À peine un an et demi après l'adoption du projet de loi 3 qui a décimé les fonds de pension des cols bleus et des pompiers de Montréal, le gouvernement libéral du Québec a annoncé son intention de modifier le Code du travail pour orchestrer un assaut encore plus draconien contre les employés municipaux de toute la province.
Lors du congrès annuel des 1500 membres de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), qui s’est tenu à la mi-mai, le premier ministre Philippe Couillard a fait savoir qu’un projet de loi serait déposé en juin pour donner aux maires les «outils nécessaires» pour contrôler les dépenses salariales.
Son gouvernement envisage plusieurs options en cas de blocage dans les négociations entre les villes et leurs employés. Elles vont d'une formule d'arbitrage qui «devrait tenir compte des intérêts des contribuables» – un code pour justifier les demandes patronales les plus excessives – jusqu'à l'octroi aux municipalités du pouvoir de fixer par décret le contenu de la prochaine convention collective.
Agissant au nom de la classe dirigeante, les divers paliers de gouvernement – autant au niveau provincial que municipal – sont déterminés à faire porter aux travailleurs tout le poids des coupes budgétaires qui ont dévasté les services publics au cours des dernières années, y compris les compressions supplémentaires de 1,2 milliard $ sur quatre ans qui ont frappé les budgets municipaux l'automne dernier.
Cette politique s’inscrit dans la foulée du «pacte fiscal» conclu en septembre dernier avec l’UMQ, dans lequel le gouvernement Couillard promettait de «rééquilibrer le rapport de forces» entre les villes et leurs employés, que le premier ministre qualifiait hypocritement de trop favorable aux travailleurs.
Le pacte fiscal était le résultat d’une campagne de longue date menée par les maires très à droite de Montréal et de Québec, Denis Coderre et Régis Labeaume, soutenus par les médias de la grande entreprise, afin de pousser le gouvernement à octroyer aux villes le pouvoir de décréter les conditions de travail de leurs employés si ceux-ci refusent les demandes patronales.
Le gouvernement a répondu à ces pressions, qui traduisent les exigences de la grande entreprise pour faire reculer les conditions de travail des décennies en arrière. En plus de donner, sous une forme ou une autre, des pouvoirs accrus aux municipalités, la loi que prépare le gouvernement Couillard va frayer la voie à la privatisation et à la sous-traitance en s’attaquant au plancher d’emplois garantis.
Sans surprise, malgré la nature anti-ouvrière des mesures envisagées dans le projet de loi, les médias, les maires Coderre et Labeaume ainsi que le Parti québécois et la Coalition Avenir Québec, les deux partis d’opposition, ont tous critiqué le gouvernement de la droite, en l'accusant d'avoir «reculé» sur la question du décret.
En réalité, si le gouvernement Couillard opte finalement pour un arbitrage obligatoire, c'est qu'il aura conclu que la meilleure stratégie pour imposer les coupes sociales et réprimer la colère des travailleurs consiste à utiliser les services de la bureaucratie syndicale.
À la lumière de la contestation provoquée par le projet de loi 3 sur la «réforme» des retraites, et plus récemment la lutte militante des employés de l’État, le gouvernement Couillard craint une rupture ouverte avec le mécanisme des négociations collectives qui sert à impliquer les syndicats dans les attaques contre les travailleurs. Le gouvernement craint que la bureaucratie syndicale n'en sorte encore plus discréditée et ne perde le contrôle des membres de la base, ce qui pourrait entraîner une montée des luttes sociales et politiques.
Dans ce contexte, les libéraux préfèrent recourir aux syndicats, qui ont prouvé à maintes reprises au cours des dernières années leur dévouement à la paix industrielle et sociale en étouffant et en sabotant les luttes des travailleurs et des jeunes – comme ce fut le cas lors de la grève étudiante de 2012 et plus récemment lors la lutte des travailleurs du secteur public.
Plus que disposés à poursuivre ce rôle traître, les bureaucrates syndicaux ne reculent devant rien pour plaider leur cause devant l'élite dirigeante afin qu'elle continue à utiliser leurs services en tant qu'agents politiques de la grande entreprise parmi les travailleurs.
Comme l’affirmait plus tôt cette année le secrétaire général de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), Serge Cadieux, «le problème qu'on a avec ce gouvernement-là, c'est qu'il annonce des mesures qui touchent les travailleurs sans, au préalable, avoir tenté de tracer une voie de passage avec les employeurs et les syndicats».
Quant à Marc Ranger, le président du SCFP-Québec (Syndicat de la fonction publique) et de la «Coalition pour la libre négo» qui a joué un rôle clé en 2014 pour aider le gouvernement à piller les caisses de retraites des cols bleus de Montréal, il a vanté l’utilité des syndicats. «Un arbitrage qui déterminera nos conventions collectives, pour nous, c’est une atteinte au droit de négocier», a-t-il déploré. «Moi, mon argument, c’est que la négociation, ça marche. On l’a prouvé. [...] Laissez-nous négocier.»
Si le gouvernement du Québec est prêt à laisser un rôle, quoique réduit, aux syndicats dans le processus bidon de négociations qui sert à attaquer les droits des travailleurs municipaux, il n’hésitera pas un instant à imposer un décret si les syndicats n'arrivent pas à «livrer la marchandise» – comme il l’a fait à maintes reprises dans le secteur public au cours des dernières décennies, autant sous la direction du PQ que des libéraux.
Les syndicats n’ont ni la volonté, ni la capacité, de s’opposer à la menace d'un décret et à l’arsenal de lois anti-démocratiques du gouvernement parce qu’une telle lutte nécessite la mobilisation politique de toute la classe ouvrière québécoise et canadienne en défi ouvert à l'ordre social existant – la dernière chose désirée par ces défenseurs endurcis, et grassement récompensés, du système capitaliste.
Les syndicats municipaux ont travaillé d’arrache-pied pour torpiller l’opposition à la «réforme» des retraites en 2014. Bien que les travailleurs municipaux se soient battus pendant des mois contre le projet de loi 3, et qu’ils jouissaient d’un important appui populaire, les syndicats les ont isolés et canalisé leur colère vers des appels aux mêmes politiciens qui imposaient les coupures. Et ils n’ont pas levé le petit doigt pour défendre leurs membres suspendus et mis à pied pour avoir donné libre cours à leur colère contre le projet de loi 3 et le «pacte fiscal».
La récente expérience dans le secteur public a démontré une fois de plus le rôle traître de la bureaucratie syndicale. En plus d’imposer des reculs dans les salaires, les emplois et les conditions de travail des quelque 500.000 employés de l’État, l’entente de trahison fraîchement entérinée par le Front commun – dont faisait partie la FTQ – vise à faciliter une privatisation accrue des services publics et un assaut généralisé contre toute la classe ouvrière, et notamment les employés municipaux.
L’assaut sur les employés municipaux du Québec fait partie d’une offensive plus large contre l’ensemble de la classe ouvrière canadienne et internationale. Mais comme on le voit partout dans le monde, notamment en France et dans le reste de l’Europe, le regain de combativité d'une classe ouvrière vivement opposée aux mesures d’austérité entre en conflit avec la politique nationaliste de division et d’isolement pratiquée par la bureaucratie syndicale. La tâche de l'heure est d'armer cette opposition montante d'une perspective socialiste et internationale.