Les États-Unis ont brutalement annoncé hier la rupture des pourparlers bilatéraux avec la Russie sur l’arrêt des combats en Syrie. Ce n'est que l’indication la plus récente que Washington se prépare à une escalade majeure de sa guerre pour renverser le régime syrien.
Avec une hypocrisie sans bornes, le porte-parole du département d’État américain, John Kirby, a déclaré que la Russie était responsable de l'effondrement des pourparlers. « Ce n’est pas une décision qui a été prise à la légère, » a-t-il déclaré. « Malheureusement, la Russie n’a pas pu honorer ses propres engagements, et a également été réticente ou incapable d’assurer l’adhésion du régime syrien aux arrangements que Moscou avait acceptés. »
Les responsables américains ont indiqué qu'ils continueraient les communications visant à réduire le risque d’affrontements entre les avions américains et russes opérant dans l’espace aérien syrien. Toutefois, cela ne peut dissimuler le fait que les deux puissances ont des buts incompatibles en Syrie, et qu'ils ne sont pas loin d’un affrontement militaire direct qui pourrait déclencher une guerre plus large. Le porte-parole de la Maison-Blanche Josh Earnest a carrément dit que sur la Syrie, « les Etats-Unis et la Russie n'ont plus rien à se dire ».»
La tentative de Washington de rejeter la faute sur la Russie pour l’effondrement des pourparlers est malhonnête. Les États-Unis n’ont jamais eu l’intention de respecter le cessez-le-feu établi entre le secrétaire d’État, John Kerry, et son homologue russe, Sergueï Lavrov, le mois dernier. Ils se sont servis de la trêve d’une semaine pour réarmer leurs truchements islamistes, dont des alliés d'Al Qaïda, contre les troupes du président syrien Bachar al-Assad à Alep, soutenues par la Russie et l’Iran. Les forces anti-Assad et proaméricaines n’ont jamais accepté le cessez-le-feu.
Des conflits ont fait éruption au sein de l'élite politique et militaire américaine ; le Pentagone a rejeté publiquement une coopération militaire avec Moscou qui aurait prétendument servi à lutter contre le terrorisme. Le bombardement américain d'une base de l’armée syrienne près de Deir ez-Zor, le 17 septembre, qui a permis aux combattants de l’État islamique (EI) de capturer la base, a probablement été lancée par une faction de l’armée américaine hostile aux accords avec la Russie, dans le but de faire sauter le cessez-le-feu.
L’incident a eu l’effet voulu. Le cessez-le-feu s’est effondré quelques jours plus tard, après une attaque contre un convoi humanitaire de l’ONU. Washington et ses alliés européens ont accusé Moscou d’être à l’origine de l’attaque et exigé que la Russie et la Syrie immobilisent leurs avions. La Russie a nié toute implication dans l’attentat contre le convoi humanitaire.
Washington et les médias américains se sont emparés du bombardement de l’est d’Alep, contrôlé par le Front al Nosra reconnu comme une organisation terroriste par Washington, pour accuser la Russie de crimes de guerre et de préparer une escalade militaire. Depuis son intervention pour épauler Damas en septembre dernier, Moscou cherche à soutenir son allié Assad. La Syrie est le site de l’unique base navale russe en dehors de l’ex-Union soviétique.
Selon les chiffres de l’ONU, au moins 320 civils ont été tués à Alep depuis la fin de la trêve. Des civils ont été pris pour cible par les deux parties, bien que les médias occidentaux aient fait le silence sur les bombardements des zones contrôlées par le gouvernement par les « rebelles » islamistes. Jusqu’à 270.000 civils, dont 100.000 enfants, sont piégés dans la ville.
Les larmes de crocodile versées par les politiciens américains et européens sur le sort des habitants d’Alep sont une fraude transparente ; les Etats-Unis et leurs alliés sont les principaux responsables de la catastrophe en Syrie, où plus d’un demi-million de personnes ont perdu la vie et plus de 50 pour cent de la population ont fui leurs foyers. Washington a fomenté la guerre afin d’éliminer Assad, d’installer un gouvernement fantoche, et d’affirmer son hégémonie au Moyen-Orient contre ses rivaux, dont la Russie et la Chine.
