Mercredi, un parti néo-fasciste a contribué à la formation d'un gouvernement de land [État fédéré] en Allemagne pour la première fois depuis la fin du régime nazi.
Bien que le Parti libéral-démocrate (FDP), pro-patronal, n'ait obtenu que cinq pour cent des voix lors des élections du land de Thuringe, Thomas Kemmerich a été officiellement nommé au poste de ministre-président de Thuringe, l'équivalent d'un gouverneur aux États-Unis.
Cette désignation a été rendue possible grâce à une alliance entre l'Union chrétienne-démocrate (CDU) de centre-droit et l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) néofasciste, qui ont uni leurs forces pour empêcher le Parti de gauche de former un gouvernement, malgré le fait que le Parti de gauche ait obtenu le plus grand nombre de voix aux élections.
L'annonce a marqué la première fois, depuis la fin du Troisième Reich nazi, qu'un parti de l'élite travaille avec les fascistes pour former un gouvernement. Elle représente une rupture des engagements pris par les principaux partis de ne pas coopérer avec les néofascistes de l'AfD.
Il s'agit d'un tournant historique. Il montre clairement que la classe dirigeante s'appuie à nouveau sur les forces fascistes pour mettre en œuvre ses politiques de militarisme, de dictature et d'austérité.
Toutes les tentatives des politiciens de premier plan pour prendre leurs distances par rapport aux événements de Thuringe, et la démission du nouveau Premier ministre qui s'en est suivie, ne peuvent cacher une réalité fondamentale: 75 ans après la fin du régime nazi en Allemagne, la maxime de la bourgeoisie allemande n'est plus «Plus jamais ça», mais «En route vers de nouvelles guerres et de nouveaux crimes».
Cette réalité est apparue clairement dans un entretien que le président du Bundestag (Parlement fédéral), Wolfgang Schäuble, a réalisée le week-end dernier avec les journaux du groupe de médias Funke et le journal français Ouest-France.
Cet entretien, dans lequel Schäuble préconise le réarmement de l'Allemagne et sa participation à des guerres étrangères, est paru une semaine seulement après que des responsables allemands eurent organisé des commémorations publiques du 75e anniversaire de la libération du camp de la mort d'Auschwitz.
À la question de savoir si l'Allemagne doit à nouveau risquer la vie des soldats dans des guerres, Schäuble a répondu: «Nous ne pouvons pas tout laisser aux Français et aux Américains. Les leçons d'Auschwitz ne peuvent pas être un argument pour ne pas s'engager à long terme.»
La question immédiate était la préparation des opérations de combat en Afrique et au Moyen-Orient. «Nous ne pouvons pas nous dérober. Si l'Europe doit jouer un rôle plus important, nous devons faire notre part», a déclaré Schäuble.
Il a évoqué la possibilité d'une participation allemande à la guerre civile au Mali, ainsi qu'une «action en Libye avec des soldats allemands». La récente conférence sur la Libye à Berlin, au cours de laquelle les puissances européennes ont planifié une nouvelle ruée vers l'Afrique, a été «un grand succès pour le Chancelier» et il est «incontestable que nous devons continuer à nous y impliquer et, en cas de doute, assumer également des tâches désagréables.»
Personne ne doit se faire d'illusions sur la portée de ces déclarations. 75 ans après la chute du Troisième Reich, la classe dirigeante allemande est de nouveau prête à poursuivre ses intérêts géostratégiques et économiques par la guerre. Lorsqu'on lui a demandé si l'Allemagne était «trop faible» pour des interventions à l'étranger, Schäuble a répondu: «nous ne pouvons pas continuellement répercuter les coûts moraux sur les autres.»
Schäuble avait déjà exprimé des sentiments similaires dans son discours d'orientation de politique étrangère sur «le rôle de l'Allemagne dans le monde globalisé» en octobre dernier. Il avait fait la menace selon laquelle «rester à l'écart n'est pas une option, du moins pas une stratégie de politique étrangère viable.»
