Plein d’hypocrisie, de clichés et d’absurdités, le discours du président Donald Trump, dimanche devant une assemblée de monarques et despotes en Arabie Saoudite, a énoncé un programme d’escalade du militarisme américain dans tout le Moyen-Orient et une marche vers la guerre en particulier avec l’Iran.
Salué par les serviles médias américains comme un discours « présidentiel », qui éclipserait pour le moment les crises et les luttes fractionnelles qui embourbent le gouvernement, le discours aurait été rédigé par Stephen Miller, l’idéologue d’extrême droite à qui l’on attribue l’ordre exécutif de Trump interdisant l’entrée aux États-Unis de personnes venant de sept pays majoritairement musulmans.
une grande partie du discours d’une demi-heure de Trump a fait écho au discours prononcé par Barack Obama au Caire huit ans avant. Les deux présidents ont déclaré leur désir de relancer les relations américaines avec le Moyen-Orient, tout en se présentant de façon absurde comme les dirigeants d’une nation pacifiste qui chercheraient seulement à faire du bien à la région et proposent de se mettre à la tête d’un mouvement uni pour lutter contre « l’extrémisme violent. »
Dans ce qui était censé être une invocation rhétorique à l’action contre le terrorisme, Trump a déclaré à son auditoire : « Expulsez-les. Expulsez-les de vos lieux de culte. Expulsez-les de vos communautés. Expulsez-les de votre terre sainte. Et expulsez-les de cette Terre. »
Comme Obama avant lui, Trump n’avait aucun intérêt à examiner qui exactement a introduit Al-Qaïda et des forces similaires, car le chemin historique mène directement à la CIA en Afghanistan et au soutien de longue date de l’impérialisme américain aux organisations islamistes de droite et aux groupes terroristes comme un contrepoids à l’influence socialiste et aux nationalistes de gauche dans le monde arabe et islamique. En commun, les États-Unis et l’Arabie Saoudite continuent de financer et d’armer ces forces dans leur lutte pour le changement de régime en Syrie.
Les deux discours étaient émaillés d’hommages pompeux à la culture islamique. Trump a noté en particulier combien il était impressionné par la « splendeur » de l’Arabie saoudite et la « grandeur » du palais dans lequel se tenait le soi-disant Sommet arabe islamique américain.
Ce qui distingue ces deux discours, ce sont les différents changements de stratégie de Washington. Alors qu’Obama cherchait à réparer les dégâts infligés par la guerre criminelle du gouvernement Bush en Irak en montrant un nouveau visage de l’impérialisme américain, Trump s’est rendu en Arabie Saoudite pour souligner la rupture de son gouvernement avec la politique de son prédécesseur consistant à rechercher un rapprochement avec l’Iran et fondée sur l’accord nucléaire de 2015. Il a adopté une attitude ouvertement conflictuelle envers Téhéran.
« Surtout, l’Amérique cherche la paix – pas la guerre », a proclamé Trump, ce qui ressort comme le plus flagrant des nombreux mensonges de ce bref discours. La réalité est que les guerres américaines dans la région ont tué des millions de gens au cours de la dernière décennie et demi. Et l’objet de la visite du président des États-Unis en Arabie Saoudite, sa première destination d’une tournée à l’étranger de neuf jours, est la préparation de nouveaux conflits encore plus sanglants.
Cela a été rendu clairement évident par les principaux accords conclus entre Trump et la monarchie saoudienne, qui comprenaient un marché de 110 milliards de dollars pour de l’armement avec une option pour 350 milliards de dollars d’armes supplémentaires au cours des 10 prochaines années.
L’accord sur les armes « soutient la sécurité à long terme de l’Arabie Saoudite et de l’ensemble de la région du Golfe », a déclaré à Riyad le secrétaire d’État Rex Tillerson, ancien PDG d’ExxonMobil, « notamment en vue de l’influence néfaste de l’Iran et des menaces iraniennes qui existent aux frontières de l’Arabie Saoudite sur tous les côtés. »
Dans son discours, Trump a décrit l’Iran comme le principal État commanditaire du terrorisme, accusant Téhéran de fournir aux terroristes « un refuge sûr, un soutien financier et la situation sociale nécessaire au recrutement », et d’alimenter « les feux des conflits sectaires et de la terreur », des accusations qui pourraient être assenées, avec raison, à ses hôtes saoudiens.
Il a dépeint l’attaque américaine aux missiles de croisière en Syrie le mois dernier, suivie la semaine dernière par le bombardement américain d’une milice pro-gouvernementale dans le sud-est du pays, comme faisant partie d’une lutte plus large contre l’influence iranienne. Il a poursuivi en appelant « toutes les nations de conscience » à « isoler l’Iran, le priver de financement pour le terrorisme et prier pour le jour où les Iraniens auront le gouvernement juste et droit qu’ils méritent ». Le fait qu’il s’exprimait en Arabie Saoudite, une monarchie absolue répressive, juste deux jours après que plus de 70 pour cent des électeurs iraniens ont participé à une élection aux débats très animés, n’a rien fait pour émousser l’appel de Trump à un changement de régime.
