Jeudi, le Pentagone a fourni une série de réponses contradictoires à un article du Wall Street Journal, citant des responsables américains anonymes, selon lesquels la Maison Blanche pourrait envoyer 14 000 soldats de plus dans le golfe Persique ainsi que des dizaines de navires. Cela doublerait le nombre de personnels envoyés dans la région depuis que Washington a lancé un renforcement militaire majeur contre l'Iran au mois de mai.
D’abord, une porte-parole du Pentagone a tweeté que «le reportage est faux. Les États-Unis n'envisagent pas d'envoyer 14 000 soldats supplémentaires au Moyen-Orient.»
Jeudi, cependant, John Rood, un haut fonctionnaire du département de la Défense, a dit au Sénat que l'administration discutait effectivement d'un nouveau envoi de troupes dans la région, mais a refusé de donner des chiffres.
«Nous n'avons pas encore pris de décision», a dit Rood. «En fonction de ce que nous constatons […] il se peut que nous devions ajuster notre posture militaire. Je pense que ce serait une mesure prudente, vu ce que nous observons, car notre objectif est de dissuader l'agression iranienne».
Tout en affirmant qu'aucune décision n'a été prise d’envoyer 14 000 soldats supplémentaires dans la région, il a reconnu qu'une augmentation était à l'étude, pouvant inclure moins de 14 000 hommes. «Nous évaluons les menaces», a-t-il déclaré. «Il faudra ajuster dynamiquement notre posture. »
En même temps, les responsables et le renseignement américains ont tranmis une série d’informations aux médias, faisant état de «menaces» iraniennes contre les États-Unis et leurs alliés dans la région, dont le gouvernement de droite israélien et la monarchie despotique saoudienne.
Selon ces divers rapports, l’Iran aurait stocké un arsenal de missiles balistiques à courte portée en Irak, qui pourraient atteindre Jérusalem depuis la banlieue de Bagdad, voire viser les bases militaires américaines dans la région.
L’unanimité de la classe politique derrière la poussée à la guerre contre l’Iran ressort de l’identité d’une source de l’article du New York Times mercredi qui colporte cette accusation infondée. C’est Elissa Slotkin, la représentante démocrate du Michigan qui a été agent de la CIA à Bagdad, sous les mandats de George W. Bush et Obama. «Les gens ne prêtent pas suffisamment attention au fait que l’Iran a déployé des missiles balistiques au cours de la dernière année en Irak, ce qui lui permet de répandre la violence dans la région», a-t-elle déclaré au Times.
Cela faisait suite à un reportage de CNN mardi citant des responsables anonymes américains selon lesquels «de nouveaux renseignements sur une menace iranienne potentielle contre les forces et les intérêts américains au Moyen-Orient», sans fournir aucun détail.
«Les responsables n’ont pas voulu dire la nature de ce renseignement», a rapporté CNN. «Mais pendant ces dernières semaines, des mouvements de forces iraniennes et d’armes ont inquiété les Etats-Unis, qui craignent un déploiement lié à une attaque potentielle, si le régime iranien en donne l'ordre.»
Selon d’autres informations, la marine américaine aurait intercepté un navire transportant des pièces de missile balistique aux rebelles houthis au Yémen qui combattent l’armée saoudienne. Le général Kenneth McKenzie, du commandement central des États-Unis (CENTCOM), affirme qu’une attaque iranienne est imminente et que Washington doit envoyer de plus de forces dans la région.
Cette campagne de propagande, relayée par les grands médias, souligne le danger croissant que Washington se prépare à lancer une guerre d'agression contre l'Iran, estimant que son gouvernement a été affaibli par les manifestations violentes déclenchées par la hausse des prix du carburant qui ont secoué le pays le mois dernier.
C’étaient les tentatives incessantes de Washington d’étrangler toutes les exportations de pétrole iranien, pour priver l’Iran de son principal gagne-pain, qui avaient créé les conditions pour ces manifestations. Il ne fait également aucun doute que les agents de l'impérialisme américain et ses alliés ont activement attisé la violence. Le régime capitaliste iranien, en chercanté à faire porter le poids de la crise à la classe ouvrière, a exacerbé ces problèmes tout en cherchant à négocier un accord avec les grandes puissances.
