Le gouvernement allemand déchiré par une crise qui s’approfondit

Trois mois seulement après son entrée en fonction, le quatrième gouvernement d’Angela Merkel risque la dissolution. Un conflit féroce sur la politique des réfugiés entre les partis conservateurs frères, l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et l’Union chrétienne-sociale (CSU), menace de détruire la grande coalition, qui comprend également le SPD social-démocrate. Cela pourrait aussi signifier la fin de la chancellerie de Merkel, qui est à la tête du gouvernement allemand depuis novembre 2005.

Le président du CSU, Horst Seehofer, ministre de l’Intérieur dans le cabinet Merkel, veut refuser l’entrée à la frontière allemande aux réfugiés déjà enregistrés dans un autre pays de l’Union européenne et dont les empreintes digitales sont stockées dans le système Eurodac. Au cours de la dernière année seulement, cela aurait touché 60 000 personnes.

Merkel rejette cela et cherche plutôt une « solution européenne » à la question des réfugiés, qui équivaut à sceller hermétiquement les frontières extérieures de l’Europe, à mener des procédures d’asile standardisées dans des camps spéciaux et à répartir les réfugiés selon les quotas nationaux. Mme Merkel craint qu’une action allemande unilatérale déclenche une réaction en chaîne à l’échelle de l’Europe, conduisant à l’effondrement des frontières ouvertes du système Schengen, qui aurait des conséquences économiques dévastatrices et détruirait l’Union européenne.

La CDU et la CSU sont des partis distincts, mais ils ne se font pas concurrence lors des élections. La CSU existe seulement en Bavière, tandis que la CDU est représentée dans tous les autres états fédéraux. Au niveau fédéral, les deux partis travaillent traditionnellement ensemble et forment une faction commune au Bundestag (parlement). Mais la semaine dernière, le conflit entre eux s’est intensifié rapidement. « La chute de la chancelière, la fin de la grande coalition, la fin de la communauté de la CDU et de la CSU, tout est possible dans la capitale », a écrit vendredi Spiegel online.

Lundi, le ministre de l’Intérieur, M. Seehofer, avait l’intention de présenter un plan directeur sur la politique d’asile, sur lequel il n’avait jamais été d’accord avec la chancelière. Ses 63 points contenaient également le rejet controversé des réfugiés directement à la frontière allemande. Pressé par Merkel, Seehofer a finalement annulé la conférence de presse prévue. Au lieu de cela, il a rencontré les membres du Bundestag de son parti, qui ont fermé les rangs derrière lui. Le lendemain, plusieurs députés de la CDU ont soutenu la position de Seehofer lors d’une réunion de groupe parlementaire mixte entre la CDU et la CSU.

Mercredi, Seehofer n’a pas participé au sommet régulier sur l’intégration avec les associations de migrants et a rencontré à la place le chancelier autrichien Sebastian Kurz, spécialiste des questions de réfugiés. Kurz faisait campagne pour un « axe de la volonté » entre Berlin, Vienne et Rome pour éloigner les migrants. Seehofer a invité de manière provocatrice le ministre italien de l’Intérieur Matteo Salvini, un extrémiste de droite de la Lega, pour une visite à Berlin. Salvini avait récemment refusé de permettre à l’Aquarius, avec plus de six cents réfugiés à bord, de s’amarrer en Italie.

Dans la soirée, les chefs des partis de la CDU et de la CSU ont tenté en vain de parvenir à un compromis à la Chancellerie. La proposition de Merkel de prendre deux semaines avant le prochain sommet de l’UE pour conclure des accords bilatéraux avec les pays directement touchés par les expulsions a été rejetée par Seehofer.

Jeudi, les membres du Bundestag de la CSU et de la CDU ont débattu pendant des heures dans des sessions séparées. Alors que la CDU a largement soutenu Merkel, les délégués de la CSU, comme l’a noté un participant, se sont mis à « trois cents pour cent » derrière Seehofer. La panique a également éclaté parmi les députés parlementaires. On a comparé la situation avec la fin de la République de Weimar dans les années 1930. De la CSU, l’appel a sonné pour un changement de direction dans la CDU, en d’autres termes, pour la démission de Merkel.

Une décision pourrait intervenir lundi, lorsque l’exécutif de la CSU se réunira. Seehofer veut que son plan directeur pour la politique d’asile soit approuvé par eux. Il a menacé d’ordonner le rejet des réfugiés à la frontière contre la volonté de Merkel par décret ministériel. Dans ce cas, Merkel n’aurait d’autre choix que de limoger Seehofer.

