Le premier ministre italien Giuseppe Conte a étendu lundi les mesures d'urgence contre la pandémie de coronavirus à l'ensemble du pays dans l'espoir de limiter sa propagation vers le Sud et a redirigé des ressources vers la région de Lombardie, fortement touchée.
Dans son discours télévisé à la nation, il a déclaré qu’ « il n’y avait plus de temps. » La pandémie a trouvé un nouvel épicentre en Italie où l’on compte plus de 10 000 cas signalés. En seulement 24 heures, 977 nouveaux cas ont été confirmés avec 168 nouveaux décès, tandis que 877 restent dans un état critique. Le nombre total de morts de Covid-19 s'élevait mardi à 631. L'infrastructure sanitaire du pays est épuisée.
Dans un commentaire qui fait le buzz, le Dr Daniele Macchini, médecin de l'unité de soins intensifs de Bergame, près de Milan, fait un récit personnel troublant de la dévastation causée par la pandémie.
«Je vais essayer […] de décrire aux gens loin de notre réalité ce que nous vivons à Bergame en ces jours de pandémie de Covid-19. Je comprends la nécessité de ne pas créer de panique, mais quand le message de la dangerosité de ce qui se passe n'arrive pas aux oreilles des gens, je tremble… »
«La guerre a littéralement explosé, et les batailles sont ininterrompues de jour comme de nuit… les cas se multiplient, nous arrivons à un taux de 15-20 entrées par jour pour la même raison. Les résultats des prélèvements se succèdent désormais: positifs, positifs, positifs. Soudain, l'unité d’urgence s'effondre.
«Le personnel vit à l'hôpital. Les interventions chirurgicales sont annulées et les blocs opératoires sont convertis en salles de traitement où chaque ventilateur disponible utilisé vaut ‘de l’or’. L'épuisement prend le dessus à mesure que les équipes travaillent en continu sans aucun répit en vue. Le personnel est obligé de dépasser les limites de l'endurance humaine. Ils ne peuvent pas rentrer chez eux de peur d’infecter leur famille. Certains travaillent pendant que leurs familles touchées à la maison luttent pour leur vie. Ils regardent désespérément, sachant que le sort de certains des patients dont ils s'occupent les attend dans quelques heures. »
Des témoignages similaires ont été partagés par des médecins chinois travaillant d’arrache-pied alors qu'ils tentaient de comprendre l'incompréhensible, au début de la crise. Beaucoup sont également tombés gravement malades et certains ont succombé à la pneumonie interstitielle bilatérale qui leur a enlevé le dernier souffle.
En conclusion, le Dr Macchini écrit: «Je termine en disant que je ne comprends vraiment pas cette guerre contre la panique. La seule raison que j’y voie est la pénurie de masques, mais il n'y a plus de masque en vente. Nous n'avons pas beaucoup d'études, mais la panique est-elle vraiment pire que la négligence et l’insouciance lors d'une épidémie de ce genre? »
Les données projetées par diverses sources qui suivent les statistiques mondiales montrent que l'Allemagne, la France, l'Espagne, la quasi-totalité de la zone euro, ainsi que les États-Unis, ne se trouvent qu’une à deux semaines derrière l'Italie. Mardi, aux États-Unis, 985 cas ont été signalés, 29 d’entre eux mortels dont 25 dans l'État de Washington, dans un établissement d’EHPAD. Il y a eu 169 nouveaux cas aux États-Unis mercredi. Dans le Massachusetts, on a annoncé 51 nouveaux cas, soit une augmentation de 124 pour cent.
L'État de New York, avec 173 cas, est juste derrière Washington avec 179 cas. La plupart de ces cas se trouvent à New York et dans les environs. En raison de l'échec total des Centres de contrôle des maladies infectieuses (CDC) à diriger les efforts dans la détection et la gestion de l'épidémie, des laboratoires privés sont maintenant utilisés pour tester les gens. Les responsables des collectivités commencent avec stupéfaction à se rendent compte que l'ampleur du problème est devenue critique.
Le maire de New York, Bill de Blasio, a déclaré aux journalistes hier: « Le nombre de cas signalés devient si intense maintenant, que nous ne sommes pas en mesure d’avancer des chiffres détaillés à l’heure actuelle, tellement le flux des gens qui se présentent est important. » Il y a dans la ville près de 2 000 personnes en isolement volontaire et 30 personnes ont été placées en quarantaine obligatoire.
Le gouverneur Andrew M. Cuomo a annoncé qu'il avait mis en place une zone de confinement d'un rayon d'un mille à New Rochelle, New York, focalisé sur une synagogue établie comme étant la source du plus grand regroupement infectieux de l'État. Toutes les écoles, lieux de cultes et centres communautaires seront fermés pendant deux semaines. Selon le New York Time, la Garde nationale est également déployée pour «nettoyer les écoles et livrer de la nourriture aux résidents mis en quarantaine, y compris des centaines d'étudiants confrontés à deux semaines d'isolement à la maison».
