Le gouvernement Macron menace de porter des accusations avec une peine potentielle de cinq ans de prison contre des journalistes qui ont dénoncé sa fourniture secrète d’armes pour la guerre illégale de l’Arabie saoudite au Yémen. Les Saoudiens et leurs alliés ont tué des dizaines de milliers de civils au cours de cette guerre.
Le 15 avril, l’organisation journalistique Disclose a publié un document classifié de 15 pages préparé en octobre dernier par la direction de la sécurité de l’armée pour le président et les principaux ministres. Il fournissait des informations précises sur l’utilisation d’armes françaises par l’Arabie saoudite au Yémen, notamment des chars, des missiles et des systèmes de guidage laser. Le document prouve également que de nombreux responsables français, dont la ministre des Forces armées Florence Parly, ont menti à plusieurs reprises en niant que les Saoudiens ont utilisé des armes françaises dans ces crimes de guerre.
Peu après la publication du rapport, le gouvernement Macron a convoqué trois journalistes impliqués dans l’exposition pour un interrogatoire par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Il s’agissait de Geoffrey Livolsi et de Mathias Destal, cofondateur de Disclose, ainsi de Benoit Collombat de Radio France.
Le 14 mai, Disclose a twitté une déclaration relatant l’interrogatoire qui a eu lieu cet après-midi-là dans le nord-ouest de Paris, protestant contre l’attaque de l’administration Macron contre la liberté de la presse.
Selon la déclaration, le DGSI a informé les journalistes au début de leur interrogatoire que l’enquête était ouverte en vertu des lois sur le «terrorisme et les attaques contre la sécurité nationale». «Ceci, écrit Disclose, prive les journalistes de Disclose des protections garanties par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La police a cherché à les contraindre à identifier leur source».
«La formulation des questions avait pour seul objectif de violer les protections fondamentales du droit de la presse au secret des sources, élément essentiel de la liberté de la presse». Le DGSI les a interrogés sur leurs messages personnels sur Twitter et Facebook, «y compris ceux qui n’avaient aucun rapport avec le sujet de l’interview. Une autre tentative d’intimidation».
«Avant d’exercer leur droit au silence, Mathias Destal et Geoffrey Livolsi ont donc déclaré aux enquêteurs qu’ils agissaient dans leur mission d’information du public». Le 28 mai, Le DGSI a interrogé un troisième journaliste de Disclose, Michel Dispratz.
L’administration Macron portera probablement plainte contre les journalistes en vertu d’une loi antidémocratique extraordinaire adoptée en juillet 2009, sur la «sécurité des secrets de la défense». Elle interdit à quiconque d’entrer en possession, de «détruire» ou de «porter à la connaissance du public» tout document jugé important par le gouvernement pour la «sécurité nationale». Il est passible d’une peine d’emprisonnement maximale de 5 ans en cas de condamnation et d’une amende de 75.000 euros.
Les actions du gouvernement Macron s’inscrivent dans le cadre d’une campagne menée par les gouvernements capitalistes du monde entier – avec l’aide des sténographes d’État dans les grands médias corrompus – pour criminaliser l’acte d’alerter la population et détruire la liberté de la presse.
Son expression la plus vive se trouve dans la persécution du journaliste de WikiLeaks Julian Assange et de la lanceuse d’alerte, Chelsea Manning.
L’administration Trump, avec le soutien des gouvernements australien et britannique, cherche à extrader Assange du Royaume-Uni pour avoir dénoncé des crimes de guerre américains en Irak et en Afghanistan. L’administration veut le juger en vertu de la loi sur l’espionnage, pour laquelle il risque une peine de 170 ans ou la peine capitale. Dans le même temps, Manning, la source de WikiLeaks, est détenue indéfiniment en prison aux États-Unis pour outrage au tribunal, après avoir refusé de témoigner devant un grand jury ayant pour tâche de porter de nouvelles accusations frauduleuses contre Assange.
Les forces politiques et les publications, dont Le Monde en France, ont promu les calomnies utilisées pour justifier la persécution d’Assange. Donc, ils portent la responsabilité d’avoir créé l’environnement politique dans lequel Macron est en mesure de mener ces actions.
Le rapport de Disclose indique clairement que le gouvernement français a violé le droit international. Cela comprend un traité européen de 2014 sur les ventes d’armes. Le gouvernement français a vendu des armes tout en sachant qu’elles allaient être utilisées dans des crimes de guerre. Pourtant, comme dans le cas d’Assange et de Manning, ceux qui font face à des accusations criminelles ne sont pas les auteurs du crime. Ils sont des journalistes et des lanceurs d’alerte qui l’ont exposé à la population.
