Le 21 juillet, la première ministre britannique Theresa May a eu un dîner de travail avec la chancelière Angela Merkel avant de rencontrer le président François Hollande.
Sa visite avait pour but de rassurer les deux pays qui forment l’axe politique et économique de l’Union européenne (UE) quant aux implications de la sortie du Royaume-Uni de l’UE après le référendum du 23 juin.
Elle veut qu’ils modèrent leur exigence d’une invocation rapide de l’article 50 du traité de Lisbonne et de l’ouverture d’une période de négociations de deux ans afin de finaliser la sortie britannique du bloc politique et économique. May souhaite disposer d’un temps de grâce – au moins jusqu’à l’an prochain – pour faire les plans nécessaires, mener les négociations avec l’Ecosse, le Pays de Galle et l’Irlande du Nord, qui ont déjà démarré, et explorer les révisions disponibles du traité pour maintenir l’accès du commerce et de l’investissement britanniques au marché européen commun.
Dans un contexte où il est question d’accords de libre-échange avec l’Australie et d’une collaboration avec les Etats-Unis en faveur d’une orientation plus décisive vers les marchés asiatiques, cet intérêt est partagé tant par le camp pro-UE du « Rester » dirigé par May, que par l’aile du parti Tory en faveur du Brexit qui a le soutien d’une majorité des membres.
Merkel elle aussi souhaite entretenir des relations amicales avec le R-U, même si cela doit entraîner un conflit avec ceux au sein de l’UE qui exigent une action rapide pour éviter une « contagion » et contenir les conséquences économiques, comme le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, tout en évitant de renforcer d’autres forces en Europe qui réclament une rupture avec l’UE. Hollande est tout particulièrement sensible à cette pression compte tenu du soutien dont jouit le parti d’extrême-droite et pro- « Frexit » Front national.
Lors d’une conférence de presse à Berlin, Merkel a signalé sa volonté d’aider May au sujet du calendrier du Brexit. « Personne ne veut un blocage, » a-t-elle dit. « Je pense que ni les citoyens britanniques ni les Etats-membres européens ne veulent cela. Et nous avons tous intérêt à ce que ceci soit soigneusement préparé, grâce à des positions clairement définies et délimitées. J’estime qu’il est tout à fait indispensable d’avoir un certain temps pour le préparer. »
May a dû affronter des questions difficiles et parfois hostiles sur sa nomination de Boris Johnson comme ministre des Affaires étrangères. Ce dernier est largement considéré comme l’auteur du vote en faveur du Brexit et des difficultés de l’Europe. On a aussi posé à May la question de savoir si une fin du principe de libre circulation et d’établissement des citoyens de l’UE pour réduire l’immigration justifiait de sacrifier le commerce européen. Elle dut faire des réponses évasives parce qu’elle doit à tout moment tenir compte de la scission de son propre parti, un équilibre délicat vu la composition de son gouvernement.
May fut obligée de nommer des partisans du Brexit à plusieurs postes clés, surtout Johnson, mais aussi David Davis au poste spécialement créé de secrétaire d’Etat à la sortie de l’Union européenne ainsi que Liam Fox à celui de secrétaire d’Etat au Commerce international (c’est-à-dire pour un éloignement économique de l’UE) une nouvelle fonction également créée par May.
May attribua cependant des postes de haut niveau à des figures qui lui sont loyales comme le ministre des finances Philip Hammond, lui aussi pour le « Rester », qui a dit récemment qu’un Brexit pourrait prendre au moins cinq ans.
De plus, la nomination de trois partisans du Brexit à des postes relevant normalement du seul ministre des Affaires étrangères confère plutôt un semblant d’influence qu’une influence réelle. Johnson est contrôlé par des fidèles de May, Tobias Ellwood et Alan Duncan, Fox par Greg Hands et Mark Garnier – tous partisans du « Rester ».
May a elle-même annoncé vouloir présider le nouveau comité ministériel chargé du Brexit et prendra toutes les principales décisions politiques.
