En France, «La coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme» (CNRLT) a discrètement publié lundi la première mise à jour de son document publique de stratégie quinquennale. Le rapport, mis en ligne sur un site web ministériel, n’était accompagné d’aucun communiqué de presse présidentiel. Il affirme que le rôle des agences antiterroristes françaises est de lutter contre les «mouvements subversifs» et la menace de «violence insurrectionnelle» dans la population.
La CNRLT est une agence du Palais présidentiel de l’Élysée. Elle conseille le Président et elle rend compte directement au Premier ministre. Rédigé en collaboration directe avec le Premier ministre, le rapport titré «La Stratégie nationale du renseignement» a été écrit en collaboration directe avec, et approuvé personnellement par, le Président, Emmanuel Macron.
Ce document de stratégie «constitue la feuille de route du Renseignement», dit-on dans la préface. Une comparaison avec la première «feuille de route» quinquennale montre clairement les objectifs de l’actualisation. La version 2014 identifie ses cinq domaines d’opérations comme le terrorisme, l’espionnage et l’ingérence économique, la prolifération des armes de destruction massive, ainsi que les cyberattaques et le crime organisé.
Le rapport actuel établit une nouvelle catégorie: «l’anticipation des crises et des risques de ruptures majeures». Sous le titre «Subversion violente», il est écrit: «La montée en puissance des mouvements et réseaux à caractère subversif constitue un facteur de crise d’autant plus préoccupant qu’ils visent directement à affaiblir voire à ruiner les fondements de notre démocratie et les institutions républicaines par la violence insurrectionnelle».
Le document explique que par mouvements «subversifs», il faut entendre non seulement «des actions violentes contre les personnes ou contre les biens», mais aussi l’ensemble «des revendications traditionnelles que ces mouvements s’emploient à infiltrer afin de les radicaliser».
Il s’agit d’une formule de criminalisation et de répression violente de toute expression d’opposition sociale au sein de la population. Dans ce cadre, les prétendues «revendications traditionnelles», c’est-à-dire contre les licenciements, pour des salaires plus élevés, un meilleur niveau de vie, contre la guerre et pour l’égalité sociale, ne représentent pas les revendications légitimes de la population. Ils sont simplement «employés» par des forces «subversives» dont le but est la destruction de la démocratie. C’est l’argument d’un État policier fasciste.
«La radicalisation de ces modes d’action appelle à une vigilance accrue des services de Renseignement dans leur fonction d’anticipation et de défense de l’État pour prévenir les violences de toute nature et la déstabilisation de nos institutions», poursuit le rapport.
Sous le titre «Les crises d’ordre public», le rapport décrit la réponse des agences de renseignement à la croissance de l’opposition sociale dans la classe ouvrière. «L’anticipation, l’analyse et le suivi des mouvements sociaux et crises de société par les services de Renseignement constituent une priorité à double titre», affirme-t-il. «La connaissance de la vie locale et le lien à entretenir avec ses acteurs (élus, relais associatifs, médias…) sont des enjeux importants pour les services de renseignement compétents».
Ces politiques, esquissées par une agence «antiterroriste» de premier plan en France, soulignent la vaste expansion des pouvoirs policiers durant les quinze dernières années. Mais cela souligne aussi le fait qu'en vidant les droits démocratiques de leur contenu au motif de la «guerre contre le terrorisme» on a toujours visé l’opposition sociale et politique de la classe ouvrière. En même temps l’État a mené les opérations néocoloniales de l’impérialisme français au Moyen-Orient et en Afrique.
En France, la construction d’un État policier s’est faite à la fois sous l’égide du parti Les Républicains et du Parti socialiste. Avec le soutien de l’ensemble de la classe politique, c’est de ce milieu qu'est issu le parti au pouvoir, la République en marche (LREM) de Macron. Avec le soutien du Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon, le Président François Hollande (Parti socialiste) s’est emparé des attentats terroristes de novembre 2015 afin de les utiliser comme prétexte pour déclarer un état d’urgence qui a duré près de deux ans.
