Le gouvernement Trudeau a appliqué des tarifs au montant de 16,6 milliards de dollars canadiens (12,6 milliards de dollars américains) à plusieurs produits dimanche, dans la dernière salve de la guerre économique entre Ottawa et Washington, qui ne fait que s’intensifier.
Les tarifs sont une réponse aux tarifs de 25% imposés par l'administration Trump sur les importations d'acier et de 10% sur les importations d'aluminium. Ceux-ci, ainsi que les menaces de la part de Trump d'imposer un tarif de 25% sur les voitures et de se débarrasser de l'Accord de libre-échange nord-américain (l'ALÉNA), ont secoué l'élite dirigeante canadienne et plongé les relations canado-américaines dans leur pire crise depuis des décennies.
Le premier ministre canadien Justin Trudeau et son gouvernement libéral ont coordonné la mise en oeuvre des tarifs contre les États-Unis afin qu'ils coïncident avec la fête nationale du Canada. Pour sa part, le Globe and Mail, le porte-parole de l'élite financière canadienne, a célébré la fête nationale avec une diatribe réactionnaire, intitulée «La fête du Canada: pourquoi 1867 l'emporte sur 1776» («Canada Day: Why 1867 beats 1776»), qui résumait les traditions réactionnaires et antidémocratiques de la bourgeoisie canadienne. L'éditorial dénonce les révolutions américaines et françaises, les deux grandes révolutions démocratiques bourgeoises inspirées par les principes des Lumières, et affirme que la sordide entente commerciale appuyée par la Grande-Bretagne à l'origine de l'État fédéral canadien fut bien supérieure.
Lors de son discours de la fête du Canada, Trudeau a présenté les tarifs de rétorsion comme étant une façon de protéger les travailleurs canadiens et un exemple de solidarité canadienne. «De l'acier d'Ontario à l'aluminium du Québec, de l'agriculture et du secteur de l’énergie dans les Prairies et au Nord, de la foresterie en Colombie-Britannique à la pêche en Atlantique, les Canadiens, a déclaré Trudeau, «font avancer les choses – et construisent nos communautés en même temps.»
Foutaises! Ottawa mène une guerre commerciale non pas pour défendre les travailleurs et leur niveau de vie, mais pour protéger les marchés et les profits de la grande entreprise canadienne.
Le gouvernement Trudeau a déjà annoncé des milliards de dollars d’aide pour l'acier canadien et les producteurs d'aluminium, qui devront être repayés en intensifiant l'assaut de classe contre les travailleurs canadiens. Les travailleurs devront également porter le fardeau des augmentations des prix qui résulteront des tarifs.
Les tarifs de rétorsion sont, en termes monétaires, de loin les plus importants comparés à ceux que tout État, ou que toute union d'États dans le cas de l'Union européenne, ait appliqués en réponse aux tarifs d'acier et d'aluminium des États-Unis. Ceci reflète le fait que le Canada est le plus important exportateur des deux produits vers les États-Unis et conséquemment a été le plus désavantagé par les mesures économiques américaines, que Washington a lancées sous la clause rarement usitée de «sécurité nationale». D'après l'économiste en chef adjoint d'Export Development Canada, Stephen Tapp, 3,1% des exportations de marchandises du Canada ont été touchés par les tarifs d'acier et d'aluminium, comparativement à 0,4% des exportations de l'Union européenne, et 0,1% de celles de la Chine.
Dans une entrevue avec Fox News dimanche, Trump, qui a pourfendu Trudeau et menacé d’imposer d’autres mesures commerciales contre le Canada à la fin du sommet du G7 le mois dernier, a réitéré sa menace d'imposer un tarif de 25% sur les importations de voitures provenant du Canada. «Je vais taxer leurs voitures qui entrent aux États-Unis et ça, c'est la grosse affaire», a dit le président américain. «Nous pouvons parler d'acier, nous pouvons parler de tout: l’important c'est les voitures.»
Trump a également dit qu'il n'approuverait aucune nouvelle entente sur l'ALÉNA au moins jusqu'après les élections de novembre. Parmi d'autres modifications, Trump exige une «clause de caducité», que le Canada et le Mexique rejettent parce qu'elle permettrait aux États-Unis, un géant comparé aux deux autres, de constamment exiger des modifications à son avantage.
La possibilité de tarifs américains sur les voitures a secoué les cercles dirigeants canadiens, Flavio Volpe, le président de l'Association des fabricants de pièces d'automobile du Canada l'ayant qualifiée de véritable «carmaggedon». La Banque TD affirme que l'application de tels tarifs mettrait 160.000 emplois à risque dans le secteur de l'automobile canadien.
Les travailleurs au Canada doivent rejeter les appels réactionnaires et nationalistes – des appels que les syndicats et le NPD social-démocrate répètent et amplifient – qui les incitent à appuyer le gouvernement libéral et le patronat canadien dans une guerre économique, que celle-ci vise les États-Unis, la Chine, ou n'importe quel autre pays, ou groupe de pays.
Au lieu de cela, ils devraient se joindre aux travailleurs aux États-Unis, au Mexique et à travers le monde en revendiquant leurs propres intérêts de classe à travers une lutte unie en défense des emplois, des salaires, et des droits sociaux de tous les travailleurs, contre toutes les formes de protectionnisme économique et le militarisme, et pour la transformation socialiste de la société.