«Nous autres Européens, devons faire plus pour notre propre sécurité - et cela implique aussi pour la sécurité du monde qui nous entoure». Cela inclut également «l'état de préparation à l'utilisation de la force militaire». Cela «a aussi un prix moral. Et porter ce fardeau est un grand défi, surtout pour les Allemands.»
La dernière fois que l'Allemagne a porté le «fardeau» de la politique agressive des grandes puissances et a fait valoir ses intérêts par la puissance militaire, les crimes les plus terribles de l'histoire de l'humanité ont suivi. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, déclenchée par l'Allemagne nazie, le «prix moral» a été de six millions de Juifs assassinés, de 27 millions de victimes de la guerre d'extermination contre l'Union soviétique et de plusieurs dizaines de millions d'autres morts dans toute l'Europe et en Allemagne.
Les appels à peine cachés de Schäuble à de nouvelles guerres et à des crimes impérialistes expriment l'état d'esprit de toute la classe dirigeante. Dans un récent entretien accordé au journal Augsburger Allgemeine, Herfried Münkler, aujourd'hui professeur émérite à l'université Humboldt et conseiller en politique étrangère du gouvernement allemand, s'est réjoui: «Je suis ravi lorsque, par exemple, le chancelier allemand parle d'"autonomie stratégique» ou que Mme von der Leyen [l'ancienne ministre de la défense et actuelle présidente de la Commission européenne] parle du "langage du pouvoir".»
Puis le professeur ajoute, avec son cynisme et son arrogance habituels: «Lorsque j'ai commencé il y a longtemps à mettre l'accent sur le pouvoir en tant que facteur qui jouera un rôle dans l'avenir, il n'a pas été facile de faire accepter cette idée. On disait, "comme c'est terrible et cruel", et "nous avons nos valeurs après tout". Ces suceurs de bonbons pensaient que tout se ferait tout seul. Soutenus par une foi théologique latente dans l'œuvre de Dieu sous la forme de valeurs humanitaires dans le monde. On a en quelque sorte oublié que ce sont aussi des questions de pouvoir.»
Par le passé, Münkler a maintes fois précisé ce qu'il entendait par «questions de pouvoir» et «sucer des bonbons». Dans d'innombrables entretiens, il a appelé à l'acquisition et au déploiement de drones de combat et a déploré la «société post-héroïque», dans laquelle la population n'était plus prête à payer le prix des appétits impérialistes de la classe dirigeante. Dans une conversation avec le Frankfurter Allgemeine Zeitung, Münkler est allé jusqu'à décrire le gaz toxique utilisé pendant la première guerre mondiale comme une arme «humaine».
Ensuite, il y a le cas du collègue de Münkler, le professeur Jörg Baberowski, un extrémiste de droite (qui a déclaré: «Hitler n'était pas cruel»), qui est publiquement défendu par le gouvernement allemand et qui a récemment attaqué physiquement un étudiant de gauche dans son université.
Lors d'une table ronde au Musée historique allemand en 2014 (Propagande de guerre au Musée historique allemand ), Baberowski a déclaré: «Et si vous n'êtes pas prêt à prendre des otages, à brûler des villages et à pendre des gens et à répandre la peur et la terreur, comme le font les terroristes, si vous n'êtes pas prêt à le faire, vous ne gagnerez pas un tel argument, alors vous devriez laisser tomber.»
Le fait qu'un tel langage criminel puisse être utilisé par un universitaire allemand, qui bénéficie du soutien des sections dominantes de l'État, témoigne du fait que le réarmement allemand et la préparation de nouvelles guerres s'accompagnent de la légitimation de la violence criminelle et barbare pour laquelle les nazis étaient connus.
Le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l'égalité socialiste) et son organisation de jeunes et d'étudiants, l'IYSSE (International Youth and Students for Social Equality – Etudiants et jeunes internationalistes pour l'égalité sociale), feront tout pour empêcher que les catastrophes du XXe siècle ne se répètent au XXIe siècle. Cette fois-ci, le règlement de compte avec le nazisme doit avoir lieu avant que de nouveaux crimes ne soient commis, et non après.
(Article paru en anglais le 8 février 2020)