La guerre des États-Unis et de l’OTAN en Syrie et les attaques terroristes de Bruxelles

Alors que se multiplient les révélations d’une connaissance préalable par la police des attaques à la bombe du 22 mars à Bruxelles, la question centrale qui se pose de plus en plus est pour quelle raison les forces de sécurité belges et leurs alliées de l’OTAN ne sont pas intervenues pour arrêter ces attaques. De nombreux articles de presse indiquent que l’État belge avait une connaissance préalable détaillée du réseau de l’État islamique en Irak et en Syrie (EI), responsable des attentats.

Dimanche 27 mars, le Sunday Times a publié un entretien avec Alexandrino Rodrigues, le propriétaire de l’appartement du quartier de Schaerbeek où les assaillants du 22 mars ont éveillé les soupçons par les odeurs chimiques produites alors qu’ils construisaient les bombes apportées plus tard à l’aéroport de Zaventem. La police était allée auparavant à l’appartement et avait frappé à la porte, apparemment sans entrer. « Il y a eu des enquêtes avant et après les événements » du 22 mars, a dit Rodrigues, ajoutant : « Vous ne pouvez pas attraper un lapin sans savoir où il vit. »

La police est intervenue rapidement dans l’appartement de Schaerbeek après l’attaque de l’aéroport et l’a scellé 90 minutes seulement après l’attaque. Elle a dit avoir été alertée par le chauffeur du taxi ayant conduit les auteurs de l’attentat à l’aéroport. Celui-ci a cependant contredit cette explication par la suite, disant qu’il avait alerté la police seulement après qu’une photo des assaillants a été publiée quelques heures plus tard, laissant inexpliqué comment la police a réagi si rapidement.

Cette histoire, écrit le New York Times, « soulève des questions quant à savoir si la police avait peut-être déjà le bâtiment dans sa mire mais, pour une raison quelconque, n’était pas entrée et n’avait pas enfoncé la porte de l’appartement du sixième étage jusqu’à ce qu’il fût trop tard. »

Ces nouvelles ne sont apparues qu’après des informations du vendredi 25 mars indiquant que la police savait, pendant les quatre mois où on l’avait décrit comme « l’homme le plus recherché d’Europe » jusqu’à son arrestation le 18 mars, l’emplacement du repaire de Salah Abdeslam, le fugitif de l’EI recherché pour les attaques terroristes du 13 novembre à Paris. La police n’a pas essayé de l’appréhender pendant tout ce temps. De plus, une fois pris, il n’a été interrogé que sommairement pendant deux heures. Bien qu’il connût plusieurs des attaquants du 22 mars, y compris Najim Laachraoui, on ne lui a pas demandé si d’autres attaques étaient en préparation.

La caractérisation de ces événements par le New York Times comme une « succession de liens pas faits », en écho à la position officielle du gouvernement belge, ne tient pas. En réalité, cette attaque, comme les deux attaques de l’EI à Paris l’an dernier, est le produit de la décision irresponsable et réactionnaire de Washington et de ses principaux alliés européens de mobiliser les milices islamistes pour mener une guerre de changement de régime par procuration en Syrie.

Pendant des années, une petite armée de combattants islamistes européens a fait le va-et-vient entre l’Europe et la Syrie pour mener des raids et des attaques terroristes à la bombe visant à déstabiliser et à renverser le gouvernement du président Bachar al-Assad. Un rapport d’Europe1 citant, en décembre dernier, le cabinet privé de renseignement Soufan Group à New York, a estimé le nombre de combattants islamistes étrangers en Syrie entre 27.000 et 31.000. Il y avait parmi eux 5.000 Européens dont 1.700 rien que pour la France.

D’autres contributeurs majeurs étaient le Maghreb, avec 8.000 combattants (dont 6.000 de Tunisie), le Moyen-Orient, avec plus de 8.000 combattants (dont 2.500 Saoudiens), la Russie et l’Asie centrale, avec 4.500 (dont 2.400 Russes).

Un tel flux de combattants, vaste et opérant librement, n’a pu exister sans la connaissance des agences de renseignement dont beaucoup ont collaboré étroitement avec ces forces par procuration en Syrie pour planifier des attaques contre les troupes d’Assad et les civils syriens. Voilà pourquoi ceux qui mènent les attaques majeures de l’EI en Europe – les frères Kouachi qui ont attaqué Charlie Hebdo, le chef de l’attaque du 13 novembre, Abdelhamid Abaaoud, et les frères El Bakraoui à Bruxelles – étaient tous bien connus des services de sécurité. Il est évident que des protocoles étaient en place pour que leurs mouvements se fassent sans entrave et qu’ils puissent planifier et exécuter des attaques.

« L'Europe savait exactement ce qui se passait, mais elle a commencé à blâmer les autres et a dit que tout le problème se trouvait à la frontière turco-syrienne, » a déclaré au Guardian un haut fonctionnaire de la sécurité turque.

