De Cavaignac à de Villiers: la lutte des classes et les leçons de l’histoire

Des millions de manifestants se sont mobilisés en décembre contre les tentatives de Macron de casser les retraites. Une grève bloque les trains et autres transports à travers la France. Lundi, l’ancien chef détat-major, le général Pierre de Villiers, a exigé une répression plus dure de la grève.

Les travailleurs en France mais aussi dans le reste du monde doivent prendre acte. La société capitaliste est déchirée par des niveaux d’inégalité sociale incompatibles avec un régime démocratique. A présent, des fractions de l’élite dirigeante appellent à la construction de dictatures militaires sanglantes.

Depuis 2018, Macron organise la répression continuelle des «gilets jaunes», des manifestations de jeunes, et à présent des grèves. Des blindés, des lances à eau, et des milliers de CRS armés de LBD et de carabines encadrent les manifestants. Il y a eu plus de 10.000 interpellations et gardes à vue, plus de 4.400 blessés, plus de 24 éborgnés, cinq mains arrachées par des grenades de police, et une dame âgée tuée par un tir de gaz lacrymogène. C’est la plus grande vague de répression en France depuis l’Occupation nazie de 1940-1944 pendant la 2e Guerre mondiale.

En mars, le chef de la place militaire de Paris, le général Bruno Le Ray, a dit qu’il avait autorisé ses soldats à ouvrir le feu sur les manifestants, une première en France depuis 1948.

De Villiers a néanmoins exigé qu’il faut encore intensifier considérablement la répression des manifestations. Alors que Macron et le premier ministre Édouard Philippe préparaient leur conseil restreint de Défense avec les chefs militaires et les dirigeants syndicaux pour discuter de la manifestation de mardi, de Villiers a dit à RTL: «Il faut rétablir un équilibre entre la fermeté et l’humanité. … Il n’y a pas assez de fermeté dans notre pays».

De Villiers, que la presse néofasciste traite de candidat présidentiel potentiel pour 2022, a dit sa crainte face à l’épreuve de force qui s’installe entre les travailleurs et l’État. «Il y a un fossé qui s’est creusé entre ceux qui dirigent et ceux qui exécutent. Ce fossé est profond. Les 'gilets jaunes' étaient déjà une première manifestation», a-t-il dit. «Il faut remettre de l’ordre, on ne peut pas continuer comme ça.»

Ni de Villiers ni Macron n’ont dit combien de personnes il voudraient tuer, blesser ou emprisonner pour écraser un mouvement contre une casse sociale rejetée par deux-tiers des Français. Mais la classe dirigeante sait très bien qu’elle mène un combat violent contre les travailleurs. Pour comprendre ce que propose de Villiers, il faut rappeler ce qui s’est passé quand ses prédécesseurs ont agi avec plus de «fermeté» contre les travailleurs.

En 1848, les travailleurs d’Europe se sont soulevés contre les monarchies établies lors de la défaite de la France dans les guerres napoléoniennes. En juin, alors que la République bourgeoise tentait de fermer les Ateliers nationaux établis pour donner du travail aux chômeurs, les travailleurs de Paris se sont soulevés contre le danger de la faim et de la misère. Le général Eugène Cavaignac a dirigé l’armée et les forces de l’ordre dans les journées de Juin; ils ont tué plus de 3.000 ouvriers, arrêté 25.000 personnes, dont 11.000 ont été condamnées à la prison ou à la déportation en Algérie.

En mars 1871, quand la IIIe République a voulu désarmer Paris en volant les canons achetés par la ville quand la France avait lancé une guerre contre la Prusse, une révolution a éclaté. La Commune prolétarienne a pris le pouvoir à Paris. Ayant gagné du temps et pactisé avec les généraux prussiens, l’armée française sous le général Patrice de MacMahon a envahi Paris en mai et massacré les travailleurs insurgés.

Dirigée par l’historien libéral Adolphe Thiers, la IIIe République a tué environ 20.000 ouvriers et en a arrêté 60.000. Le 24 mai, pendant les massacres de la Semaine sanglante à Paris, Thiers a déclaré avec fierté à l’Assemblée nationale: «J’ai versé des torrents de sang.»

C’est de pareilles expériences inoubliables de la lutte des classes internationale, analysées par les plus grands révolutionnaires de l’époque, qu’est sortie la théorie marxiste de l’État et de la révolution qui allait guider la prise du pouvoir par les travailleurs en Russie en octobre 1917.

En 1884, Friedrich Engels, le grand collaborateur de Karl Marx, a écrit que l’État établit «une force publique qui ne coïncide plus directement avec la population s'organisant elle-même en force armée. Cette force publique particulière est nécessaire, parce qu'une organisation armée autonome de la population est devenue impossible depuis la scission en classes... Cette force publique existe dans chaque Etat; elle ne se compose pas seulement d'hommes armés, mais aussi d'annexes matérielles, de prisons et d'établissements pénitentiaires de toutes sortes, qu'ignorait la société clanale … elle se renforce à mesure que les contradictions de classes s'accentuent».

De ceci découlait la nécessité pour les travailleurs de prendre le pouvoir pour stopper la violence contre-révolutionnaire de la classe dirigeante et, par des politiques socialistes favorisant l’égalité sociale, éliminer la division de la société en classes d’où émerge l’État. Presque 150 ans après la Commune de Paris, l’analyse d’Engels illumine toujours les questions décisives posées aux travailleurs en France et à l’international aujourd’hui.

Depuis 2018, une résurgence internationale de la lutte des classes a vu des grèves de l’automobile et des enseignants américains, et des manifestations de masse contre les inégalités en Algérie, au Liban, en Irak, au Chili, en Bolivie et au-delà. C’est le produit de contradictions sociales mûries sur des décennies de mondialisation capitaliste. L’époque écoulée depuis la restauration stalinienne du capitalisme en URSS et surtout depuis le krach de 2008 a vu un transfert continu de richesses depuis les travailleurs vers l’aristocratie financière, et des guerres impérialistes de l‘Afghanistan jusqu’à la Syrie en passant par le Mali.

L’intensité de ces antagonismes de classe soustend la montée extraordinaire des forces militaires et policières à l’international. La politique de Macron, qui transfère des milliards des retraités aux banques, souligne que les États «démocratiques» ne sont que des dictatures à peine voilées de la classe capitaliste. Pour voir la réalité de l’analyse marxiste que l’État consiste en groupes d’hommes armés – même dans des pays comme la France avec de longues traditions démocratiques bourgeoises – il suffit de se promener à Paris un jour de manifestation.

Cela explique la faillite de forces petite-bourgeoises de pseudo gauche comme La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, qui défendent l’État et l’ordre social établi. Non seulement ils soutiennent les tentatives des organisations syndicales de négocier un sale compromis avec Macron, mais ils couvrent les préparatifs de l’État pour la répression. Plutôt que d’avertir ses électeurs du rôle de de Villiers, Mélenchon répand des illusions comme quoi la néo-fasciste Marine Le Pen fait des «progrès» dans une direction «humaniste.»

La tâche décisive à présent est d’avertir les travailleurs et de les mobiliser politiquement contre la menace de la répression. Aucune confiance ne peut être accordée aux syndicats ni à leurs alliés politiques, comme LFI. Il s’agit de construire des comités d’action indépendants des syndicats et de coordonner la mobilisation de couches plus larges de la classe ouvrière en lutte contre l’aristocratie financière, le gouvernement Macron et les menaces de répression et de dictature.

Loading