Le gouvernement du Québec adopte une loi pour briser la grève des travailleurs de la construction

Les 175 000 travailleurs syndiqués de la construction sont retournés au travail mercredi sous des menaces de sanctions sévères contenues dans la loi «spéciale» de retour au travail du gouvernement québécois et sous les ordres de l'Alliance syndicale de la construction, qui, de façon prévisible, s'est inclinée devant la loi et a aidé à la faire respecter. 

Tôt mardi matin, le gouvernement libéral de Philippe Couillard a fait adopter sa loi draconienne d'«urgence» qui ordonne la fin de la grève de 7 jours dans la construction par l'Assemblée nationale. 

La Coalition Avenir Québec (CAQ), un parti de droite, s'est jointe aux Libéraux en votant en faveur de la Loi 142, tandis que le Parti québécois et Québec Solidaire, des partis indépendantistes, ont voté contre. 

La loi 142 marque une intensification majeure de l'assaut sur les droits des travailleurs. Elle donne aux partis en négociations, l'Alliance syndicale de la construction et les patrons de la construction, 5 mois pour en venir à une entente sur une nouvelle convention collective avec l'aide d’un médiateur. Si aucune entente n'a lieu, un processus d'arbitrage, qui va de toute manière renforcer les demandes des propriétaires d'entreprises, débutera.

Le gouvernement libéral a stipulé plusieurs mesures dans la loi pour s'assurer que les demandes de concessions des employeurs, qui comprennent des augmentations de salaire sous l'inflation, une «flexibilité» accrue dans les horaires de travail et des coupes dans le paiement des heures supplémentaires, seront satisfaites. Le gouvernement se réserve le droit de déterminer qui sera l'arbitre et la ministre du Travail, Dominique Vien, pourra dicter les enjeux qui seront soumis à l'arbitre. Le gouvernement libéral peut aussi choisir la méthode d'arbitrage et déterminer le critère sur lequel l'arbitre basera sa décision finale. 

Même si c'était déjà clair avant le déclenchement de la grève le 24 mai que les Libéraux se préparaient à la criminaliser, les responsables syndicaux n'ont jamais mis en garde les travailleurs contre les préparatifs des Libéraux pour briser la grève ou encore les préparer à une confrontation avec un gouvernement de droite qui a imposé des attaques radicales contre toute la classe ouvrière.

De plus, aussitôt que le gouvernement annonçait officiellement qu'il convoquait l'Assemblée nationale pour adopter une loi antigrève, les syndicats ont signalé qu'ils capituleraient devant cette loi. 

Michel Trépanier, un porte-parole de l'Alliance syndicale qui a fait des concessions majeures aux employeurs dans le but de prévenir le déclenchement de la grève, a déclaré que le syndicat était «choqué» du vote de l'Assemblée nationale et qu'il contesterait la loi devant les tribunaux. Cette stratégie a été utilisée maintes fois par la bureaucratie syndicale afin de démobiliser l'opposition de la classe ouvrière à des conventions collectives remplies de concessions. Les tribunaux capitalistes, contrairement aux affirmations de Trépanier et de ses collègues dans les syndicats, ne sont pas moins voués à la défense des intérêts des compagnies que les Libéraux, un parti de la grande entreprise. 

La loi contient des mesures punitives pour décourager ceux qui voudraient défier la loi, y compris de lourdes amendes, et pourrait être utilisée pour les menacer de peines de prison. Les travailleurs ne peuvent même pas faire des ralentissements de travail ou «toute diminution ou altération» de leurs «activités normales». Les chefs syndicaux doivent demander publiquement aux travailleurs d'obéir à la loi et confirmer cela au ministre du Travail par affidavit. Des sanctions légales sont prévues si cela n'est pas respecté.

Les chefs de l'Alliance syndicale ont rapidement ordonné à leurs membres de retourner au travail. Ils l'ont fait non pas tant par peur de lourdes peines financières, mais devant la possibilité que les travailleurs, en colère après des années de concessions et d'attaques appuyées par le gouvernement, pourraient défier l'ordre de retourner au travail. 