Livolsi a déclaré au site web Intercept le 17 mai qu’«ils veulent faire de nous un exemple parce que c’est la première fois en France qu’il y a des fuites comme celle-ci. Ils veulent effrayer les journalistes et leurs sources pour qu’ils ne dévoilent pas des secrets d’État».
Le gouvernement Macron se sert de cette affaire pour montrer clairement qu’il n’a aucun compte à rendre à la population. Le gouvernement dit qu’il ne commentera pas le contenu des fuites, qui ont été lues par des centaines de milliers de personnes, parce qu’elles sont «classifiées». La ministre des Forces armées, Florence Parly, a accordé une entrevue à Jean-Jacques Bourdin, animateur de BFM-TV, le 8 mai, au cours de laquelle l’échange suivant a eu lieu:
Bourdin: Florence Parly, avez-vous entre les mains le rapport de 15 pages rédigé par la direction de renseignement militaire sur la situation sécuritaire au Yémen?
Parly: J’ai beaucoup de rapports entre les mains.
Bourdin: Avez-vous eu ce rapport entre les mains? Oui ou non?
Parly: C’est un rapport que j’ai eu entre les mains. Je suis destinataire de ces dossiers. J’en suis même une destinataire autorisée, contrairement à d’autres, qui se procurent ces documents, qui n’ont pas à avoir entre les mains parce que ce sont des documents classifiés.
Bourdin: Mais ce sont des journalistes qui se sont procuré ces documents.
Parly: En infraction de toutes les règles et lois de notre pays.
Bourdin: Bon, que dit cette note?
Parly: Je n’ai pas du tout l’habitude de commenter les notes qui sont classifiées.
Bourdin: Ces journalistes, Florence Parly, ont révélé la teneur de cette note, de ce rapport confidentiel.
Parly: Je n’ai pas de commentaire à faire puisque, comme c’est classifié, on peut révéler des choses, qui ne s’y trouvent pas.
Bourdin: Ce qu’ils ont révélé n’est pas vraiment dans la note?
Parly: Je n’ai rien à dire. J’ai dit que lorsqu’on divulgue des documents classifies, on s’expose à des sanctions, et que ce n’est pas le ministre des armées, que je suis, qui va commenter en affirmant ou confirmant ce qui se trouve dans cette note.
Parly a pris la parole devant l’Assemblée nationale le 7 mai, lors d’une audience de la commission des services armés et de la défense nationale. Non seulement elle a défendu les ventes d’armes à l’Arabie saoudite, mais aussi a déclaré que l’État français devait en général pouvoir vendre des armes aux pays qui commettent des crimes de guerre.
«Une fois la guerre déclenchée, quand nos partenaires utilisent la force d’une manière qui ne nous paraît pas compatible avec le droit international humanitaire, nous ne manquons pas de le leur dire. Devrions-nous pour autant cesser toute vente d’armement à ces pays et interrompre le service des équipements déjà fournis? Je crois plutôt que dans cette situation, il nous faut exercer notre discernement».
Elle a ajouté: «Par ailleurs, ce serait porter un coup sérieux à la réputation de la France auprès de ses clients, en donnant l’impression qu’elle peut lâcher ses partenaires en cours de route si elle désapprouve telle ou telle de leurs actions. Enfin, ce serait fragiliser tout un écosystème industriel et technologique dans notre pays, qui dépend de nos contrats à l’exportation».
Ces remarques mettent en lumière les véritables considérations qui sous-tendent la persécution des journalistes de Disclose par le gouvernement Macron. L’impérialisme français a participé à de nombreuses guerres néocoloniales illégales au cours des 25 dernières années, dont le viol de la Libye en 2011. La classe dirigeante française se prépare à des guerres qui impliqueraient des crimes d'une ampleur jamais vue au cours de la génération actuelle. Elle sait aussi que la classe ouvrière s'oppose massivement au militarisme et à la guerre. Elle s’oppose également aux inégalités sociales et à la pauvreté, ce qui s'est traduit par les protestations massives des six derniers mois par les gilets jaunes. Elle est donc en train de construire un État policier pour réprimer toute opposition.
Lire aussi:
Macron s’apprête à poursuivre en justice les journalistes qui ont révélé des ventes d’armes françaises dans la guerre au Yémen (27 avril 2019)
Des documents fuités impliquent le gouvernement français dans les crimes de guerre commis au Yémen (27 avril 2019)
(Article paru d’abord en anglais le 30 mai 2019)