La liquidation boursière s’est intensifiée à Wall Street lundi. Les indices boursiers ont fait leur plus grande chute depuis l’effondrement du «lundi noir» d’octobre 1987, malgré la réduction par la Réserve fédérale de son taux d’intérêt à près de zéro et sa reprise des achats d’actifs financiers.
La plongée du marché boursier s’est généralisée avec la propagation du coronavirus aux États-Unis et dans le reste du monde, et la mise en place de nouvelles restrictions sur l’activité économique et sociale.
L’indice Dow a chuté de près de 3.000 points – sa plus forte baisse de l’histoire – perdant près de 13 pour cent. L’indice S&P 500 a chuté de 12 pour cent, le ramenant à 30 pour cent sous son niveau d’il y a un mois. Le Nasdaq a baissé de 12 pour cent, la plus forte baisse en un jour de l’histoire de l’indice.
La chute de Wall Street se produisit après des ventes considérables en Asie-Pacifique et en Europe. Le marché australien a été l’un des plus touchés, avec une baisse de près de 10 pour cent pour la journée. L’indice FTSE du Royaume-Uni a chuté de 4,7 pour cent supplémentaires, portant ses pertes totales pour l’année à 30 pour cent.
Le thème de tous les commentaires des analystes financiers était que l’action des banques centrales ne pouvait rien faire pour arrêter la spirale descendante.
«La Réserve fédérale a tout misé sur cette question. Si nous sommes face à la fin de l’action des banques centrales, cela signifie que nous sommes seuls», a déclaré Seema Shah, stratégiste en chef de «Principal Global Investors». «Une peur s’installe sur le marché; les investisseurs sont terrifiés à l’idée que c’est tout ce qui restait».
Dans des commentaires rapportés par le Financial Times, Joachim Fells, conseiller d’économie mondiale du grand trader d’obligations Pimco, a déclaré que les marchés étaient inquiets de «ce qui ressemble actuellement à une récession inévitable… se transformant en dépression et les marchés financiers [passant] d’une baisse à un effondrement».
Les dernières données économiques de la Chine montrent à quoi ressemble une «récession qui se transforme en dépression».
Dans les deux premiers mois de l’année, alors que le pays se mettait en confinement du au coronavirus, la production industrielle atteignit son niveau le plus bas jamais enregistré, baissant de 13,5 pour cent, bien en dessous de ce que les analystes avaient prévu.
Les ventes au détail ont chuté de 20,5 pour cent et les investissements d’actif immobilisé de 24,5 pour cent, après une augmentation de 5,4 pour cent lors de leur dernière publication.
La croissance des services a chuté de 13 pour cent. En combinant ces chiffres, Capital Economics a estimé que le Produit intérieur brut chinois avait chuté de 13 pour cent au cours des deux premiers mois de l’année.
L’impact massif sur l’économie chinoise est un aperçu de ce à quoi le reste du monde peut s’attendre dans les semaines et mois à venir.
Jim McCafferty, co-responsable de la recherche sur les actions en Asie-Pacifique de la société financière japonaise Nomura, a déclaré au Wall Street Journal que les données chinoises «envoient un signal effrayant aux autres économies. Nous verrons un impact similaire sur les chiffres du PIB mondial».
Une enquête menée au début de ce mois sur l’activité des entreprises dans l’État de New York fournit un avant-goût de ce qui se passera aux États-Unis et ailleurs. Celle-ci révèle qu’un indice des conditions générales des affaires a chuté de 34 points pour atteindre -21,5 – la plus forte baisse de son histoire et son niveau le plus bas depuis 2009.
L’une des principales motivations de l’intervention d’urgence de la Réserve fédérale était un signe clair du gel des marchés du crédit, le rendement des bons du Trésor ayant augmenté plutôt que diminué suite à la chute du marché, et le commerce des titres adossés à des créances hypothécaires s’étant arrêté.
Pour tenter de remédier à cette situation, la Fed a injecté 1,5 mille milliards de dollars dans le marché des pensions au jour le jour. Mais cette mesure a échoué et elle a décidé de reprendre ses achats d’actifs financiers tels que bons du Trésor et titres adossés à des créances hypothécaires.
Le premier achat de 40 milliards de dollars a eu lieu hier. Mais la branche new-yorkaise de la Fed a tout de même jugé nécessaire d’intervenir à hauteur de 500 milliards de dollars sur le marché des pensions de titres (emprunts à très court terme: moins de 24 heures) hier, après que les taux aient grimpé jusqu’à 2 pour cent. Elle a déclaré que ce soutien supplémentaire était nécessaire pour assurer le «bon fonctionnement» du marché des financements à court terme en dollars.
Une des raisons de la chute précipitée du marché est l’émission d’appels de marge aux débiteurs par leurs créanciers, dans lesquels ils demandent plus de liquidités pour garantir leurs prêts. Cela conduit à une situation où les actions sont vendues sur un marché en baisse dans le but d’obtenir des liquidités, ce qui aggrave la chute.
