La tentative extraordinaire des autorités suédoises pour monter à la va-vite une audience pour une possible extradition du fondateur de Wikileaks Julian Assange vers la Suède a été reportée par un tribunal au 3 juin. La cause en est que les avocats d'Assange n'ont même pas pu s’entretenir avec le journaliste et éditeur emprisonné.
La hâte avec laquelle le procureur suédois a demandé une ordonnance formelle de mise en détention d'Assange sur la base d’accusations d'inconduite sexuelle forgées de toutes pièces, illustre un peu plus le mépris des droits juridiques fondamentaux, piétinés par tous les gouvernements – américain, britannique, australien et suédois – qui conspirent pour imposer le transfert d’Assange aux États-Unis sur de fausses accusations pouvant entraîner la prison à vie, voire la peine de mort.
L’opération judiciaire suédoise a été portée devant le tribunal de district d'Uppsala le jour même où des responsables équatoriens procédaient, à la demande de Washington, à une fouille illégale des biens personnels d'Assange, y compris des documents relatifs à sa défense, à l'ambassade d’Équateur à Londres.
Cette double opération a eu lieu face à un soutien international croissant en faveur d'Assange et de la courageuse lanceuse d’alerte Chelsea Manning. Celle-ci a de nouveau été emprisonnée aux États-Unis pour refus de témoigner contre Assange, un témoignage dont l’objectif est de permettre des accusations d’espionnage et de conspiration montées de toutes pièces contre lui.
Si la tentative de la Suède a été programmée pour détourner l’attention des scènes de perquisition à Londres, c’était aussi un simulacre de justice. L’intention était d’aider l’administration Trump mais aussi une remise directe aux États-Unis de la correspondance juridique et d’autres documents pour les utiliser contre Assange.
La procureur général adjoint suédoise, Eva-Marie Persson, avait exhorté le tribunal d'Uppsala à convoquer l'audience sur la décision de détention pour hier, avec un délai de deux jours seulement. Mais Per E Samuelsson, l'avocat suédois d'Assange, a objecté, avec succès, qu'il n'avait pas été en mesure de s’entretenir avec son client incarcéré.
Assange reste enfermé dans une cellule en isolement presque total à la prison de très haute sécurité de Belmarsh, à Londres, après avoir été condamné à une peine de cinquante semaines de prison le 1er mai pour une violation mineure de la liberté sous caution datant de près de sept ans. Il a seulement enfreint les conditions de sa caution en 2010 afin d’exercer son droit internationalement reconnu de demander l’asile politique en Équateur. Il craignait à juste titre que les allégations de la Suède, soudain relancées à présent, ne soient un moyen de l'extrader aux États-Unis.
Samuelson, a déclaré à l'AFP lundi: «J'ai écrit au tribunal de district et déclaré qu'il ne pouvait pas tenir d'audience sur la détention tant que je n'avais pas rencontré mon client et reçu des instructions. Étant donné qu’il est incarcéré à Londres, je n’ai même pas encore pu établir de contact par téléphone. »
La procureur Persson a déclaré à la cour qu'il n'était pas nécessaire de laisser plus de temps à la défense pour se rencontrer. Mais cet abus de procédure était tellement flagrant que le tribunal d'Uppsala a convenu que Samuelson devait pouvoir « consulter son client ».
Néanmoins, même la date limite du 3 juin laisse peu de temps à Assange et à son équipe juridique pour se préparer à contester la demande suédoise, en raison notamment des conditions pénibles dans lesquelles il est incarcéré à la prison de Belmarsh.
Les allégations de la Suède, lancées pour la première fois en 2010, visaient toujours à noircir le nom d'Assange et à mettre au point un mécanisme pour le traîner de force aux États-Unis. Comme l'administration Trump aujourd'hui, la Maison Blanche d'Obama était résolue à mettre la main sur lui en raison des révélations dévastatrices par Wikileaks des crimes de guerre, des interventions politiques illégales et de la surveillance de masse par les États-Unis et leurs alliés en Afghanistan, en Irak et dans le monde.
Cela reste la motivation derrière la reprise d’allégations qui avaient finalement été abandonnées en 2017. Persson a annoncé la semaine dernière la réouverture de « l'enquête préliminaire » suédoise sur les actes d'inconduite sexuelle allégués à l’encontre d’Assange. Cela sert le double objectif de nourrir la chasse aux sorcières contre Assange avec l’allégation concoctée de viol et celui de laisser la possibilité au gouvernement britannique d’envoyer Assange en Suède comme moyen de le livrer effectivement aux États-Unis.
Cela peut présenter des avantages juridiques et politiques pour les personnes impliquées dans la chasse aux sorcières anti-Assange. Juridiquement, cela pourrait offrir une voie d'extradition plus rapide vers les États-Unis, via la Suède, et contourner des lois britanniques interdisant formellement l'extradition sur des accusations politiques ou passibles de la peine de mort. Politiquement, cela doit ternir davantage la réputation d'Assange tout en permettant au parti travailliste britannique et aux groupes pseudo de gauche de se laver cyniquement les mains de son sort et de le laisser aux mains de Washington.
De nombreux grands médias ont dit que la Suède avait déposé une demande d'arrestation d'Assange sur des «accusations de viol». Ceci est doublement faux. Assange n'a jamais été accusé d'aucun crime en Suède. En fait, l’audience du 3 juin décidera de déposer ou non une demande de détention. Cela pourrait donner l’occasion à Assange de commencer à combattre les allégations d'inconduite sexuelle, qu'il nie vigoureusement, devant les tribunaux suédois.
L'avocat équatorien d'Assange, Carlos Poveda, a en outre souligné que l’affirmation de la procureur suédoise qu’elle rouvrait le dossier parce que l'enquête précédente ne pouvait être poursuivie, était fausse.
« Il n'est pas correct de dire qu'il était impossible de mener des enquêtes », a déclaré Poveda aux journalistes. Il a rappelé qu'il y a environ trois ans, une coopération avait été instaurée entre les autorités suédoises et équatoriennes afin de mener des enquêtes sur l'affaire, de sorte que « les portes de l'enquête étaient complètement ouvertes ».
Des documents obtenus en 2017 et 2018 via une affaire de liberté d’accès aux documents administratifs, intentée par la journaliste italienne Stefania Maurizi, ont révélé deux faits accablants au sujet du complot contre Assange.
Le premier était que le Parquet britannique avait insisté en 2010 et 2011 pour que les autorités suédoises rejettent l'offre d'Assange de l'interroger en Grande-Bretagne ou par liaison vidéo au sujet des allégations, plutôt que de demander un mandat d'arrêt en vue d’une extradition.
Deuxièmement, les procureurs suédois ont tenté d'abandonner les procédures d'extradition contre Assange dès 2013, quatre ans avant d'abandonner formellement les procédures en 2017. Le Parquet britannique, cependant, les en a dissuadés. L’avocat général chargé du dossier, qui a depuis pris sa retraite, avait écrit: « En aucun cas ne vous dégonflez pas !!! ».
(Article paru en anglais le 22 mai 2019)