Perspective

Des manifestations de masse éclatent à Hong Kong

Une manifestation et une marche massives ont eu lieu dans les rues de Hong Kong dimanche contre les changements prévus à sa loi d’extradition. Cet événement est une claire indication de la radicalisation politique croissante de larges couches de la population déterminées à défendre les droits démocratiques fondamentaux.

Les modifications proposées à la loi d’extradition, la ‘Fugitive Ordinance Law’, permettraient d’étendre à la Chine les dispositions actuelles en matière d’extradition. Cela a suscité de vives inquiétudes que le régime de Pékin pourrait utiliser cette législation pour faire expulser vers la Chine continentale, juger et emprisonner sur la base d’accusations inventées de toutes pièces, des opposants politiques et des dissidents religieux chinois, en fait, toute personne considérée comme une menace.

Selon les organisateurs, plus d’un million de personnes ont participé à la manifestation d’hier. C’est-à-dire que la participation était de près d’un sur sept des 7,4 millions d’habitants de Hong Kong. Des pancartes et banderoles disaient «Non à l’extradition vers la Chine!» et «Carrie Lam démissionne!» La Chef de l’exécutif, Lam, est la plus haute fonctionnaire de Hong Kong et donc responsable de la législation.

La foule nombreuse comprenait un large éventail d'organisations d'étudiants, de travailleurs migrants du sud de la Chine, de partis politiques, de groupes religieux et d'organisations à but non lucratif, ainsi que de nombreux milliers de personnes concernées. Au moins 90 magasins avaient fermé leurs portes pour permettre à leurs employés de participer à la manifestation.

Des manifestants qui scandaient «Ouvrez la rue!» ont franchi les barricades de la police pour encercler l’édifice législatif de Hong Kong, où la loi doit être entendue à nouveau mercredi. Cinq heures après le début de la marche, le complexe du Conseil législatif était toujours encerclé alors que les organisateurs annonçaient d’autres manifestations. Aux petites heures du matin, la police antiémeute a utilisé matraques et vaporisateur de poivre pour disperser violemment les manifestants qui restaient.

Des manifestations de moindre envergure exigeant le retrait de la loi ont également eu lieu dans 29 villes à travers le monde dont New York, San Francisco, Sydney, Tokyo, Toronto et Taipei. «Je suis ici aujourd’hui parce que je crains qu’on m’extrade vers la Chine continentale pour des crimes que je n’ai pas commis», a déclaré Henry Lee au South China Morning Post. Lee est un Hongkongais qui vit actuellement à Melbourne.

La manifestation de samedi est la dernière d’une série de manifestations qui se sont multipliées depuis qu’on a suggéré pour la première fois une modification de la loi d’extradition en février, et cela malgré les assurances données par Lam que les dissidents politiques et religieux n’étaient pas en danger et que l’indépendance des tribunaux de Hong Kong était assurée. Les craintes ont augmenté à mesure que l’exécutif tentait de faire adopter les amendements à toute vapeur par le conseil législatif, contournant le contrôle des commissions. Des tensions ont éclaté dans des affrontements physiques entre législateurs à propos de procédures antidémocratiques.

La vigile annuelle qui s’est tenue à Hong Kong le 4 juin pour marquer le massacre de la place Tiananmen a attiré un nombre record de plus de 180.000 personnes remplissant les six terrains de football du parc Victoria de la ville et les zones adjacentes. Les participants étaient venus non seulement pour manifester leur opposition à la répression militaire barbare de Pékin il y a 30 ans mais aussi à cause de leur préoccupation relative à la loi sur l’extradition. Il ne fait aucun doute que la manifestation comprenait des personnes qui avaient fui à Hong Kong en 1989 et qui craignaient d’être arrêtées et renvoyées en Chine.

La Grande-Bretagne a rendu son ancienne colonie à la Chine en 1997, partant du principe que Hong Kong serait une région administrative spéciale (RAS) dotée d’une large autonomie en vertu de sa Loi fondamentale. La politique de Pékin «Un pays, deux systèmes» a maintenu des relations de propriété capitalistes à Hong Kong. La ville a joué à son tour un rôle crucial pour le Parti communiste chinois (PCC) en accélérant la restauration capitaliste sur le continent. Des sociétés étrangères, et même chinoises, ont établi leur siège social à Hong Kong où leurs activités en Chine étaient solidement garanties par un droit commercial établi de longue date.

