La pandémie mondiale de coronavirus met en évidence l'incapacité du capitalisme à résoudre les problèmes complexes d'une société de masse. Cela est vrai non seulement pour ce qui est de contenir le virus et de protéger la population, mais aussi pour la mise au point d'un vaccin, qui est crucial pour surmonter la pandémie à long terme.
La coopération internationale entre les scientifiques et les moyens technologiques pour la mise au point de vaccins ont fait d'énormes progrès au cours des dernières décennies. Le génome d'un virus peut être décodé en très peu de temps, et au lieu d'immuniser les personnes atteintes avec une forme atténuée du virus, il est désormais possible de construire des vaccins en recourant au génie génétique.
Toutefois, le contrôle de la production de médicaments par une poignée de sociétés pharmaceutiques, qui réalisent d'énormes profits et protègent ces découvertes révolutionnaires par des brevets, fait obstacle à ces réalisations. Le résultat est que la production de médicaments vitaux est retardée ou bloquée entièrement, et ceux qui sont développés sont inabordables pour de larges pans de l'humanité. De plus, les progrès médicaux sont souvent utilisés comme des armes dans la compétition mondiale pour les marchés et les profits, la société qui contrôle un médicament le refusant à ses rivaux économiques.
Les méthodes impitoyables utilisées dans ce combat ont été démontrées ces derniers jours dans le conflit qui entoure la société allemande de biotechnologie CureVac, qui travaille sur un vaccin contre le Coronavirus.
Dimanche, Welt am Sonntag a rapporté que le président Donald Trump a offert à CureVac d'énormes sommes d'argent pour transférer ses recherches aux États-Unis et obtenir pour ces derniers le droit exclusif sur le vaccin pour le Coronavirus COVID-19 qu'elle développe.
Ce qu'il peut y avoir de vrai dans cette histoire n'est pas clair. Dietmar Hopp, qui possède 80 % de CureVac, n'a semblé confirmer l'histoire que lorsqu'il a déclaré que la vente de la société aux États-Unis n'était «pas une option» pour lui. Il a ajouté qu'il ne serait pas possible pour une société allemande de développer le vaccin et de le faire utiliser exclusivement aux États-Unis. Hopp, qui a cofondé la société de logiciels SAP en 1972, est l'un des hommes les plus riches d'Allemagne, avec des actifs de 10 milliards d'euros. Il est aujourd'hui investisseur dans des start-up médicales et mécène d'artistes.
Après la publication du rapport, les responsables du gouvernement allemand ont attaqué les États-Unis avec véhémence et se sont comportés de manière non moins nationaliste que Trump.
«L'Allemagne n'est pas à vendre», a déclaré le ministre fédéral de l'économie Peter Altmaier (Union chrétienne-démocrate - CDU). Le gouvernement fédéral «a un grand intérêt à produire des substances actives et des vaccins en Allemagne et en Europe», a-t-il ajouté. M. Altmaier a déclaré que le gouvernement allemand pourrait empêcher le rachat d'entreprises allemandes par d'autres pays, «surtout lorsque des intérêts de sécurité nationaux ou européens sont en jeu».
Le ministre des affaires étrangères Heiko Maas (Parti social-démocrate - SPD) a déclaré que les chercheurs allemands étaient «à la pointe du développement de médicaments et de vaccins, dans le cadre d'une coopération mondiale.» Il a poursuivi: «Nous ne pouvons pas permettre à d'autres de s'approprier exclusivement les résultats de leurs recherches.»
De hauts représentants de l'administration américaine, en revanche, ont qualifié le reportage au New York Times d'«exagéré».
Mardi, CureVac a démenti ces informations dans le Welt am Sonntag. L'entreprise a déclaré sur Twitter: «Pour que les choses soient claires une fois de plus: CureVac n'a pas reçu d'offre du gouvernement américain ou d'agences qui lui sont liées avant, pendant ou depuis la réunion du groupe de travail de la Maison Blanche le 2 mars.» Et lors d'une conférence téléphonique avec des journalistes internationaux, la direction a expressément nié avoir reçu une offre de rachat ou une offre de production exclusive de Trump ou de la Maison Blanche.
Ce qui est certain, c'est que le responsable de CureVac de l'époque, Dan Menichella, un citoyen américain, a rencontré la Coronavirus Task Force, dirigée par le vice-président Mike Pence, à la Maison Blanche le 2 mars. Les dirigeants de plusieurs autres entreprises de biotechnologie et le président Trump lui-même ont également participé à cette réunion. M. Menichella a annoncé que sa société allait bientôt faire entrer un vaccin dans la phase d'essai.
Huit jours plus tard, Menichella a dû démissionner de la société qu'il dirigeait depuis deux ans. Il a été remplacé par Ingmar Hoerr, qui avait initialement fondé CureVac. Une semaine plus tard, Hoerr a également démissionné, «pour des raisons de santé», a-t-on dit. Il a été remplacé par son adjoint, Franz-Werner Haas.
Le bras de fer autour de CureVac, impliquant les plus hauts cercles gouvernementaux, montre l'effort intense que l'industrie pharmaceutique déploie dans la lutte pour les profits et les parts de marché. Aucune crise n'est trop grave pour qu'on ne puisse pas l'utiliser pour faire de l'argent.
Un vaccin contre le Coronavirus COVID-19 va permettre de réaliser d'énormes profits. Mais son développement est coûteux et long. La Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI – Coalition pour innovations en préparation d'épidémies) estime que le développement rapide des vaccins pour le Coronavirus COVID-19 nécessitera quelque deux milliards de dollars au cours des douze à dix-huit prochains mois.
