Suite à la déclaration arrogante mercredi du premier ministre Édouard Philippe qu’il imposerait sa réforme des retraites malgré l’opposition d’une large majorité des Français et des grèves de masse lancées le 5 décembre, les grèves s’intensifient avant la journée d’action de demain.
Aujourd’hui des routiers à travers la France devraient entrer en grève contre la réforme, alors que la plupart des huit raffineries de France sont en grève ou bloquées, voire à l’arrêt. Alors que la grève paralyse déjà la SNCF et les transports parisiens, la menace d’une pénurie d’essence généralisée plane au-dessus des projets du gouvernement. Les syndicats de routiers ont averti la presse que leurs membres allaient organiser sous forme de «rassemblements, de blocages ou autre … dans toutes les régions de France.»
La colère continue à monter contre Macron, le président des riches, après les reportages la semaine dernière qu’en 2017 il a rencontré BlackRock, le plus grand fonds d’investissement international au monde, qui gère 6 mille milliards $ d’actifs. Les accointances du pouvoir français avec des décideurs financiers non-élus mettent en lumière les intérêts de classe qui soustendent la tentative de Macron de casser le système de retraites par répartition, de le remplacer par un système par «points», et d’inciter les Français à avoir recours à des retraites complémentaires par capitalisation.
Un conflit irréconciliable pointe entre les travailleurs et le régime Macron, à laquelle la seule solution progressiste est de faire chuter le gouvernement. Cette revendication, populaire auprès des «gilets jaunes» et un nombre croissant de travailleurs, exige que les travailleurs s’organisent indépendamment des syndicats, en comités d’action mobilisant des sections de plus en plus larges de travailleurs en France et à l’international. Car les syndicats et leurs alliés politiques tentent de négocier un arrangement avec Macron qui ne pourrait être qu’un compromis pourri.
Une vidéo de l’ex-premier ministre François Fillon a déjà révélé les raisons pour lesquelles la classe dirigeante veut remplacer les retraites à montant monétaire défini par des retraites «à point.» Dans la vidéo, Fillon avoue qu’un système de retraites à «points» sans valeur fixe «permet une chose qu’aucun homme politique n’avoue. Ça permet de baisser chaque année le montant, la valeur des points et donc de diminuer le niveau des pensions.»
Ceci a confirmé que le gouvernement sait aussi ce que savent une large majorité des Français: que la politique du gouvernement Macron est de réduire des millions de travailleurs à la misère afin d’augmenter les profits d’une aristocratie financière parasitaire.
Jean-Paul Delevoye, le haut commissaire qui a organisé la préparation de la réforme des retraites, est totalement discrédité par la révélation qu’il n’avait pas déclaré qu’il occupait un poste bénévole à l’Institut de formation de la profession de l’assurance. Il occultait ainsi ses liens avec les milieux financiers qui bénéficieraient des réductions de dizaines de milliards d’euros du montant des retraites versées aux Français.
Delevoye était payé 74.526 euros annuels en tant que haut commissaire à la réforme des retraites. Mais il cumulait avec ce poste ministériel des postes dirigeants à l’institution d’enseignement supérieur IGS (où il percevait un salaire annuel de 78.408 euros, non pas les 40.000 euros qu’il avait déclarés) et au think-tank Parallaxe connexe (73.338 euros). Ce cumul d’une position publique à IGS et d’un poste de ministre enfreint la Constitution, dont l’article 23 interdit aux ministres «tout emploi public ou toute activité professionnelle».
A la manifestation des «gilets jaunes» samedi à Paris, à laquelle participaient aussi des grévistes de la RATP, les grévistes ont souligné le dégoût que leur inspire la politique de Macron. Patrick, un «gilet jaune», a déclaré son mépris pour «Delevoye qui a 72 ans, il se fait 20.000 euros par mois. Puis il vient dire aux gens ‘vous aller bosser plus longtemps pour avoir moins.’»
Il a ajouté, «Moi je suis pour virer Macron, ça c’est clair et net. … La réforme des retraites c’est un nouvel exemple de ce que Macron et ceux qui l’ont mis en place ont décidé de faire avec la France. C’est l’Union européenne, les technocrates de Bercy, toutes les grandes entreprises qui possèdent les médias.»
