La ministre de la Justice du Québec, Stéphanie Vallée, a annoncé mardi plusieurs «clarifications» de la nouvelle loi du gouvernement libéral privant les femmes qui portent le voile d’accès aux services publics, incluant la santé et l’éducation.
La semaine dernière, tandis que la loi 62 était adoptée par l’Assemblée nationale, Vallée affirmait explicitement que les femmes musulmanes qui portent le niqab ou la burka devraient avoir le «visage découvert» du début à la fin de leur trajet dans l'autobus municipal, de leur visite à la librairie ou de leur utilisation de tout autre service public.
Mardi, elle affirmait qu’elle avait été mal interprétée: celles qui portent un voile et qui veulent prendre l'autobus seront forcées de montrer leur visage, afin d’être «identifiées» et pour des raisons de «sécurité», seulement lors de l’embarquement, ou si les agents du service de transport le leur demandent.
La ministre de la Justice québécoise a également «clarifié» que des femmes voilées ne seraient pas privées des services d’urgences médicales. Celles qui se rendent aux services hospitaliers dans d’autres circonstances «devront avoir le visage découvert», a dit Vallée, « quand elles sont en contact direct avec un employé. Mais si elles retournent par exemple à la salle d’attente, elles ne seront pas obligées d’avoir le visage découvert.»
Vallée s'est dite consternée par le tollé que les actes des libéraux ont provoqué à travers le Canada, incluant au Québec. Des groupes des droits civiques et d’immigrants, et beaucoup de gens ordinaires, ont avec raison condamné la loi 62 comme une attaque sectaire contre les femmes musulmanes, une minorité particulièrement marginalisée et vulnérable.
Vallée et le premier ministre Philippe Couillard ont effrontément menti par rapport aux visées de la loi 62. L’exclusion des personnes au «visage voilé» de l’accès aux services publics vise manifestement des femmes musulmanes, et elles seules. Mais les libéraux ont tenté de dissimuler les visées antidémocratiques et chauvines de la loi avec des affirmations frauduleuses selon lesquelles il s’agit de sécurité, d’harmonie sociale et même d’inclusion et de droit des femmes.
La consternation exprimée par Vallée lors de sa conférence de presse mardi était cependant honnête. Le gouvernement est surpris par la réaction hostile envers sa stigmatisation de femmes musulmanes voilées et tente à présent de limiter les dégâts concernant ses vieilles tentatives de se présenter avec le fédéralisme canadien comme une alternative tolérante et libérale par rapport à ses rivaux plus fortement nationalistes et anti-immigrants du Parti Québécois (PQ) souverainiste et de la Coalition Avenir Québec «autonomiste».
Bien sûr, les «clarifications», de Vallée ne changent absolument rien au caractère profondément réactionnaire et arriéré de la loi 62.
Elle représente une tentative calculée d’attiser les préjugés, afin de détourner la colère sociale grandissante envers l’insécurité socioéconomique, incluant la dévastation sociale produite par les mesures d’austérité brutales des libéraux, dans des voies réactionnaires et de diviser la classe ouvrière.
En légitimant l’exclusion de femmes voilées des services publics, le gouvernement encourage essentiellement les propriétaires de magasins et restaurants à leur barrer l’accès et incite le public à les mépriser. Une montée du harcèlement et des attaques physiques contre les musulmans suivra sans aucun doute, comme ce fut le cas en 2013-14, quand le gouvernement du PQ de Pauline Marois a mis de l’avant sa «Charte des valeurs québécoises» chauvine.
La loi 62 s’intitule la «Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État. » Mais en accord avec ses visées chauvines, elle attribue à la foi catholique un statut privilégié au Québec, au nom de la préservation de «l’héritage culturel» du Québec. La position hypocrite des libéraux au sujet de la religion était évidente mardi, quand ses députés ont rejeté la proposition de débattre le retrait du crucifix à l’Assemblée nationale du Québec.
Le PQ et la CAQ s'opposent de la droite à la loi 62, affirmant qu’elle n’allait pas assez loin. Mercredi, le dirigeant du PQ Jean-François Lisée a dit que son parti préférait interdire le port du voile musulman en public et qu’il utiliserait la «clause dérogatoire» de la constitution canadienne, qui permet aux gouvernements de violer les droits fondamentaux accordés par la charte des droits et libertés, afin qu’une telle interdiction ne puisse pas être renversée par une contestation devant les tribunaux.