Selon un rapport du journal britannique The Observer, quelque 35 entreprises et institutions universitaires du monde entier sont actuellement engagées dans une course au développement d'un tel vaccin. Comme les scientifiques chinois ont mis à disposition la séquence du gène du coronavirus SRAS-CoV-2 au début du mois de janvier, les travaux de recherche ont pu commencer très tôt.
Afin d'assumer les coûts énormes de la recherche, des tests, de l'approbation et de la production, les entreprises dépendent de fonds publics et de riches donateurs, tels que Hopp et la Fondation Bill & Melinda Gates, laquelle détient également une participation dans CureVac, qui peuvent se permettre d'investir des sommes importantes dans des projets risqués. Étant donné que seuls quelques concurrents parviennent à l'approbation clinique, les gros investissements sont une perte totale pour la plupart des entreprises concurrentes. Mais ceux qui franchissent la ligne d'arrivée peuvent s'attendre à une énorme manne.
Les gouvernements capitalistes ont tout intérêt à garder ces entreprises dans leur propre pays. Ils cherchent à renforcer leur position sur le marché pharmaceutique mondial, qui s'élevait à 1200 milliards de dollars en 2018. Cinq pays en représentent bien plus de la moitié: les États-Unis (485 milliards de dollars), la Chine (134 milliards de dollars), le Japon (85 milliards de dollars), l'Allemagne (52 milliards de dollars) et la France (36 milliards de dollars).
Hopp a été célébré comme un héros par les médias allemands après avoir assuré qu'il ne vendrait pas CureVac aux États-Unis. Sous le titre «L'attaque effrontée contre CureVac est un signal d'alarme pour l'Allemagne», Die Welt a écrit que «la tentative trop maladroite d'attirer des technologies précieuses et des scientifiques intelligents de Tübingen vers l'Amérique avec beaucoup d'argent a secoué l'Allemagne.»
Entre-temps, on a appris que CureVac a reçu un engagement de la Commission de l'Union européenne pour un financement de 80 millions d'euros à la suite de la prétendue offre des États-Unis. Le CEPI, qui est cofinancé par le gouvernement allemand, soutient également le projet de vaccin de CureVac à hauteur de 8,3 millions de dollars.
CureVac développe le vaccin basé sur l'ARN messager de la molécule (ARNm). Selon Richard Hatchett, PDG du CEPI, cette technologie permet «de développer un candidat vaccin pour des tests cliniques en quelques mois, en utilisant la séquence de gènes connue de l'agent pathogène - un processus beaucoup plus rapide que ce qui était possible auparavant.» Outre CureVac, la société américaine Moderna utilise également cette technologie. Elles - et la société allemande BioNTech- sont actuellement en tête de la course pour un vaccin contre les coronavirus.
Le propriétaire de CureVac, M. Hopp, a récemment déclaré qu'il espérait qu'un vaccin serait disponible dès l'automne. Cependant, en raison des tests cliniques nécessaires, les experts considèrent que cela n'est pas réaliste et s'attendent à ce que le vaccin prenne 12 à 18 mois avant d'être prêt.
Le développement d'un vaccin serait probablement beaucoup plus avancé si la recherche sur les épidémies de SRAS et de MERS qui ont éclaté en Chine en 2002 et en Arabie Saoudite en 2012 avait continué. Ces agents pathogènes sont étroitement liés au coronavirus actuel. Toutefois, les travaux sur un vaccin ont été interrompus lorsque les épidémies se sont atténuées, bien que les experts aient prédit des épidémies similaires à l'avenir.
Le Dr Peter Hotez, qui avait travaillé au Texas sur le développement d'un vaccin contre le virus du SRAS, a déclaré au Houston Chronicle que son équipe était à la recherche d'un investisseur ou de subventions pour des essais cliniques, «mais nous n'avons pas pu susciter beaucoup d'intérêt». Au lieu de cela, le vaccin a fini dans le réfrigérateur. «Nous aurions pu le préparer et tester l'efficacité du vaccin au début de cette nouvelle épidémie en Chine», a conclu M. Hortez.
Les grandes entreprises pharmaceutiques, qui réalisent des milliards de dollars de bénéfices, n'ont aucun intérêt économique dans le développement de tels vaccins, qui pourraient ne jamais être utilisés. Sous le titre «Comment le profit rend plus difficile la lutte pour un vaccin contre les coronavirus», le journal britannique le Guardian écrit: «Les vaccins contre les épidémies [...] souffrent d'un manque d'intérêt quasi total des marchés qui animent l'industrie pharmaceutique.»
Il poursuit: «Un succès pour ces entreprises est un traitement contre une maladie répandue et persistante qu'elles peuvent vendre chaque année à perpétuité. Le dernier grand succès de cette industrie a été le vaccin anti-papillomavirus Gardasil de Merck, en développement depuis près de 20 ans, lancé en 2006 et qui rapporte encore plus d'un milliard de livres sterling par an. Il n'y a pas moyen d'appliquer facilement leur modèle de recherche et de profit à combustion lente à une épidémie.»
Le Guardian conclut: «Le dispositif actuel est souvent le pire des deux mondes: trop lent à reprendre la recherche sur les nouvelles menaces parce que l'argent n'est pas là, et trop rapide à lâcher prise si l'on ne peut pas être sûr que l'argent sera là à l'avenir. C'est un système très dépendant du marché, et le marché nous laisse généralement tomber.»
La pandémie mondiale de COVID-19 exige une réaction socialiste: la mise en commun à l'échelle mondiale de toutes les ressources et connaissances scientifiques, sans intérêts nationaux ou commerciaux, pour fournir dans les plus brefs délais un vaccin disponible pour tous les habitants de la planète.
(Article paru en anglais le 20 mars 2020)