L’ampleur de ce processus est indiquée par la chute du prix de l’or et du platine, qui sont tous deux généralement considérés comme des valeurs refuges en cas de turbulences sur les marchés. L’or a maintenant effacé tous ses gains de prix pour l’année et le prix du platine a chuté de plus d’un quart.
Selon un trader, cité par le Financial Times, «il s’agit de tout vendre», car les fonds spéculatifs et autres spéculateurs cherchent à couvrir les pertes et les appels de marge.
Le resserrement du crédit prend beaucoup plus d’ampleur en raison de l’accumulation de dettes au cours de la dernière décennie, dont une grande partie n’a pas servi à financer des investissements productifs, mais a été utilisée dans des rachats d’actions, des prises de contrôle et des opérations de fusion.
En première ligne, on trouve les entreprises qui ont utilisé des obligations de qualité inférieure à celle d'un investissement, ou des obligations dites de pacotille, pour financer leurs activités. Cela a été une source de financement importante dans l'industrie américaine du pétrole de schiste, où les investissements ont été réalisés en partant du principe que le prix du pétrole resterait supérieur à 50 dollars le baril.
Nombre de ces entreprises sont menacées de faillite en raison de la chute des prix du pétrole à environ 30 dollars le baril.
Cette chute a été amorcée par la guerre des prix du pétrole lancée par l’Arabie saoudite il y a 10 jours et a été exacerbée par la chute de la bourse et la reconnaissance du fait que l’économie mondiale va certainement connaître une récession, voire pire.
Mais à mesure que la crise s’aggrave, d’autres secteurs de l’économie, surtout l’industrie aérienne, sont gravement touchés. Hier, l’agence de notation S&P a abaissé la note de la dette du plus grand constructeur aéronautique mondial, Boeing, à BBB, soit un cran au-dessus du statut de «pacotille».
Cette dégradation a été motivée par la crainte que Boeing ne brûle rapidement les liquidités disponibles grâce à sa ligne de crédit de plus de 13 milliards de dollars.
Les compagnies aériennes réduisent leurs horaires de vol, tant pour les voyages internationaux que nationaux ; les compagnies américaines indiquent que les annulations de réservations dépassent les nouvelles commandes.
Symptôme de la crise mondiale du secteur, la compagnie australienne Qantas a annoncé qu’elle réduisait ses activités internationales de 90 pour cent et ses vols intérieurs de 60 pour cent
Dans un rapport sur l’industrie, le «Centre for Aviation», un groupe de conseil réputé, a averti que d’ici fin mai, la plupart des compagnies aériennes seront en faillite en raison des restrictions de voyage introduites par les gouvernements du monde entier.
«De nombreuses compagnies aériennes sont probablement déjà en faillite technique, ou sont au moins en grande partie en violation de leurs engagements», a-t-il déclaré. Le «Centre for Aviation» a appelé à une action gouvernementale d’urgence «si l’on veut éviter une catastrophe».
Avant même la dernière série de restrictions de voyage, Iata, l’organisation professionnelle des compagnies aériennes, estimait que le secteur perdrait jusqu’à 113 milliards de dollars à cause de la crise.
La signification plus générale de la crise financière et économique a été soulignée dans une note de recherche publiée vendredi dernier par la banque d’investissement australienne Macquarie.
«Si cette ‘spirale de la mort’ n’est pas arrêtée» déclarait-elle, «tous les actifs, à l’exception de ceux d’une extrême sécurité, s’effondreront, les capitaux seront gelés et les liquidités disparaîtront. À ce moment-là, tout notre monde financiarisé basé sur les actifs sera réinitialisé».
«Les fonds s’effondreront, les pensions ne seront pas payées et nous devrons reconnaître que des décennies de croissance n’étaient pas durables, faisant finalement converger la masse monétaire et le PIB et, ce faisant, effaçant des années de hausse du niveau de vie».
Publiées avant la dernière crise, les recherches de Macquarie appelaient les banques centrales à s’engager dans une véritable politique d’assouplissement quantitatif. Depuis lors, la Réserve fédérale a adopté cette politique et l’effondrement se poursuit toujours.
La référence à la convergence entre masse monétaire et PIB met en évidence la raison sous-jacente de la crise économique. En effet cette dernière est marquée par la divergence entre l’élévation des marchés financiers, gonflés par la dette au cours des trois dernières décennies, par rapport à l’économie réelle.
Le château de cartes financier qui en résulte est à l’origine de l’aggravation de la crise économique, financière et sanitaire. Elle ne peut être résolue qu’en mettant fin à la domination du capital financier responsable du désastre, et à la réaffectation massive des ressources et des richesses issues du système financier pour répondre aux besoins sociaux et humains, et non au profit.
En bref, elle exige la reconstruction économique complète de la société à l’échelle mondiale sur des bases socialistes.
(Article paru d’abord en anglais 17 mars 2020)