Il existe en tout cas au sein de la classe dirigeante une opposition constante et non négligeable au Brexit, qui a fait que son annonce a été repoussée à 2017. Le calendrier de May a en fait été confirmé suite à une action juridique contre le Brexit devant la Haute cour. Cette action n’est que l’une de sept actions en justice en cours de personnes privées arguant que seul le parlement et non le premier ministre a l’autorité d’invoquer l’article 50.
« L’invocation [enclencher la procédure] de l’article 50 n’aura pas lieu avant la fin de 2016, » a dit l’avocat Jason Coppel à la cour. Un véritable procès est à présent prévu pour octobre.
Le 18 juillet, le Fonds monétaire international (FMI) a revu à la baisse ses prévisions de croissance du Royaume-Uni pour l’an prochain. Un rapport sur l’économie mondiale traitant du vote en faveur du Brexit précise que ce dernier a « mis des bâtons dans les roues [de l’économie britannique] » et obligé le FMI à revoir ses précédentes estimations de reprise de l’économie mondiale.
Les chiffres indiqués, quelque soit leur exactitude compte tenu du triste bilan du FMI, montrent que celui-ci s’attend à une croissance de l’économie britannique de 1,3 pour cent en 2017 – une revue à la baisse de 0,9 pour cent depuis avril. Le FMI a prédit une croissance mondiale de 3,1 pour cent en 2016 et de 3,4 pour cent en 2017 – soit 0,1 point de pourcentage de moins qu’en avril.
L'accueil réservé au rapport du FMI est une indication de la polarisation politique dans les cercles dirigeants.
Le quotidien The Guardian qui était pour le « Rester » et maintenant pour l’annulation du résultat du référendum, mentionne ce rapport comme très préoccupant et cite le passage disant :
« Le vote en faveur de la sortie de l’UE au R-U ajoute une incertitude significative à une reprise mondiale déjà fragile. Le vote a causé un changement politique majeur au R-U, il a généré de l’incertitude quant à la nature de ses futurs rapports économiques avec l’UE et il pourrait aggraver les risques politiques au sein de l’UE même. Une incertitude persistante est susceptible de peser sur la consommation et tout particulièrement sur l’investissement. »
Le journal écrit encore que l’impact de la décision du R-U en faveur d’une sortie « pourrait en fait s’avérer être pire que prévue » - citant une prévision de la Commission européenne disant qu’il y avait un risque que l’économie britannique se contracte de 0,3 pour cent l’an prochain.
Matt Whittaker, chef économiste de Resolution Foundation, traduit ces données en une chute de 21 milliards de livres sterling de la valeur d’ensemble de l’économie britannique.
Le journal pro-Brexit Daily Telegraph met l’accent sur le fait qu’on s’attend toujours à ce que la Grande-Bretagne ait cette année la deuxième plus forte croissance du G7 après les Etats-Unis et la troisième l’an prochain, derrière les Etats-Unis et le Canada, et qu’elle « dépassera encore la France et l’Italie. »
Le journal a néanmoins été obligé d’avertir que les estimations de croissance du FMI sont basées sur le fait qu’« aucune barrière commerciale majeure ne sera érigée entre l’UE et le R-U après le retrait de la Grande-Bretagne du bloc » et suppose qu’il « n’y aura pas de perturbation financière grave, et tout au plus des retombées politiques limitées. »
Il a souligné que l’agence de notation Moody’s avait prévenu que les perspectives de croissance du R-U « pourraient être matériellement plus faibles » si le gouvernement ne parvenait pas à conclure un accord commercial solide avec l’UE ; elle avait abaissé la perspective de la cote de crédit du R-U à « négatif » suite au référendum du mois dernier.
Le Daily Mail et le Daily Express ont tous deux rapporté que Douglas Carswell, le seul député du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (Ukip), anti-UE et anti-immigrant, avait traité le FMI de bande de « rigolos. »
(Article original paru le 21 juillet 2016)