En ce qui concerne Québec solidaire – le parti de pseudo-gauche souverainiste québécois qui a trois députés à l’Assemblée nationale –, il a joué un rôle clé pour légitimer les efforts de l’élite québécoise et canadienne pour faire des immigrants, en particulier les musulmans, des boucs émissaires pour la crise du capitalisme.
Il a argumenté avec le PQ concernant des détails de la charte chauvine de ce dernier et soutient que le débat qui dure depuis une décennie sur «les accommodements raisonnables» de minorités ethniques et religieuses provient d’inquiétudes légitimes. En fait, ce débat a été depuis le début une invention réactionnaire – une hystérie attisée par la presse de droite à sensation du magnat médiatique et important partisan du PQ Pierre-Karl Péladeau, Mario Dumont et l’ADQ populiste de droite (le précurseur de la CAQ).
En janvier dernier, après qu’un jeune influencé par l’extrême droite et le discours raciste antimusulman de la politique québécoise a massacré six personnes à la sortie d’une mosquée de Québec, le député de QS Amir Khadir avait attribué l’attaque à un «malaise» de la société québécoise. Ceci, a-t-il dit, devait être pris en compte par les quatre partis à l’Assemblée nationale unissant leurs forces pour rapidement adopter le projet de loi 62, si seulement le gouvernement modifiait la loi pour interdire les juges et autres «membres de l’État exerçant des pouvoirs coercitifs» de porter des symboles religieux.
Bien que Québec Solidaire ait finalement voté contre la loi 62, le parti a refusé de la dénoncer comme une attaque chauvine contre les musulmans et une attaque flagrante contre les droits démocratiques. Au lieu de cela, QS, tout comme le PQ, se moque des «absurdités» de la nouvelle loi.
Le gouvernement libéral fédéral et les gouvernements de l’Ontario et de l’Alberta ont tous critiqué la loi 62 afin de se présenter comme des défenseurs des droits démocratiques. Tous ces gouvernements ont imposé des mesures d’austérité et sont complices de la criminalisation de l’opposition sociale.
Tout l’establishment canadien utilise la fausse «guerre contre le terrorisme», qui a toujours été profondément liée à la promotion de l’islamophobie, pour justifier la participation du Canada dans des guerres impérialistes en Asie centrale, au Moyen-Orient et en Afrique, ainsi qu’une vaste extension des pouvoirs et de la portée de l'appareil de sécurité nationale du Canada.
Tandis qu’il existe une colère et un mécontentement réels parmi les travailleurs du Canada anglais au sujet des mesures antidémocratiques du gouvernement québécois, l’opposition de l'establishment politique fédéral est imprégnée de nationalisme canadien, qui se présente faussement comme étant «progressiste» et de nature différente, que celui de variété «insulaire, rétrograde» québécoise.
En fait, le nationalisme canadien sert de plus en plus comme point de ralliement pour la guerre impérialiste et la réaction sociale. Les conservateurs ont continuellement attisé les préjugés anti-immigrants et anti-musulmans. En ce qui concerne Trudeau, il a maintenu un silence complice sur les interdictions de voyager de Trump imposées aux pays à majorité musulmane. Et tout en affirmant être favorable aux réfugiés, son gouvernement menace de déporter ceux qui cherchent à se réfugier des politiques anti-immigrantes de Trump.
La loi 62 est calquée sur des lois chauvines adoptées par plusieurs pays européens, notamment la France, où il est actuellement illégal de porter le hijab (le foulard musulman) dans les écoles publiques et le voile musulman a été interdit dans tous les espaces publics.
Au Canada tout comme en Europe, l’élite dirigeante n’a pas de réponse à l’effondrement du capitalisme autre que l’intensification de l’assaut contre la classe ouvrière et la lutte pour les marchés, ressources et profits à travers la géopolitique de grande puissance et la guerre. C’est dans ce contexte, et dans le but de diviser la classe ouvrière que le Québec et l’establishment canadien se tournent vers la réaction sociale, démantèlent les droits démocratiques et font la promotion du nationalisme et du chauvinisme antimusulman – dont la loi 62 une expression.
(Article paru en anglais le 26 octobre 2017)