Il est évident que ces mesures sont prises en prévision du tsunami imminent de patients malades cherchant un traitement ; elles provoquent non seulement la panique et le chaos, mais aussi le mécontentement social et le ressentiment envers le gouvernement fédéral et celui de New York du au manque total de préparation ou de préoccupation.
Le nombre de personnes gravement malades continuant d'augmenter, les hôpitaux locaux se retrouveront débordés par la seule quantité de patients nécessitant des soins d'urgence. Les capacités en soins intensifs diminueront rapidement à mesure qu’un quartier après l’autre se révélera incapable de fournir les soins nécessaires. Des chambres et des lits de fortune seront improvisés.
Le protocole de triage pourrait changer. On cessera d'aider immédiatement les plus gravement malades pour aider ceux qui ont une chance de s’en sortir. On peut envisager une situation où les personnes âgées ou celles ayant de graves comorbidités ne seront pas prises en charge à l’hôpital du à leur risque de mortalité très élevé, car les ressources d'une région sont épuisées. Les hôpitaux devront peut-être développer et utiliser des systèmes par points pour évaluer rapidement qui sera admis ou pas.
Dans une étude récente publiée sur le site Web de la Harvard Library, les auteurs rapportent les enseignements tirés des villes chinoises sur la demande de lits pour patients hospitalisés et en soins intensifs pour Covid- 19. À Wuhan, pour la période du 24 janvier au 29 février, Covid-19 représentaient 32 486 jours de soins intensifs et 176 136 jours d'hospitalisation grave. Au pic de l'épidémie, qui a duré de la mi-février à fin février, près de 20 000 personnes ont été hospitalisées, dont la moitié considérée en état «grave» et plus de 2 000 patients ont eu besoin de soins intensifs.
Les auteurs notent que même si des villes comparables à Wuhan, comme New York, Los Angeles ou Chicago, devaient appliquer des mesures aussi sévères que l’isolement de la province du Hubei, «les besoins d'hospitalisation et de soins intensifs des patients de Covid-19 seuls pourraient dépasser les capacités actuelles. » Ils notent également que de nombreuses villes américaines ont une prévalence plus élevée de populations vulnérables, qui à leur tour auraient besoin de plus de ressources pour gérer une telle quantité de patients.
Une leçon cruciale, soulignée dans la discussion sur l'étude, était que lorsque les ressources de soins de santé furent débordées à Wuhan, les patients se sont rendus dans d'autres établissements pour demander de l'aide. Cela ne fit que faciliter la transmission continue dans la communauté, qu'on tentait de contrôler. De plus, comme le système de santé s'est effondré sous la pression d'un si grand nombre de patients, ils n'ont pas été en mesure de fournir des soins adéquats, ce qui s'est traduit par des résultats pires.
L'indice de mortalité pour la ville de Wuhan était le plus élevé, à 4,5 pour cent, tandis que dans la province du Hubei, il était inférieur, à 3,2 pour cent. Pour le reste des régions qui ont respecté les mesures de distanciation sociale et de mise en quarantaine des contacts institués au début de l'épidémie, l'étude a révélé que l'indice de mortalité était à un niveau exceptionnellement faible de 0,8 pour cent. Ces régions ont pu maintenir leur infrastructure de soins de santé à pleine capacité.
Les États-Unis comptent environ 2,8 lits d'hôpital pour 1 000 habitants. En comparaison, le Japon et la Corée du Sud ont 12 lits d'hôpital pour 1 000, soit quatre fois cette capacité. Les mesures prises au Japon et en Corée du Sud ont vu le nombre de nouveaux cas considérablement réduits. En termes absolus, il y a environ 1 million de lits aux États-Unis, dont environ 70 pour cent sont occupés à tout moment. Même selon les estimations les plus prudentes, au rythme où l'infection Covid-19 se développe aux États-Unis, les capacités seront épuisées en moins de deux mois.
De plus, le stock américain de masques N95 est d'environ 12 millions. Étant donné que l'épidémie touchera tous les équipements de santé, les prestataires de santé devront porter des masques pendant qu'ils travaillent dans les hôpitaux et les centres de soins d'urgence. Dans deux ou trois jours, ce stock de denrées périssables s'épuisera. Il est déraisonnable de supposer que le secteur manufacturier aura la capacité de répondre à la demande.
Le Dr Macchini a offert à la communauté internationale cette importante observation ramenant à la dure réalité: «À l'hôpital, nous essayons simplement de nous rendre utiles. Vous devriez faire de même: nous, médecins, avons une influence sur la vie et la mort de quelques dizaines de personnes. Vous, avec vos mesures et vos choix, décidez du sort de bien plus d'autres. »
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(Article paru en anglais le 11 mars 2020)