Des efforts sont encore entrepris pour désamorcer la crise. La CDU a demandé au président du Bundestag et ancien ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, qui est lui-même proche des positions de la CSU sur de nombreux sujets, de servir de médiateur entre les deux partis.

Le conflit entre la CDU et la CSU a révélé des contradictions qui se sont développées sur une période prolongée. Les cercles dirigeants s’accordent à dire que l’Allemagne doit répondre aux conflits mondiaux croissants en revenant à une politique de grande puissance et au militarisme. « L’Allemagne est trop grande pour commenter la politique mondiale uniquement le banc de touche », a déclaré le ministre des affaires étrangères de l’époque, et président fédéral actuel, Frank-Walter Steinmeier, il y a quatre ans.

Mais il existe des différences marquées quant à la manière dont une telle politique doit être menée. Des sections de la CDU, du SPD, des Verts et de la majorité du Parti de gauche croient que l’Allemagne ne peut rassembler le poids économique et militaire nécessaires pour « se hisser au rang » des États-Unis, de la Chine et de la Russie parmi les actuelles puissances mondiales même avec l’aide de l’Union européenne. Ils préconisent donc de renforcer la capacité militaire de l’UE, de la subordonner aux intérêts allemands et de soumettre la classe ouvrière européenne à des mesures d’austérité strictes. Ils soutiennent une collaboration étroite avec la France, dont le président Emmanuel Macron défend des idées similaires.

Cependant la CSU, une partie de la CDU, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) d’extrême droite et une aile du Parti de gauche, croient que l’UE est trop lourde, trop dépendante des décisions de la majorité et, surtout, trop chère pour servir les intérêts de l’impérialisme allemand. Ils se tournent vers des actions nationales unilatérales qui placent les autres devant un fait accompli et les forcent à décider s’ils sont pour ou contre l’Allemagne. La CSU et Seehofer entretiennent des liens étroits avec les forces nationalistes dans d’autres pays européens. Par exemple, Viktor Orbán, le Premier ministre ultranationaliste hongrois, est régulièrement invité aux événements de la CSU.

Lorsque le chancelier autrichien Kurz a parlé avec Seehofer d’un « axe des volontaires », il ne faisait pas simplement référence au rejet des réfugiés. Le terme « coalition des volontaires » a été initialement inventé par le président américain George W. Bush pour la guerre en Irak, quand il a bafoué des organisations internationales telles que l’ONU et même des alliances militaires comme l’OTAN et a attaqué l’Irak dans une coalition ad hoc.

Des disputes semblables ne divisent pas seulement la bourgeoisie allemande, mais aussi européenne. Au Royaume-Uni, la question de savoir si l’avenir du pays se situe à l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE a divisé de manière désespérée les conservateurs et les travaillistes. En Europe de l’Est, en Autriche et maintenant aussi en Italie, des gouvernements nationalistes sont arrivés au pouvoir, sceptiques ou même hostiles à l’UE.

L’escalade des conflits avec les États-Unis après le sommet du G7 – en particulier les mesures de guerre commerciales de Trump, qui ont durement frappé l’Allemagne et l’Europe et sa menace de guerre contre l’Iran – a encore exacerbé le conflit sur ces questions. Le différend en Allemagne tourne autour de la meilleure façon de renforcer la capacité militaire du pays, tout en plaçant le fardeau du réarmement sur la classe ouvrière.

Mercredi, le ministre allemand des affaires étrangères Heiko Maas a prononcé un discours sur la politique étrangère, exigeant une politique étrangère et de défense allemande européenne indépendante en réponse à « la politique égoïste de Donald Trump, de "l’Amérique d’abord", l’attaque russe contre le droit international et la souveraineté des États et l’expansion du géant chinois ». L’aspiration allemande à fusionner l’Europe en tant que bloc militaire contre les trois grandes puissances nucléaires du monde renforce des tendances extrêmement nationalistes et xénophobes.

La classe ouvrière doit opposer sa propre politique indépendante au virage serré à droite de la classe dirigeante. La seule réponse à la politique anti-réfugiés, aux coupures sociales, au militarisme et au renforcement des pouvoirs étatiques est l’unité internationale de la classe ouvrière dans la lutte pour un programme socialiste.

(Article paru d’abord en anglais le 16 juin 2018)

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