L'éruption d'intenses conflits protectionnistes entre les États-Unis et ceux qui jusqu'à récemment étaient leurs plus étroits alliés nord-américains et européens est le produit et une manifestation de la crise la plus profonde du capitalisme mondial depuis la Grande Dépression des années 1930. Et tout comme alors, les cliques rivales bourgeoises respectivement basées sur leur État-nation réagissent à la crise en intensifiant leur extraction de profits de la classe ouvrière et en affirmant leurs intérêts prédateurs à l'échelle mondiale à travers le protectionnisme, les politiques de grandes puissances, le réarmement et la guerre.
Les puissances impérialistes européennes, menées par l'Allemagne, se remilitarisent et aspirent à imposer leurs ambitions impérialistes indépendamment de Washington et de plus en plus en opposition ouverte aux États-Unis.
Depuis la Deuxième Guerre mondiale, la bourgeoisie canadienne dépend de son partenariat économique et militaire stratégique avec Washington afin de promouvoir ses propres intérêts et ambitions impérialistes à travers le monde et elle demeure vouée à ce partenariat malgré le gouvernement américain le plus à droite de l'histoire. Mais elle se fait secouer par les politiques de l’ «Amérique d’abord» de Trump – c'est-à-dire, par les tentatives de Washington de renverser le déclin spectaculaire de la position mondiale de l'impérialisme américain en réorganisant les relations commerciales et géopolitiques mondiales de façon agressive.
Avec l'appui écrasant de l'élite canadienne, Trudeau a essayé de façon assidue de trouver un accommodement avec Trump depuis son arrivée au pouvoir en novembre 2016. Mais avec le recours aux mesures protectionnistes des États-Unis, de puissantes voix s'élèvent au sein de la classe dirigeante canadienne et revendiquent une politique plus musclée contre Washington.
«Nous avons un client qui achète 75% de ce que nous vendons», disait le président de la Chambre de commerce canadienne et ancien ministre de cabinet du gouvernement Harper, Perrin Beatty, la semaine dernière. «Ce client, qui a été notre meilleur ami et allié, cherche à présent à infliger des dommages à l'économie canadienne. Nous devons prendre cela très au sérieux.»
Aussi importantes qu'elles le sont, les questions protectionnistes ne représentent qu'un aspect du gouffre grandissant entre Ottawa et Washington. Le mois dernier, Trump attaquait Trudeau dans une lettre formelle soulignant l'échec du Canada à adhérer à la promesse de l'OTAN que ses membres devaient prévoir l'équivalent de 2% de leur PIB pour leur budget militaire. Trump a dit que bien que Washington soit reconnaissant pour l'implication du Canada dans ses offensives géostratégiques à travers le monde, tout l'establishment politique américain, et non seulement son gouvernement, soutient que le Canada doit remplir sa promesse de dépenses militaires à l'OTAN.
Au même moment, le Canada est frustré par la politique étrangère unilatérale de Washington et son recul sur le «Partenariat transatlantique» (pour ne pas dire le rejet ouvert de ce partenariat) entre les puissances impérialistes nord-américaines et européennes. Non seulement ce partenariat a offert à la classe dirigeante canadienne un moyen de pression important en Europe et dans le monde; il a également servi de moyen pour Ottawa d'équilibrer les relations asymétriques bilatérales avec les États-Unis.
Avec une insistance de plus en plus marquée, la classe dirigeante canadienne demande au gouvernement Trudeau de répondre au protectionnisme et à la crise dans les relations canado-américaines en faisant des démarches urgentes pour renforcer la «compétitivité» du capitalisme canadien, c'est-à-dire en intensifiant l'assaut contre la classe ouvrière. Le patronat est particulièrement impatient que Trudeau égale et dépasse les baisses massives d'impôts de Trump, accélère la déréglementation et impose des projets d’oléoducs et d'autres projets d'extraction.
Le fait que Trudeau et ses ministres puissent affirmer qu'ils mènent un Canada «uni» et se présenter comme des alliés des travailleurs d'acier, d'aluminium et d'autres travailleurs est surtout le résultat du rôle traître qui est joué par les syndicats et le NPD. La bureaucratie syndicale n'a pas seulement accueilli les tarifs de Trudeau: elle a joué un rôle dirigeant en les élaborant et en faisant campagne pour eux. En avril, les Métallos et Unifor ont été inclus dans des comités corporatistes menés par le gouvernement voués à réduire les importations d'acier à rabais au Canada, un euphémisme pour s’en prendre aux importations chinoises.
Plus largement, les dirigeants syndicaux comme le président d'Unifor Jerry Dias ont promu le tournant vers le protectionnisme, incluant la réouverture de l'ALÉNA par Trump, espérant que ceci pourrait être utilisé pour renforcer l'industrie automobile canadienne aux dépens des travailleurs mexicains.
Le président des Métallos, Leo Gerard, a loué les tarifs d'acier et d'aluminium de Trump soulignant seulement que le Canada devrait en être exempté, afin que le Canada et les États-Unis puissent mener une guerre protectionniste commune contre la Chine et d'autres pays. Tout comme Trudeau, Gerard a souligné que loin d'être un risque de «sécurité nationale» pour les États-Unis, Ottawa était le plus étroit allié de Washington, entre autres parce qu'il fournit l'acier et l'aluminium pour la construction d'avions de guerre et de chars d'assaut américains.
Commentant une audience du comité parlementaire de la semaine dernière sur les mesures protectionnistes antiaméricaines de Trudeau, l'éditorialiste du National Post John Iveson a écrit: «Ce qui était flagrant était l'unanimité dans la salle entre employeurs et syndicats, entre libéraux, néo-démocrates et conservateurs en appui aux mesures de rétorsion... On sent que le mode de vie canadien est attaqué par une menace externe.»
(Article paru en anglais le 4 juillet 2018)