L’élection de dimanche a confirmé, six mois après l’échec de celle du 20 décembre à produire un gouvernement, la profonde désaffection populaire et l'effondrement du système bipartite ayant dominé la vie politique espagnole depuis l'effondrement du régime fasciste de Franco en 1978.
Le Parti populaire conservateur (PP) a remporté les élections avec 33 pour cent des voix, obtenant 137 sièges, loin des 176 sièges nécessaires pour une majorité absolue au parlement espagnol qui compte 350 sièges.
Le Parti socialiste (PSOE) est arrivé deuxième avec 22 pour cent des voix et 85 sièges, son pire résultat électoral depuis la première élection de l’après Franco en 1977. L'alliance pseudo-de gauche Unidos Podemos (UP) de Podemos et de Gauche unie (IU) sous conduite stalinienne, a obtenu 21 pour cent des voix et 71 sièges, le même résultat qu’à la dernière élection. Le parti de droite Citoyens a remporté 13 pour cent des voix (32 sièges). Les nationalistes et les séparatistes catalans (CDC et ERC), basques (PNV et EH Bildu) et ceux des îles Canaries (CC) ont remporté en tout 25 sièges.
Les résultats sont aussi marqués par des niveaux record d'abstention (32 pour cent), une nette indication de l'impopularité profonde du régime. Malgré l'opposition sociale profonde à l'austérité, à l'UE et au militarisme parmi des masses de travailleurs, aucun parti ne la représentait.
Ces résultats sont particulièrement humiliants pour la coalition Unidos Podemos créée après les élections de décembre 2015 dans le but de dépasser le PSOE. Non seulement elle n’a pu y parvenir, mais elle a encore perdu un million de voix par rapport à décembre, signe qu’UP est de moins en moins considérée comme une alternative, en particulier chez les jeunes.
Les résultats accentuent la crise politique en Espagne. Quelle que soit la coalition de partis qu’on bricolera pour former un nouveau gouvernement, elle sera déterminée à imposer des attaques plus brutales encore que jusqu’ici contre la classe ouvrière.
Pendant la campagne électorale, les quatre grands partis ont exprimé leur engagement à imposer l'austérité et les exigences de l'Union européenne. Comme en Grèce avec Alexis Tsipras et Syriza, ou en France avec le Parti socialiste de François Hollande, le prochain gouvernement a l'intention d'utiliser les forces de sécurité pour essayer de réprimer la résistance des travailleurs et des jeunes aux attaques sans cesse croissantes des droits démocratiques et sociaux.
Quels partis vont constituer ce gouvernement n’est pas encore déterminé, les possibilités vont d'un gouvernement PP-Citoyens, le PSOE s’abstenant à l'investiture du gouvernement, à une grande coalition du PSOE et du PP, en passant par un gouvernement « indépendant » de technocrates.
Un soi-disant « gouvernement de changement » PSOE-UP nécessiterait le soutien des nationalistes catalans et basques, à la condition que l'Espagne soutienne un référendum sur l'indépendance en Catalogne – une option à laquelle le PSOE se refuse jusqu'à présent.
Tout gouvernement issu de ce parlement très fragmenté sera faible, divisé, très impopulaire et déterminé à imposer l'austérité et le militarisme.
Si la classe dirigeante est en mesure de préparer une telle confrontation c'est dû en grande partie au rôle joué par UP, la coalition entre Gauche unie et le Podemos d’Iglesias. Podemos, fondé en janvier 2014, a augmenté son influence électorale en exploitant l'hostilité profonde à l'establishment politique et aux politiques d'austérité de l'UE. Toutefois, il s'est avéré être un nouveau piège pseudo de gauche pour détourner la colère sociale croissante, articulant les intérêts des couches de la classe moyenne et moyenne supérieure.
Sur l'austérité, Podemos a répété les exemples de bonne gouvernance qu’étaient ses « maires du changement » de Barcelone et de Madrid, où les fronts politiques dirigés par Podemos ont réduit les dépenses publiques et la dette. L'accord entre Podemos et la Gauche unie engage la coalition à une « réduction plus lente du déficit ».
En réponse aux tensions géopolitiques croissantes dans le monde, Podemos a clairement manifesté sa position pro-militariste et sa volonté de défendre le rôle de l'Espagne dans l'OTAN. Il a inclus l'ancien général et chef d'état-major Julio Rodríguez dans ses listes électorales, geste sans précédent dans un pays où, de mémoire vivante, la classe ouvrière a subi une dictature militaire.
Au cours du dernier mois, laissant ses critiques démagogiques de la « caste » et de l'« oligarchie » en parlant du PSOE et du PP, UP a fondé sans réserves sa stratégie sur la formation d'un gouvernement avec le PSOE, le plus ancien parti d'Espagne et le principal parti au pouvoir de l'ère post-Franco.
C’est le parti qui a adopté l'OTAN, fait entrer l'Espagne dans l'Union européenne, soutenu les guerres néo-coloniales en Libye et en Afghanistan, et qui est associé aux premières mesures d'austérité après la crise économique de 2008, sous José Luís Rodríguez Zapatero qu' Iglesias a qualifié de « meilleur » premier ministre de l'histoire espagnole.
Les forces de la pseudo-gauche en orbite autour de Podemos ou à l’intérieur de celui-ci, comme les pablistes d’Anticapitalistas (les Anti-capitalistes), de En Lucha (En lutte) et de El Militante (Le Militant) ont répondu à la dérive à droite de Podemos en s'y intégrant plus encore. A l’élection de dimanche, ils ont appelé les travailleurs et les jeunes à soutenir UP dans le but de les subordonner à un gouvernement UP-PSOE pro-austérité et de les désarmer face à la contre-révolution sociale qui avance.
Contrairement à l’affirmation que la fin du régime de Franco avait inauguré une période de prospérité sociale et de stabilité politique sans précédent de l'histoire espagnole, la période actuelle est une période d'intensification de la lutte des classes, les tensions sociales éclatant dans toute l'Europe. Les conditions sont préparées d’une confrontation explosive entre les travailleurs et les jeunes et un gouvernement espagnol déterminé à les attaquer.
(Article paru en anglais le 27 juin 2016)