Le Canada veut collaborer avec Trump sur le plan militaire et sur la sécurité

Dans la semaine qui a suivi l'investiture du président américain Donald Trump et la proclamation de son programme réactionnaire «les États-Unis d'abord», le gouvernement libéral du Canada a commencé à renforcer considérablement le partenariat d'Ottawa avec les États-Unis au plan militaire et de la sécurité.

Dans des conditions où Trump est en train de déclarer une guerre commerciale, d'affirmer qu'il faut «s'emparer du pétrole irakien» et de menacer de prendre possession des îles détenues par la Chine en mer de Chine méridionale, l'élite dirigeante du Canada tente d'intégrer davantage le Canada aux plans de guerre de Washington.

Le premier ministre canadien Justin Trudeau a parlé à Trump au téléphone le lendemain de l'investiture et a discuté de la tenue d'une première rencontre en personne dans les semaines à venir. En reconnaissant implicitement qu'une alliance plus étroite avec Trump sera hautement impopulaire, les responsables canadiens ont suggéré que la rencontre soit tenue aux États-Unis, par crainte que la présence de Trump à Ottawa provoque des manifestations de masse.

Dans les semaines qui ont précédé l'arrivée de Trump à la présidence, Trudeau a indiqué que son gouvernement souhaitait renforcer sa collaboration militaire avec Washington en procédant à des affectations à des postes clés. Après un remaniement dans lequel l'ancienne journaliste aux finances et cadre chez Thomson-Reuters, Chrystia Freeland, a été promue au ministère des Affaires étrangères, Trudeau a nommé Andrew Leslie, un lieutenant général à la retraite qui a été candidat pour diriger l'armée canadienne, comme secrétaire parlementaire de Freeland ayant des responsabilités spéciales au niveau des relations entre le Canada et les États-Unis.

Leslie a des liens étroits avec le Pentagone, entre autres pour avoir été le commandant des forces canadiennes dans les guerres dirigées par les États-Unis en Yougoslavie et en Afghanistan.

En entrevue avec le Globe and Mail plus tôt cette semaine, Leslie a salué les choix de Trump pour les postes de secrétaire à la Défense et de conseiller à la Sécurité nationale, soit James «Mad Dog» Mattis et Michael Flynn. «Le général Mattis, a déclaré Leslie, est un guerrier érudit qui s'y connaît beaucoup et le général Flynn est sans doute l'un des plus grands experts au monde du renseignement. Ce sont donc des choix remarquables.»

Ces éloges enthousiastes pour Mattis, responsable du violent assaut militaire américain contre Falloujah en 2014, un crime de guerre, et Flynn, un ardent défenseur de la violence militariste des États-Unis au Moyen-Orient et ailleurs, illustrent à quel point l'élite dirigeante canadienne est prête à collaborer avec l'administration américaine la plus à droite de l'histoire afin de défendre ses propres intérêts. Comme l'a noté avec enthousiasme un haut responsable anonyme du gouvernement à propos de l'équipe de Trump: «En fait, nous nous entendons très bien avec eux... Ils nous disent de très bonnes choses. Ils disent qu'ils aiment le Canada.»

Le Canada est depuis longtemps un partenaire clé dans les agressions impérialistes des États-Unis. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, Ottawa dépend de ses liens étroits avec Washington pour promouvoir ses intérêts impérialistes à travers le monde. Le Canada a joué un rôle important dans l'explosion de militarisme américain qui a suivi la dissolution de l'Union soviétique par la bureaucratie stalinienne. L'armée canadienne a participé dans pratiquement toutes les guerres des États-Unis du dernier quart de siècle et Ottawa, tant sous les libéraux que les conservateurs, a particulièrement appuyé l'offensive militaire et stratégique de Washington contre la Russie, de l'expansion de l'OTAN aux déploiements «avancés» actuels aux frontières de la Russie.

Trudeau a promis dans sa campagne électorale de 2015 de renforcer le partenariat économique et militaire entre les deux pays. L'arrivée au pouvoir de Trump donne maintenant à cette stratégie un aspect encore plus menaçant.

Les déclarations provocatrices de Trump, selon lesquelles les États-Unis «se feraient avoir» par l'OTAN et certains États membres seraient des «profiteurs», car ils ne consacrent pas l'équivalent de 2% de leur PIB à leur armée, sont en général bien accueillies par l'establishment politique et militaire du Canada. Pour atteindre la cible du 2%, les libéraux auraient à doubler le budget militaire actuel pour le faire passer à plus de 40 milliards de dollars.

De plus en plus de voix réclament aussi que le Canada adhère au bouclier antimissile des États-Unis, une décision qui est déjà envisagée dans le cadre de la révision de la politique de défense par les libéraux.

En entrevue avec la CBC cette semaine, Derek Burney, ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis qui conseille Trudeau dans sa collaboration avec Trump, a dit: «C’est légitime pour Trump de critiquer le Canada et sa contribution à l'OTAN. Nous ne sommes pas les seuls, mais il a raison de s'inquiéter du fait que les États-Unis portent une part disproportionnée du fardeau. Nous devrions dépenser plus en défense si nous voulons garder l'OTAN bien en vie.»