Un rapport secret de l’ONU qui a fuité désigne les Etats-Unis et les sanctions de l'Union européenne comme principaux responsables des conditions désastreuses en Syrie. Le rapport, préparé en mai mais seulement publié ce dimanche par le site web The Intercept, accuse Washington et Bruxelles d’imposer depuis 2011 «un régime de sanctions parmiles plus complexes et de plus grande envergure de toute l'Histoire. »
L’interdiction des transferts d’argent a rendu presque impossible le paiement des salaires et l’achat des fournitures pour les groupes d’aide, permettant à l’EI et à al Nosra de servir d'avenues non officielles pour le transfert des aides financières. Une lettre d’« un fonctionnaire de l’ONU clé » en août traite les sanctions de « facteur principal » dans l’effondrement du système de santé.
L’Administration Obama n’a jamais eu l’intention de parvenir à un accord avec la Russie contre la violence en Syrie ; elle voulait que Moscou capitule complètement à Washington, qui exige l’installation d’un régime fantoche pro-occidental.
Moscou laisse entendre de plus en plus clairement qu’il ne compte pas reculer face aux menaces américaines d’encourager les terroristes islamistes à attaquer la Russie. Après que Kirby a déclaré la semaine dernière que les extrémistes pourraient attaquer « les intérêts russes », voire des villes russes, une déclaration inquiétante vu la collaboration de longue date entre Washington et les djihadistes, la Russie a répliqué que toute escalade américaine en Syrie conduirait à la « guerre totale » et provoquerait des « changements tectoniques » au Moyen-Orient.
Lundi, le président Vladimir Poutine a annoncé la suspension d’un accord avec les Etats-Unis sur l’élimination du plutonium. Il a cité « le changement radical dans l’environnement, une menace pour la stabilité stratégique posée par les actions hostiles des États-Unis contre la Russie, et l’incapacité des États-Unis de respecter l’obligation d’éliminer l’excès de plutonium militaire en vertu des traités internationaux. »
Sur la Syrie, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères russe, Maria Zakharova, a dit que Washington avait échoué à séparer des « rebelles modérés » soutenus par les États-Unis du Front al Nosra, la première étape prévue par le cessez-le-feu.
« Nous sommes de plus en plus convaincus qu'afin de parvenir au renversement du régime à Damas tant désiré, Washington est prêt à ‘faire un pacte avec le diable’, » a dit le Ministère des Affaires étrangères de la Russie dans un communiqué lundi. Afin d'éliminer Assad, les États-Unis seraient prêts à « forger une alliance avec des terroristes endurcis. »
En fait, cette alliance a été cimentée il y a longtemps. En 2011, l’Administration Obama a joué sur les préoccupations « humanitaires » actuellement manipulées à propos de la Syrie pour justifier le bombardement de la Libye et la destruction du régime Kadhafi. Elle a soutenu des extrémistes islamistes, provoquant la mort de dizaines de milliers de personnes dans une guerre brutale. Beaucoup de ces mêmes islamistes sont ensuite allés en Syrie, équipés d'armes fournis par la CIA, les États du Golfe et la Turquie, pour faire la guerre au régime Assad. C'est le contexte dans lequel l’EI a commencé à se développer et à gagner du terrain.
L’élite politique et militaire américaine est prête à risquer une guerre totale avec la Russie pour assurer ses ambitions géostratégiques du Moyen-Orient. Il y a moins de deux semaines, le général Joseph Dunford, le chef de l’état-major interarmées des États-Unis, a dit au Congrès que pour établir le contrôle américain de l’espace aérien syrien, il faudrait une guerre avec la Syrie et la Russie. Il a souligné que le Pentagone n’a aucune intention d’établir un quelconque échange de renseignements avec la Russie.
La semaine dernière, le secrétaire à la Défense, Ashton Carter, a prononcé une allocution à une base nucléaire dans le Dakota du Nord qui menaçait la Russie d'un conflit nucléaire.
Cette escalade jouit du soutien des alliés de Washington, dont la Grande-Bretagne et la France. Lundi, la suspension des négociations a coïncidé avec des rapports que Paris faisait circuler un projet de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU exigeant qu’Assad arrête ses bombardements d’Alep et déclarant que ceux qui ont commis de crimes de guerre seront tenus responsables.
Le texte évoque aussi la nécessité de mettre fin immédiatement à tous les vols militaires au-dessus d’Alep. Cette mesure, qui ne limiterait l'action que des seuls avions syriens et russes, pourrait être une première étape vers une zone d’exclusion aérienne imposée par l'OTAN. La Russie opposerait vraisemblablement son veto à une résolution au Conseil de sécurité de l'ONU. Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a menacé que ceci provoquerait une déclaration que Moscou est complice de crimes de guerre.
(Article paru d’abord en anglais le 4 octobre 2016)