Le rapport constitue une mise en garde contre les préparatifs très avancés d’un régime autoritaire en France et dans toute l’Europe. La source objective de ce processus universel est la croissance vertigineuse des inégalités sociales dans tous les pays et la concentration de la richesse entre les mains d’une petite élite financière et d’entreprises, qui est déterminée à s’enrichir encore plus en anéantissant les acquis de la classe ouvrière dans les luttes acharnées du XXe siècle.
La classe dirigeante se tourne vers des mesures policières étatiques et la promotion des forces fascistes et d’extrême droite pour réprimer l’opposition croissante de la classe ouvrière au capitalisme et le soutien croissant au socialisme.
En Allemagne, l’agence Étatique, la Verfassungschutz (protection de la constitution), a placé le Sozialistische Gleichheitspartei (SGP — Parti de l’égalité socialiste), la section allemande du Comité international de la Quatrième Internationale, sur une liste d’organisations «d’extrême gauche». Les organisations sur cette liste sont censées subir une surveillance. Afin de justifier l’ajout du SGP la Verfassungschutz cite son opposition au militarisme et au capitalisme, et son appel pour la construction d’un mouvement socialiste de masse dans la classe ouvrière. En même temps, l’élite politique promeut l’Alternative pour l’Allemagne ouvertement néonazie et couvre les réseaux terroristes d’extrême droite au sein de l’appareil d’État.
Aux États-Unis, le président Donald Trump, avec ses déclarations presque quotidiennes selon lesquelles «l’Amérique ne sera jamais un pays socialiste», parle et agit toujours plus ouvertement en tant que fasciste cherchant à construire un mouvement extra-parlementaire s'appuyant sur l’anticommunisme et de violentes attaques contre les immigrants.
En France même, l’Administration Macron a réagi aux protestations massives contre les inégalités sociales au cours des six derniers mois, non par des concessions, mais par l’escalade de la violence policière. Cela s’est fait notamment par des arrestations massives, des balles en caoutchouc, des gaz lacrymogènes et le déploiement de l’armée.
Les préparatifs en vue de l’avènement d’un régime autoritaire en France ont été soulignés par les actions du gouvernement le 14 juillet, jour de la fête nationale.
L’Administration était terrifiée par la possibilité une éruption des protestations au moment où des milliers de soldats défilent à Paris pour les célébrations du 14 juillet, qui aura été un revers humiliant pour Macron. Les forces de sécurité ont interdit à tous ceux qui avaient une sympathie politique pour les gilets jaunes d’entrer dans de grandes zones de Paris autour de la zone de défilé sur l’avenue des Champs-Élysées.
Avant le défilé, la police a rassemblé des centaines de personnes identifiées comme des leaders potentiels de la protestation. Des gilets jaunes connus, dont Éric Drouet, Maxime Nicolle et Jérôme Rodrigues, ont été rassemblés et détenus jusqu’à la fin de la cérémonie. La police a ensuite transporté les détenus dans un camp du 18e arrondissement de Paris, près d’un poste de police entouré de barbelés dans une zone d’entrepôts abandonnés.
Néanmoins, une foule de gens ont hué et se sont moqués de Macron alors que son cortège de voitures descend les Champs-Élysées pendant le défilé du 14 juillet.
Le gouvernement français donne maintenant son feu vert à une nouvelle escalade de la violence policière. Cette semaine, le site Médiapart a révélé que le gouvernement Macron avait décerné le mois dernier à plus de 9000 policiers un gilet jaune en reconnaissance de leur rôle dans la répression violente de ces manifestations.
Parmi les récipiendaires de médailles figurent:
· Grégoire Chassaing, commissaire de police chargé du raid policier sur un festival de musique à Nantes le 22 juin qui a causé la disparition et la probable noyade de Steve Caniço, 24 ans
· Rabah Souchi, qui a dirigé la charge policière ayant failli tuer Geneviève Legay à Nice, une manifestante gilet jaune pacifique de 73 ans
· Bruno Félix, chef du service de police antiémeute impliqué dans la disparition à Marseille de Zinab Redouane.
(Article paru d’abord en anglais le 19 juillet 2019)