Malgré ses prétentions à respecter l’autonomie de Hong Kong, le régime du PCC a tenté à plusieurs reprises d’empiéter sur les droits démocratiques pour essayer de supprimer l’opposition politique à sa porte. Mais, en 2003, un demi-million de personnes ont défilé à Hong Kong pour s’opposer à son projet de loi sur la sécurité nationale. Une telle loi aurait effectivement étendu à la ville les mesures policières de la Chine. Le PCC a dû mettre le projet de loi au rancart indéfiniment.

En 2014, des protestations de masse ont éclaté contre les plans de Pékin visant à maintenir un contrôle étroit sur le choix du directeur général de Hong Kong. La personne qui occupe ce poste exerce de larges pouvoirs dans l’administration de la ville. Des opposants libéraux bourgeois tels que le fondateur du Parti démocrate Martin Lee étaient prêts à faire des compromis. Mais des groupes d’étudiants sont descendus dans la rue pour exiger des élections libres et ouvertes. Cela a déclenché des occupations de rue qui ont duré des semaines avant de s’épuiser et d’être réprimées par la police. Beijing n’a pas changé sa procédure de sélection hautement restrictive du directeur général.

Si l’on veut que les protestations actuelles contre la législation de l’extradition aillent de l’avant, il faut tirer les leçons des expériences passées. Au premier rang de celles-ci il y a la perspective politique pour laquelle se battre.

L’échec du mouvement ‘occupation’ ou ‘parapluie’ de 2014 n’est pas le résultat d’un manque de détermination ou de courage de la part de ses jeunes participants. Il provenait bien plutôt du fait que ses dirigeants de la Fédération des étudiants et des universitaires de Hong Kong – bien que plus militants dans leurs tactiques et plus directs dans leurs revendications – n’avaient aucune alternative politique à opposer aux libéraux conservateurs comme Martin Lee.

Dans les protestations actuelles contre la loi sur l’extradition, une fois de plus, des personnalités du Parti démocrate comme Lee jouent un rôle de premier plan. Ils s’alignent sur certains secteurs de l’élite des entreprises de Hong Kong qui se sont également opposés à la législation par crainte qu’elle ne mine les tribunaux et l’attrait de Hong Kong comme base d’investissements en Chine.

Lee et ses alliés encouragent également la dangereuse illusion qu’on pourrait enrôler les États-Unis pour lutter en faveur des droits démocratiques à Hong Kong. Le mois dernier, Lee a dirigé une délégation à Washington qui a rencontré, entre autres, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, ainsi que la Commission exécutive du Congrès sur la Chine. L’Administration Trump n’a pas la moindre préoccupation pour les «droits de l’homme» à Hong Kong ou ailleurs, mais cherchera à exploiter le mouvement dans le cadre de son affrontement croissant et de sa campagne de guerre contre Beijing.

Hong Kong est l’une des villes les plus socialement polarisées du monde et devient chaque année plus inégale. Une poignée de multimilliardaires dominent l’économie alors que la majorité de la population a du mal à trouver un toit. Beaucoup sont contraints de vivre dans des logements de fortune comme les «maisons-cages».

La lutte pour les droits démocratiques à Hong Kong doit s’appuyer sur la classe ouvrière et s’inscrire dans la lutte plus large contre l’austérité et pour les droits sociaux fondamentaux tels que des emplois et salaires décents. Cela signifie une lutte politique basée sur un programme socialiste, contre la domination des manifestations actuelles par des figures comme Lee et d’autres défenseurs du capitalisme, organiquement hostiles à toute mobilisation de la classe ouvrière.

Cela signifie également rejeter tous ceux qui fondent leur opposition à la loi d’extradition sur l’esprit de clocher de Hong Kong, qui n’attisent pas seulement l’hostilité envers le régime du PCC mais aussi envers la Chine continentale en général. La lutte pour les droits démocratiques à Hong Kong ne progressera que dans la mesure où elle se tournera vers les travailleurs chinois et soutiendra leurs luttes pour les droits démocratiques et sociaux.

Avant tout, une direction révolutionnaire doit être construite dans la classe ouvrière. Cette direction doit se fonder sur la base des leçons historiques de la lutte prolongée du mouvement trotskyste pour l’internationalisme socialiste, contre le stalinisme sous toutes ses formes, y compris le maoïsme qui est responsable du régime d’État policier de Beijing. C’est pour cette perspective que se bat le Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru d’abord en anglais le 10 juin 2019)

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