Les États-Unis ont déjà entre 60 000 et 80 000 soldats dans la région, entourant l’Iran de bases militaires. En novembre, le Pentagone a envoyé le groupe aéronaval du porte-avions USS Abraham Lincoln dans le golfe Persique. Leur base dans le golfe était à Bahreïn, juste en face de l'Iran.
Un mois plus tôt, le gouvernement Trump avait annoncé l’envoi de 3 000 soldats américains de plus en Arabie saoudite (la Maison Blanche prétendait que leur financement revenait à la monarchie saoudienne) ainsi que deux escadrons de chasseurs et de batteries de défense antimissile. Le prétexte de ce déploiement était la destruction de l'infrastructure pétrolière saoudienne par des missiles que les rebelles houthis du Yémen auraient tiré.
Malgré la démagogie de Trump sur la fin des «guerres sans fin de Washington, il y a maintenant plus de troupes déployées au Moyen-Orient et en Afghanistan qu'avant son entrée en fonction. La menace d'un embrasement généraliés ne cesse de croître.
Le secrétaire américain à la Défense, Mark Esper, a précisé mercredi qu’il avait fixé la présence américaine permanente en Syrie à 600 soldats, soit 40 pour cent de moins que les 1 000 déployés lorsque Trump a annoncé le retrait des forces américaines du pays. Esper a déclaré à Reuters qu'il avait le pouvoir de «parachever un peu le total » en termes de nombre de soldats. Alors que Trump a affirmé avoir laissé des troupes là-bas pour «prendre le pétrole», leur objectif stratégique est de contrer l'influence iranienne et russe dans le pays.
Entre-temps, les puissances européennes, qui ont prétendu s'opposer à l'abrogation unilatérale de l'accord nucléaire de 2015 entre l'Iran et les grandes puissances mondiales par Trump, suivie de l'imposition de sanctions à «pression maximale», ont également rajouté à la pression.
Les ambassadeurs de France, d'Allemagne et du Royaume-Uni auprès de l’ONU ont adressé mercredi au Secrétaire général de l’ONU une lettre commune accusant l'Iran de développer des «missiles balistiques à capacité nucléaire», « incompatibles» avec une résolution de l’ONU nies l'accord nucléaire de 2015 (Plan d'action global commun, ou JCPOA).
L'accord de 2015 ne parlait pas du programme balistique de l'Iran, et la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU approuvant cet accord ne s’opposait qu’au développement par l'Iran de missiles conçus pour livrer des armes nucléaires. L’Iran a toujours nié vouloir se doter d’une arme nucléaire.
Depuis sa répudiation de l'accord en mai dernier, le gouvernement Trump a exigé de l'Iran qu’il supprime son programme de missiles balistiques ainsi que toutes ses installations nucléaires, afin de garantir sa soumission à la domination américaine de cette région stratégique et riche en pétrole.
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, a vivement réagi face aux trois puissances européennes, en affirmant que leur focalisation sur le programme de missiles balistiques iranien était un «mensonge désespéré» visant à «dissimuler leur misérable incompétence à remplir au strict minimum leurs propres obligations envers le #JCPOA».
Les puissances européennes n’ont pas normalisé leurs relations économiques et culturelles avec l’Iran, le but principal but qu’avait l’Iran en signant l’accord de 2015. Elles se sont pliées au régime de sanctions américain qui étrangle l’Iran et plonge un nombre grandissant d’Iraniens dans la pauvreté. Tout en mettant en place le mécanisme de soutien aux échanges commerciaux (Instex), censé contourner les sanctions américaines en évitant des échanges en dollars, le système n'a encore rien fait pour faciliter les transactions.
Non moins prédatrices que Washington, les puissances européennes croient en leurs chances également vu la crise économique grandissante et des troubles sociaux auxquels est confronté le régime clérical bourgeois iranien. Ils se positionnent pour participer à tout démantèlement impérialiste de l'Iran et du Moyen-Orient. Un tel conflit menacerait cependant de déclencher une guerre régionale, voire mondiale.
(Article paru en anglais le 6 décembre 2019)