Cela s'est reflété dans plusieurs commentaires sur les médias sociaux. Un travailleur de la construction qui se décrit comme un couvreur de la quatrième génération a écrit sur le forum Québec de Reddit que «le 29 mai 2017, le gouvernement a tranché en faveur du patronat». Il a ajouté: «Ce pourquoi on se battait et on va continuer de se battre est simple: non au régressement». 

Un autre travailleur sur la page Facebook du syndicat dénonçait le gouvernement libéral pour avoir enlevé aux travailleurs leurs droits démocratiques et a dit qu'il devait être immédiatement chassé du pouvoir. Des reporters pour le World Socialist Web Site ont rapporté des sentiments similaires lundi matin le 29 mai, lorsqu'ils ont discuté avec des membres de la base à Montréal qui s'apprêtait à partir pour la manifestation devant l'Assemblée nationale à Québec afin de protester contre la loi imminente de retour au travail. 

Un jeune travailleur, qui trouvait difficile de combiner son horaire de travail avec ses responsabilités familiales, a expliqué à quel point la demande pour le paiement à taux simple du travail le samedi le fâchait. Un autre a fait le parallèle avec les soulèvements révolutionnaires en Égypte, qu'il avait suivis étroitement. Il a ajouté que les travailleurs au Québec devaient s'inspirer de ces événements. 

L'opposition du PQ et de QS à la loi spéciale n'a rien à voir avec des principes. Le chef du PQ, Jean-François Lisée, a déclaré vendredi que le principal problème avec l'approche des Libéraux était qu'ils avaient soulevé la menace d'une loi de retour au travail trop tôt. Il a critiqué les ministres du gouvernement pour ne pas être intervenus de façon plus décisive dans les négociations. 

Lisée a poursuivi dans la même veine pendant le débat à l'Assemblée nationale, accusant simplement les Libéraux d'avoir «mal géré» les négociations.

Comme les travailleurs du Québec le savent très bien, le PQ est tout aussi prêt à utiliser tous les pouvoirs de l'État pour criminaliser leurs grèves. Il y a quatre ans, le gouvernement péquiste de Pauline Marois avait adopté une loi spéciale pour mettre un terme à une grève de 75 000 travailleurs de la construction. Cela concordait entièrement avec l'historique de ce parti au pouvoir: l'imposition de vastes coupes sociales et un assaut sur les travailleurs du secteur public au cours des trois dernières décennies.

QS, même s'il se présente de gauche, n’est pas un allié des travailleurs de la construction. Quelques jours avant le vote de QS à l'Assemblée nationale, la co-porte-parole Manon Massé demandait encore au premier ministre libéral Couillard de se ranger du côté des travailleurs «pour une fois». Comme si l'allégeance des libéraux restait encore à déterminer!

La répression brutale de la grève des travailleurs de la construction par le gouvernement du Québec fait partie d'un phénomène international à travers lequel les gouvernements de toutes allégeances politiques s'efforcent d'abolir le droit de grève en le criminalisant ou en lui imposant de sévères restrictions. Ces attaques ont été soutenues et encouragées par les syndicats, qui représentent les intérêts d'une couche privilégiée qui est séparée de la classe ouvrière par un large fossé social et qui collabore depuis des décennies avec la direction et les gouvernements pour imposer les diktats de la grande entreprise et étouffer toute opposition populaire.

En Grande-Bretagne, un pays qui a connu les lois antigrèves les plus sévères depuis l'assaut déclenché par le gouvernement Thatcher dans les années 1980, la Loi sur les syndicats 2016 a été imposée en mars. Elle interdit les grèves dans plusieurs secteurs clés, dont les transports, en les qualifiant de services essentiels et elle impose d'importantes limitations sur le vote de grève, ce qui rend le déclenchement d'une grève par les travailleurs beaucoup plus difficile, même dans les secteurs où il est légalement permis de le faire.