Colin Robertson, ancien diplomate et membre éminent de l'Institut canadien des affaires mondiales, est enthousiaste à l'idée que Trump encourage le Canada à adopter une position plus agressive contre la Russie dans l'Arctique. «Je crois que Trump va probablement dire, “D'accord, l'Arctique est à vous. Faites valoir votre souveraineté. Allez-vous construire cette base dans le Nord, ou non? Nous devons savoir ce que vous prévoyez faire.”»

Dans une concession à Trump, le gouvernement Trudeau a reporté la finalisation de ses plans pour l'envoi de troupes en Afrique. Cette initiative devait être présentée comme une «mission de maintien de la paix» de l'ONU, mais dont l'objectif principal aurait été de donner à Ottawa un plus grand rôle dans la géopolitique d'un continent où les compagnies minières canadiennes ont plus de 25 milliards $ en investissements. Ce report, effectué en prévision d'autres engagements de l'armée canadienne qui pourraient être exigés par l'administration Trump, aurait déplu aux gouvernements de la France et de l'Allemagne. Ceux-ci comptaient sur le déploiement de centaines de soldats canadiens au Mali, début 2017, pour leur venir en aide dans la guerre de contre-insurrection.

À l'exception de la première ministre britannique Theresa May, les dirigeants des grandes puissances européennes réagissent au nationalisme économique et à l'unilatéralisme de Trump en tentant de repousser l'offensive de Washington et en exigeant une politique étrangère européenne plus forte et indépendante. Par opposition, Trudeau et la grande entreprise canadienne font des pieds et des mains pour démontrer qu'ils sont prêts à collaborer avec les États-Unis de Trump. «C'est la tâche du premier ministre canadien, a déclaré Trudeau cette semaine, d'avoir une relation fonctionnelle constructive avec le président des États-Unis, et c'est exactement ce que je compte faire.»

Burney et de hauts responsables du gouvernement ne cachent pas le fait que dans la renégociation de l'ALÉNA avec Trump, le Canada est tout à fait prêt à sacrifier le Mexique si cela est nécessaire pour maintenir l'accès privilégié de la grande entreprise canadienne au marché américain. «Le Mexique a ses propres intérêts», a déclaré Burney à CTV News. Selon moi, l'idée que le Canada et le Mexique puissent négocier ensemble contre les États-Unis ne tient pas la route.»

Trudeau était à Calgary la semaine dernière pour deux journées de réflexion du cabinet lors desquelles les relations avec l'administration Trump étaient le principal sujet de discussion. Le premier ministre et le ministre des Ressources naturelles Jim Carr ont applaudi le décret présidentiel de Trump qui a approuvé mardi la construction de l'oléoduc Keystone XL, qui acheminera le pétrole des sables bitumineux de l'Alberta jusqu'au golfe du Mexique.

Ce serait toutefois une erreur de conclure que les relations entre les gouvernements et les élites dirigeantes des États-Unis et du Canada ne sont pas chargées de tensions. La grande entreprise canadienne est inquiétée par sa dépendance aux États-Unis, surtout pour l'exportation de pétrole, et presse Ottawa de concrétiser ses plans de diversification du commerce canadien. La négociation d'un accord de libre-échange avec la Chine pourrait faire partie de ces plans. Un tel geste placerait presque inévitablement le Canada en conflit avec Trump, qui a quasiment publiquement annoncé que la Chine était le principal rival économique et militaire des États-Unis.

Des frictions pourraient aussi apparaître sur la question de la Russie, si Trump tente d'en arriver à un accommodement avec Moscou afin de permettre une escalade militaire et stratégique de Washington contre la Chine.

Certains commentateurs des médias sont tout à fait conscients qu'en s'alignant sur Trump, Trudeau soutient une administration dont les politiques agressives menacent de plonger le monde dans une guerre commerciale et, éventuellement, dans une guerre mondiale. Cependant, en l'absence de toute autre stratégie pour défendre les biens et privilèges du capitalisme canadien, ils encouragent Trudeau.

L'éditorialiste du National Post, Micheal Den Tandt, qui a louangé Trudeau pour ses ouvertures envers Trump, a publié un commentaire la semaine dernière intitulé «Accrochez-vous: la Chine et les États-Unis prêts comme jamais à un affrontement» (Batten the hatches: China and US poised to clash as never before), qui présente un scénario de conflit militaire en Asie-Pacifique. Il écrit: «Tous les signaux qu'envoient les hauts représentants de l'administration Trump – du président lui-même et ses tweets sympathiques à Taïwan, au reste de son cabinet – montrent que leur intérêt pour la région du Pacifique grandit. Mais plutôt que d'avoir recours au pouvoir plutôt indulgent des liens commerciaux multilatéraux, l'instrument principal de la puissance américaine sera l'armée: des porte-avions et la dissuasion par le nucléaire.»

(Article paru d'abord en anglais le 28 janvier 2017)

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