Les violences qui secouent depuis des mois la République centrafricaine (RCA) ont fait de nouvelles victimes civiles, le 6 septembre, dans la ville de Bria, située à 400 km au nord-est de la capitale Bangui. Bria avait déjà été le théâtre d’affrontements entre milices ayant fait plusieurs dizaines de morts en mai, puis en juillet de cette année.
On a découvert une douzaine de corps au moins, dont ceux de dix femmes dans le camp de déplacés situé à proximité d’une base de la Minusca, la force militaire contestée de l‘ONU en «mission de paix» dans le pays depuis 2014. Plusieurs centaines de déplacés furieux face à ces assassinats ont manifesté devant la base dénonçant l’indifférence des casques bleus.
On a pointé du doigt les milices de l’ex-Seleka, à l‘origine soutenue par la France. Les assassinats auraient été commis pour se venger d‘une embuscade menée par la force adverse anti-balaka. Ces deux alliances ostensiblement opposées sur une base ethno-religieuse, respectivement musulmane et chrétienne, sont depuis des années instrumentalisées par diverses puissances rivales opérant dans la région.
Ce massacre a eu lieu alors que les tensions entre la France et la Russie s’intensifient dans ce pays situé entre le Tchad au nord et le Congo au sud, et marqué depuis des années par la dévastation et les violences. La Centrafrique, que la France considère comme faisant partie de son «pré carré» africain, est déjà un des pays les plus pauvres du monde.
Depuis la demande par le gouvernement actuel du président Faustin-Archange Touadéra d‘une collaboration militaire et économique avec la Russie et l’arrivée d‘armes et de conseillers militaires russes dans le pays, ses rapports avec Paris se sont fortement tendus. L‘opération militaire française Sangaris s‘était terminée en 2016 sur fond d’accusations de violences sexuelles de ses soldats contre la population et était partie, haïe des masses. Mais Paris avait maintenu plusieurs centaines de soldats dans le pays, restant capable d‘acheminer des troupes supplémentaires rapidement. La France est intervenue militairement en juillet 2017.
Touadéra a fait appel à Moscou alors qu’il ne contrôle qu’une petite partie du pays, le reste étant sous contrôle de milices en ligue avec les États-Unis, les puissances européennes et la Minusca qui menacent régulièrement le gouvernement dans la capitale, Bangui. La population, largement déplacée, est une victime systématique des violences sur fond d’énormes tensions sociales. En octobre 2016, une grève générale «ville morte» accompagnée de manifestations et principalement dirigée contre la Minusca, avait paralysé Bangui, malgré une répression brutale du gouvernement.
Trois initiatives diplomatiques de la France, de la Russie et de l’Union africaine ont été lancées récemment avec des objectifs concurrents. Une conférence rassemblant plusieurs groupes armés à Khartoum au Soudan sous l’égide de la Russie et une autre sous celle de l’Union africaine à Bouar ont abouti à des accords de paix différents. Celle organisée par la France dans la capitale tchadienne N’djamena a pour objectif, selon des responsables centrafricains, de faire pression sur Touadéra pour qu‘il renonce à un rapprochement avec la Russie.
Son rapprochement avec Moscou et les perspectives de coopération économique accentuées avec la Russie, mais aussi la Chine, contrarient les plans néo-coloniaux d‘expansion militaire de la France et de l’Europe en Afrique. La RCA, dont la monnaie est le franc CFA lié à l’euro, était jusque là sous la domination de Paris. Ces développements agitent profondément le gouvernement Macron.
En mai de cette année, l’état-major des armées avait déjà décrit les vols d’avions de chasse à basse altitude au dessus des populations locales comme «une démonstration de force dissuasive en RCA». On avait rapporté à l‘époque que Paris était prêt a bombarder le pays.
Moscou vient tout récemment de signer des accords de coopération militaire avec la Centrafrique et le Burkina Faso. La Russie et la RCA développent également leur coopération économique, notamment depuis le Forum économique international de Saint-Pétersbourg de mai 2018.
La coopération entre la RCA et la Chine, prévoit d‘investir 60 milliards de dollars en Afrique, se développe elle aussi. Au Forum de coopération sino-africain (FCSA), Touadéra a appelé à un accroissement de l‘investissement chinois en Centrafrique. On a décidé en marge du sommet la construction d‘un barrage hydraulique à Boali, à une centaine de kilomètres de Bangui.
L’hostilité des Centrafricains au gouvernement Hollande et à son opération Sangaris est restée véhémente vis-à-vis du gouvernement Macron. Dans les rues de Bangui, on reproche ouvertement à Paris d’être la cause du désastre actuel, de manipuler les groupes armés et de participer au pillage du pays.
Pour Paris, l’enjeu est énorme comme l’a exprimé Macron dans son discours du 27 août devant les ambassadeurs. «Jamais nous ne remporterons la bataille que j’évoquais sur les biens communs, jamais nous ne parviendrons à construire ces nouvelles coopérations et alliances pour l’ordre international qui est le nôtre sans l’Afrique,» avait-il dit avant d‘ajouter: «L’Afrique est ... le continent où se joue l’avenir de la Francophonie».
Une confrontation militaire entre la France et la Russie en Afrique n’est pas à exclure. L‘opération Barkhane et ses opérations connexes comme la Minusma et le «G5» (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad) doivent, selon Macron, être démultipliées et étendues au sud du Sahel, «au Cameroun et au Nigeria». La Centrafrique fait partie précisément de cette zone.
Le conflit sanglant en Centrafrique a des retombées bien au-delà du continent africain. Parallèlement aux conflits que préparent les Etats-Unis et leurs alliés européens en Afrique ou encore en Syrie avec la Russie et la Chine, on prépare de larges conflits en Europe même.
L’ancien inspecteur général de l‘Armée allemande Harald Kujat avait, en avril de cette année, appelé à prendre conscience des conséquences que l’escalade du conflit syrien et d‘une guerre avec la Russie auraient pour l’Europe. Avertissant d‘une «guerre chaude» et que la situation «lui rappelait celle avant la Première Guerre mondiale», il avait dit: «Tout se dirige vers une confrontation entre les deux superpuissances stratégiques nucléaires, les Etats-Unis et la Russie. C‘est une situation qui pourrait avoir des conséquences considérables sur notre propre sécurité». »
C‘est dans ce contexte avéré de marche à la catastrophe que le gouvernement Macron, appuyé par Jean-Luc Mélenchon, exige la réintroduction du service militaire obligatoire en France. Un projet pour fournir la chair à canon nécessaire au pillage impérialiste de pays quasiment sans défense, dont Paris espère violer la souveraineté impunément, mais aussi à préparer des guerres de grande envergure entre puissances nucléaires en Europe même.