille qui se balade dans son jardin avec des oreilles de lapin de Pâques. Sa maison est grandiose. Il envoie cela à des travailleurs qui ont deux boulots, qu'on paie un salaire de misère et qui ont du mal à joindre les deux bouts.»

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