Le président français nouvellement élu, Emmanuel Macron, a clairement fait connaître son intention de mener un assaut tous azimuts sur les droits des travailleurs, y compris contre la négociation collective et la protection d'emploi. Tout juste l'an dernier, le gouvernement du Parti socialiste, appuyé par les syndicats, avait imposé une loi travail anti-ouvrière devant une profonde opposition populaire. Les syndicats avaient fait dérailler le mouvement en organisant des journées de grève isolées et en tentant de négocier un accord avec le gouvernement Hollande, qui finalement a imposé la loi travail sans même un vote parlementaire.

L'élite dirigeante à travers le Canada s'attaque aux grèves de manière non moins impitoyable. Au fédéral comme au provincial, un gouvernement après l'autre a imposé des lois antigrèves, y compris contre les travailleurs des postes, les employés d'Air Canada, les enseignants et les cheminots. Au cours des trois dernières décennies, les gouvernements ont imposé 19 lois antigrèves au fédéral et 71 au provincial.

Loin de défendre les travailleurs contre ces attaques, les syndicats s'efforcent plutôt de bâtir des alliances avec les partis mêmes qui dirigeant ces assauts. En Ontario, les syndicats ont forgé une alliance avec les libéraux au début des années 2000, appelant chaque quatre ans à leur réélection afin d'empêcher l'arrivée au pouvoir des progressistes-conservateurs. C'est ce même gouvernement libéral qui en 2012 a forcé les enseignants à retourner au travail par une loi spéciale.

Au fédéral, les syndicats ont fait la promotion de la campagne «N'importe qui, sauf les conservateurs» en 2015, ce qui a facilité l'arrivée au pouvoir des libéraux de Justin Trudeau. Durant les 18 derniers mois, le gouvernement libéral a intensifié l'implication du Canada dans les opérations militaires à l'étranger, a dressé les plans d'une privatisation des infrastructures publiques et a menacé 50 000 travailleurs des postes d'une loi spéciale de retour au travail s'ils déclenchaient une grève durant un conflit de travail l'été dernier.

Les syndicats de partout au Canada font tout ce qu'ils peuvent pour bloquer une contre-offensive unifiée des travailleurs. Lundi, la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada a conclu «une entente de principe» verbale pour une nouvelle convention collective avec le Canadien National, bloquant une grève de plus de 3000 conducteurs, cheminots et manœuvres qui avaient voté à 98% pour un débrayage.

Ayant forcé les travailleurs de la construction à retourner au travail avec la complicité des syndicats, le gouvernement libéral du Québec se prépare à passer à l'attaque. Selon Le Devoir, Couillard a déclaré mardi qu'il souhaitait réformer le processus de négociation dans le secteur de la construction, indiquant que si les syndicats et les employeurs n'étaient pas prêts à négocier volontairement, le gouvernement pourrait envisager l'imposition de mesures contraignantes à l'avenir.

Toute réforme du travail mise en œuvre par le gouvernement libéral propatronal viserait à défendre les intérêts du patronat du Québec aux dépens des travailleurs. C'est un gouvernement qui, depuis son élection en 2014, a mené un vaste assaut sur les pensions des travailleurs du secteur public, sabré les dépenses publiques et utilisé tous les pouvoirs de l'État pour criminaliser la grève: non seulement celle des travailleurs de la construction, mais aussi celle des avocats et des notaires du gouvernement provincial plus tôt cette année.

Les travailleurs de la construction ne devraient accorder aucune confiance au système d'arbitrage truqué introduit par la loi spéciale. S'ils veulent faire respecter leurs demandes d'augmentations salariales et défendre leur droit à un emploi décent et sécuritaire, ils doivent former des comités d'action indépendants des syndicats de la construction, et en opposition à eux, pour faire avancer la lutte. Ce n'est que de cette façon qu'ils pourront rallier l'appui des autres sections de travailleurs au Québec, dans le reste du Canada et internationalement qui font face aux mêmes attaques sur leurs conditions de vie.

(Article paru en anglais le 31 mai 2017)

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