Ce responsable s’est plaint de ce que les agences européennes de renseignement n’avaient pas aidé Ankara à surveiller les islamistes européens arrivant en Turquie pour aller en Syrie, et ont même aidé des combattants islamistes déjà déportés par la Turquie à y retourner, rapporte le Guardian, qui cite le responsable ainsi: « Sans le soutien du renseignement européen [la Turquie] ne pouvait que les poursuivre pour avoir tenté de franchir illégalement la frontière vers la Syrie et les déporter vers l’Europe. On a donné à certain de ceux qui furent expulsés de nouveaux passeports et on leur a permis de retourner en Turquie. »

La poignée de complices présumés de l’EI, soutiens logistiques et faussaires de documents arrêtés maintenant dans les raids de la police – sept à Bruxelles, deux à Paris, plusieurs autres en Allemagne et en Italie – ne sont qu’une infime partie du vaste réseau établi durant la guerre de l’OTAN en Syrie. Vues dans ce contexte, les déclarations sur les attentats soigneusement formulées des responsables européens montrent clairement que leurs forces de sécurité sont poussées à la limite de leurs capacités par les opérations islamistes qu’ils ont déchaînées.

« Nous avons eu des résultats pour retrouver les terroristes et, aussi bien à Bruxelles qu’à Paris, il y a eu un certain nombre d’arrestations qui ont eu lieu et nous savons qu’il y a d’autres réseaux, » a déclaré le président français François Hollande le 25 mars ajoutant, « et nous savons qu’il y a d’autres réseaux. Même si celui qui a commis les attentats de Paris et de Bruxelles est en voie d’être anéanti, il y a toujours une menace qui pèse. »

« La menace est sans précédent, et les agences de renseignement et les autorités policières semblent être submergées par les nombres impliqués », a déclaré Aaron Stein de la fabrique d’idées Atlantic Council.

Le conflit est d’autant plus acerbe que, par les attaques de Bruxelles, l’EI intervient dans un débat qui fait rage sur la guerre au sein de l’établissement de la politique étrangère des puissances de l’OTAN; débat alimenté par les durs revers subis par leurs forces par procuration aux mains des troupes gouvernementales syriennes soutenues par la force aérienne russe.

Ces conflits sont apparus publiquement samedi 26 mars à la nouvelle qu’une milice ethnique kurde, les Forces démocratiques syriennes, soutenue par le Pentagone, était engagée dans des combats à l’arme à feu avec une milice arabe islamiste soutenue par la CIA et la Turquie, le groupe Fursan al-Haq (Brigade des chevaliers du droit). Ceci a mis « en conflit les responsables militaires américains et turcs », écrit le Los Angeles Times.

La Turquie craint que des victoires des Forces démocratiques syriennes en Syrie ne conduisent à la formation d’un État kurde indépendant sur sa frontière sud, attisant ainsi le sentiment séparatiste parmi les Kurdes de l’autre côté de la frontière, en Turquie même.

Au moment où ces conflits éclatent sur le terrain en Syrie, de violents débats se produisent, dans les coulisses, dans les bureaux et agences des grandes puissances de l’OTAN sur comment répondre à l’intervention militaire russe en Syrie.

Le gouvernement syrien, qui a récemment repris Palmyre, a été considérablement renforcé par les opérations et les frappes aériennes russes. Parlant hier au programme d’informations de CBS « Face the Nation » à son retour de pourparlers avec le président russe Vladimir Poutine à Genève, le secrétaire d’État américain John Kerry a indiqué que Washington envisageait de prendre une attitude plus conciliante à l’égard de la Russie.

Kerry a dit, « La Russie a contribué à mettre sur pied l’accord nucléaire avec l’Iran, la Russie a aidé à faire sortir les armes chimiques de la Syrie. La Russie contribue maintenant à la cessation des hostilités [en Syrie]. Et si la Russie peut nous aider à effectuer réellement cette transition politique – tout cela est dans l’intérêt stratégique des États-Unis d’Amérique. »

Ces propositions représentent une menace mortelle pour l’EI, ses combattants en Syrie et ses réseaux de recrutement et d’agents à l’échelle internationale, qui tous sont des produits des guerres impérialistes américaines en Irak, Libye et Syrie. Les attaques de Bruxelles prennent le caractère d’un signal sanglant de l’EI qui, en raison de son infrastructure logistique importante en Europe, peut exercer des représailles contre les frappes aériennes russes et une éventuelle suppression du soutien de l’OTAN en Syrie, par des attaques terroristes meurtrières en Europe et au-delà.

Les victimes de ces atrocités et de la politique criminelle des puissances impérialistes qui les ont, en fin de compte, engendrées, sont des civils innocents dans tout le Moyen-Orient, en Afrique du Nord et maintenant, de plus en plus, en Europe.

(Article paru d’abord en anglais le 28 mars 2016)

 

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