Il a particulièrement loué l’Arabie Saoudite et ses alliés pour avoir « pris une action forte contre les militants Houthis au Yémen ». La guerre saoudienne presque génocidaire a tué quelque 12 000 Yéménites, tout en détruisant les infrastructures élémentaires dans le plus pauvre pays du monde arabe, poussant plus de 7 millions de personnes au bord de la famine et provoquant une épidémie de choléra qui menace un nombre massif de morts.
En mars, le secrétaire américain à la Défense James Mad Dog Mattis a publié un mémoire appelant à renforcer le soutien des États-Unis à cette guerre criminelle, dans laquelle le Pentagone fournit déjà des services de renseignement et de soutien logistique à la campagne de bombardement des Saoudiens.
Une partie de la vente d’armes signée par Trump implique l’envoi de munitions guidées de précision qui avait été stoppé dans un geste très limité de désapprobation des tactiques de l’Arabie saoudite au Yémen par le gouvernement Obama. Obama avait par ailleurs conclu des transactions d’armes pour plus de 100 milliards de dollars avec Riyad. Le nouveau contrat comprend également des chars, de l’artillerie, des hélicoptères et d’autres armes qui peuvent être directement utilisées dans le massacre au Yémen.
En plus de son discours et de la signature du marché d’armement et d’investissement, Trump a participé à une réunion du Gulf Coopération Council, (GCC – Conseil de coopération du Golfe), la coalition des monarchies pétrolières du Golfe menée par les Saoudiens. Les responsables du gouvernement Trump ont soulevé l’objectif d’utiliser le GCC comme base d’une version arabe sunnite de l’OTAN visant à se confronter militairement à l’Iran.
Au-delà de la volonté de se confronter militairement à l’Iran, un des principaux rivaux de l’impérialisme américain au Moyen-Orient, et des énormes profits que les achats saoudiens rapportent au complexe militaro-industriel américain, il existe des considérations stratégiques plus larges aux États-Unis pour une alliance plus étroite avec Riyad.
Certaines de ces questions ont été abordées à la veille du voyage de Trump dans un article publié par le Centre for Strategic and International Studies (Centre d’études stratégiques et internationales, un think tank particulièrement influent à Washington) et écrit par Anthony Cordesman, un ancien conseiller du Pentagone. La première d’entre elles est, selon Cordesman, « le maintien de la dépendance des États-Unis à l’aide saoudienne pour assurer l’approvisionnement stable en pétrole du Golfe ».
Alors que les importations américaines du Golfe ont fortement chuté au cours du dernier quart de siècle, Cordesman cite la « dépendance indirecte » en ce qui concerne l’effet des perturbations des exportations de pétrole sur les prix mondiaux de l’énergie et l’économie capitaliste mondiale. En particulier, il souligne la dépendance des économies asiatiques à l’égard des exportations de pétrole du Golfe.
Si les États-Unis étaient incapables de « fournir des capacités de projection en armes et en forces » dans la région, écrit-il, leur principal rival mondial, la Chine, pourrait combler ce vide. « La Chine pourrait ne pas encore être prête pour tenter d’assumer le rôle, mais toute la crise de la mer de Chine méridionale paraîtrait insignifiante si la Chine devenait le garant de facto de la stabilité du Golfe. »
Cordesman poursuit : « La nature du monde réel de l’influence et du pouvoir des États-Unis dans le Pacifique serait considérablement réduite, l’influence de la Chine sur d’autres grandes économies asiatiques comme le Japon et la Corée du Sud s’accroîtrait fortement et la montée potentielle de tension entre la Chine et l’Inde, et la diminution relative de la position de l’Inde, aurait un impact massif sur l’équilibre des pouvoirs en Asie du Sud et dans l’Océan Indien. »
En d’autres termes, le tournant vers des relations plus étroites avec l’Arabie Saoudite et les autres monarchies pétrolières du Golfe est lié au conflit croissant de l’impérialisme américain avec la Chine, qu’il a identifié comme le principal défi à la conquête de l’hégémonie mondiale américaine. Washington est résolu à dominer l’Asie, y compris la Chine, en maintenant la puissance militaire capable d’étrangler les importations d’énergie de la région.
Le fait que la Maison sclérosée des Saoud, l’une des dernières monarchies absolues du monde, soit devenue un élément essentiel de la stratégie impérialiste de Washington, non seulement au Moyen-Orient mais à l’échelle mondiale, donne une mesure de la crise du capitalisme américain et du monde.
Les recettes pétrolières, qui représentent 90 % des recettes du royaume à l’exportation, ont été réduites de près de moitié depuis 2014. Le mois dernier, le gouvernement a été forcé de faire marche arrière sur les mesures d’austérité qui ont touchées l’armée et les employés du secteur public de peur que la baisse des niveaux de vie et la hausse du chômage ne créent des conditions pour lune révolte sociale.
Dans la province de l’Est, majoritairement chiite et le centre de la production pétrolière du royaume, les forces de sécurité ont assiégé la ville d’Awamiya, un centre de la résistance au régime, pendant la semaine précédant la visite de Trump. L’incapacité saoudienne à renverser le régime d’Assad en Syrie en soutenant les milices liées à Al-Qaïda et l’incapacité du régime à reprendre le Yémen aux rebelles Houthis, aggravent la crise intérieure qui crée les conditions de bouleversements révolutionnaires contre le principal allié de Washington dans le monde arabe.
(Article paru en anglais le 22 mai 2017)