Les Espagnols votaient hier pour la deuxième fois en six mois afin d’élire le prochain parlement. On s’attendait à ce que l'élection produise encore une fois un parlement sans majorité comme en décembre dernier, sans qu’aucun des quatre partis principaux – le Parti populaire (PP), les Citoyens, le Parti socialiste (PSOE) et Unidos Podemos (UP) – fût en mesure d’obtenir une majorité.
Une semaine avant le scrutin, trois sondages distincts de Metroscopia, Sigma Dos et GAD3 avaient constaté que UP, une alliance de Podemos et de la Gauche unie (IU) dirigée par les staliniens, prendrait des voix au PSOE. Elle devait obtenir entre 84 et 95 sièges sur les 350 à pourvoir, contre 71 sièges remportés en décembre. Le PSOE passerait de 90 à autour de 80 sièges. Le PP dirigé par le premier ministre par intérim Mariano Rajoy devait obtenir entre 113 et 129 sièges, les Citoyens 40 ou 41.
Les quatre principaux partis se sont engagés à ne pas retourner aux urnes et tout gouvernement issu de ces élections sera faible, divisé, et impopulaire. Les configurations possibles les plus citées seraient soit une grande coalition entre le PP, les Citoyens et le PSOE, soit un gouvernement UP-PSOE.
Rajoy a déclaré qu'il espérait former un gouvernement de coalition avec le PSOE et les Citoyens: « Je continue à croire que la meilleure chose est d'avoir un gouvernement avec un large soutien parlementaire, et je suis prêt à travailler pour cela. »
Albert Rivera, le leader des Citoyens, a déclaré que son parti ne voterait pas Rajoy, mais pourrait s'abstenir pour lui permettre de gouverner ou soutenir un autre candidat PP. Rivera a appelé à une « table de négociations entre les trois partis constitutionnels, PP-PSOE-Citoyens, sans perdre une minute ».
Rivera a aussi laissé la porte ouverte à un vote du parlement pour un candidat « indépendant », autrement dit à la création sans précédent d'un gouvernement de technocrates soutenu par le PP, les Citoyens et le PSOE.
Le PSOE, dirigé par Pedro Sánchez, serait dans une position moins favorable qu’en décembre. Les sondages le montraient derrière Unidos Podemos, relégué en troisième position pour la première fois depuis les élections de 1977 suivant la mort de Franco.
Les sociaux-démocrates se sont tellement discrédités par leurs précédentes coupes budgétaires qu'ils sont incapables de tirer un profit politique de la colère sociale explosive contre les années de coupes sociales, de hausses d’impôts et de scandales de corruption du PP.
Sánchez, qui n'avait pas réussi à obtenir suffisamment de soutien parlementaire pour un gouvernement PSOE-Citoyens en avril dernier, a affirmé qu'il ne formerait un gouvernement ni avec le PP, ni avec Podemos. Cependant, sa position au sein du PSOE est précaire.
Si le parti subissait une défaite historique, cela permettrait à des opposants internes d’éloigner Sánchez pour permettre une ‘grande coalition’. Un successeur possible pourrait être la dirigeante actuelle de la région d’Andalousie, Susana Díaz. Avec la vieille garde du PSOE dirigée par l'ancien Premier ministre Felipe González, Díaz est devenue la rivale principale à contester le leadership de Sànchez après les élections de décembre. Elle s’était opposé à toute tentative de former un gouvernement avec Podemos et avait déclaré comme inacceptable la condition clé posée par la pseudo-gauche de tenir un référendum sur l'indépendance de la Catalogne.
L'autre gouvernement probable est celui associant Unidos Podemos et le PSOE, soutenu par les séparatistes et les partis nationalistes.
Sous Iglesias, UP a orienté toute sa campagne électorale vers la préparation d'un « gouvernement du changement » avec le PSOE. Ses publicités et brochures électorales comme les discours et interventions d’Iglesias dans les débats étaient tous destinés à faire pression sur le PSOE pour un tel gouvernement.
L’UP a accepté la « réduction du déficit », à savoir l'austérité, l'Union européenne et l'OTAN. Podemos a également abandonné sa rhétorique populiste. Des mots tels que « caste » et «oligarques » n’apparaissent plus et Podemos se propose maintenant comme la nouvelle social-démocratie, montrant clairement qu'il vise à sauver l’ordre politique de l’après-Franco face à l' opposition de masse aux partis de l'establishment.
Iglesias a également renoncé à la condition qu'il avait faite au PSOE pour la formation d’une coalition aux négociations de décembre, celle d’un référendum sur l'indépendance de la Catalogne.
A peine Sánchez avait-t-il déclaré « Nous ne soutiendrons pas un gouvernement qui fragmente la souveraineté nationale espagnole et qui remet en question la viabilité économique et sociale de l'État social », qu’Iglesias était intervenu à la radio pour déclarer, « Notre proposition est qu’il y ait un référendum, mais nous sommes disponibles pour parler de tout. Nous voulons parler sans lignes rouges et entendre d'autres types de propositions ».
Dans l’intervalle, la Gauche républicaine séparatiste de Catalogne a déclaré qu'elle serait prête à soutenir un tel gouvernement à condition qu’il accepte de tenir un référendum qui aurait lieu moins d'un an après sa formation.
Quelle que soit la coalition de partis sortie de ces élections pour gouverner l’Espagne, il est clair qu’elle sera farouchement hostile à l'opposition à l'austérité et à la guerre de la population espagnole et à la combativité grandissante de la classe ouvrière européenne. Il y a des grèves croissantes contre les mesures d'austérité en France, en Belgique, et contre l'allié de Podemos, Syriza, en Grèce. Mais tous les partis espagnols se sont engagés à amplifier l'attaque du niveau de vie et à défendre l'impérialisme espagnol à l'étranger.
Ce qui se prépare est une confrontation avec la classe ouvrière. La question qui se pose à la classe dirigeante est de savoir si elle portera Podemos au pouvoir pour essayer de canaliser l’opposition de masse anti-austérité vers une nouvelle impasse comme l’a fait le gouvernement Syriza, ou si elle va utiliser Podemos comme soupape de sécurité dans le cas d'une coalition entre le PP, les Citoyens et le PSOE.
L'intensification de la crise va pousser des couches plus larges de travailleurs et de jeunes dans la lutte sociale et politique. Le niveau insoutenable du chômage (23 pour cent au total et 45 pour cent chez les jeunes) et la pauvreté dans laquelle vit près d'un tiers des ménages, les réductions de salaires et la précarité de l'emploi, tout cela montre qu’il ne peut y avoir aucune solution viable au sein du système capitaliste.
(Article paru en anglais le 25 juin 2016)