Patrick a mis en garde contre le rôle des syndicats, qui négocient avec Macron, un demi-siècle après avoir trahi le potentiel révolutionnaire de Mai 1968: «Je vais faire un rappel historique. En 1968 il y a eu la révolte des étudiants, et après il y a eu la grève générale. Puis les syndicats ont négocié … Le rôle des syndicats, c’est de faire en sorte que le système continue.»
Franck, un conducteur RATP «gilet jaune», a expliqué: «Nous en est en guerre et en grève contre cette réforme des retraites qui concerne tous les Français. On n’est pas là pour défendre notre bifteck, sinon on ne serait pas venus ici soutenir les ‘gilets jaunes’. …. Cela prouve bien qu’on est pas là pour défendre notre assiette, mais celle de tout le monde, de nos enfants, de tous les Français. Cette réforme est faite uniquement pour arroser les fonds de pension privés, leurs petits copains comme d’habitude, et pour détruire un système qui est là de longue date dans notre pays.»
Évoquant l’éruption de mouvements de masse autour du monde, comme en Algérie et en Irak, Franck a dit qu’il considérait sa lutte comme une partie intégrante d’une lutte internationale: «Aujourd’hui on s’oppose à plus qu’une réforme, mais tout un système et on sait que c’est mondial. On sait que la France peut ouvrir des voies, qu’on se mobilise en France parce que la France peut montrer des choses aux gens et les aider à se mobiliser. Mais évidemment que c’est mondial.»
Franck a aussi souligné la détermination des grévistes à continuer la lutte malgré les fêtes et les pertes de salaire: «On mangera la bûche de Noël aux piquets de grève s’il le faut, parce qu’on croit que c’est pour le bien de tout le monde. L’enjeu c’est un modèle de société. … On a l’habitude de sacrifier nos fêtes, on les passe régulièrement dans le train. Donc s’il faut sacrifier celle-là pour offrir une meilleure retraite à nos enfants et une meilleure société à nos enfants et pas une vision de ce gouvernement, alors on en sacrifiera une de plus.»
Il a dit au journalistes du WSWS son accord avec l’idée que les travailleurs devraient avoir le pouvoir: «Les caisses sont vides, mais qui a vidé les caisses? C’est bien ceux qui sont au pouvoir depuis toutes ces années, c’est bien les lois qu’ils ont votées eux-mêmes qui ont vidé les caisses. Il est temps qu’on reprenne les rênes, effectivement.»
La radicalisation en cours met en évidence le gouffre qui sépare les travailleurs des appareils syndicaux qui tentent de négocier avec Macron, et la nécessité pour les travailleurs d’organiser leurs luttes indépendamment des appareils syndicaux. Ceux-ci sont de plus en plus ouvertement hostiles envers la lutte que les travailleurs ont lancé contre Macron et les banques, notamment la CFDT nouvellement rallié à la grève qu’elle avait boudée jusqu’ici.
Laurent Berger, le chef de la CFDT, syndicat pro-Macron, a déclaré au Journal de dimanche que la situation est «simple: pour que la CFDT porte un autre regard sur ce projet de loi, le gouvernement doit accepter de retirer» l’augmentation de l’âge effectif du départ à la retraite de 62 à 64 ans. Il a promis d’assister à une réunion avec le gouvernement cette semaine, avant d’exiger qu’il n’y ait «pas de blocage des transports pour Noël». Il a ajouté que « la CFDT appelle à une manifestation le mardi 17 décembre », elle n’appelle pas « à continuer le 18, le 19, etc. »
Dans un registre à peine différent, Philippe Martinez de la CGT stalinienne a imploré le gouvernement sur BFM-TV de retirer la réforme: «Si le gouvernement retire son projet, tout se passera à bien à Noël». Il a mis en garde Macron contre ce qu’il a appelé la «hargne» des grévistes.
Face à ces appareils syndicaux qui négocient depuis des décennies des réformes régressives avec les gouvernments successifs, il est indispensable que les travailleurs prennent leurs propres luttes en main et qu’ils forment leurs propres comités d’action, indépendants des syndicats, pour mener la lutte contre Macron.