Les caucus démocrate et républicain dans l’Iowa lundi soir marquent le premier test de la campagne de l’élection présidentielle 2016 des États-Unis, mais ils impliqueront une infime fraction seulement de la population de l’un des plus petits États américains. Le système électoral américain est le moins démocratique et le plus sujet aux manipulations de tous les pays capitalistes majeurs censés être démocratiques. Seuls deux partis – tous les deux de droite et contrôlés par les intérêts des grandes entreprises – ont un monopole de fait.
Il y a une contradiction aiguë et intensifiée entre la population vaste et diversifiée des États-Unis, un pays de 330 millions de personnes, et une structure politique contrôlée par le 0,1 pour cent le plus riche de la population.
Le système des deux partis, contrôlé par cette élite, fait face à une crise sans précédent de sa légitimité politique. Les démocrates comme les républicains – des institutions politiques qui sont vieilles de plus de 160 ans – sont en train de perdre leur emprise sur une population qui est profondément et fondamentalement séparée de l’establishment politique.
Les médias ont été pris par surprise par l’émergence de candidats dans les deux partis politiques dont la montée soudaine et la popularité étaient imprévues : Donald Trump du côté républicain et le sénateur Bernie Sanders du côté démocrate.
Au début de la campagne, la candidature de Trump, magnat de l’immobilier et célébrité de la télévision « réalité », a été considérée comme un facteur secondaire, divertissant, qui perdrait rapidement son public. Quant à Sanders, les médias avaient largement ignoré l’annonce de sa candidature, en supposant que la campagne d’un septuagénaire qui se décrit comme un socialiste démocratique n’attirerait qu’un soutien négligeable.
Contrairement à toutes les attentes, tant Trump que Sanders ont acquis un soutien de masse et ont émergé comme les figures dominantes du processus des primaires. Il y a une prise de conscience croissante au sein de l’establishment politique que la campagne Trump est une affaire parfaitement sérieuse, et que Trump peut devenir le candidat du Parti républicain. Et tandis que les intérêts des entreprises financières qui contrôlent le Parti démocrate attendent toujours qu’une Clinton lourdement endommagée remporte l’investiture, la candidature Sanders est considérée comme un signe avant-coureur d’un mouvement politique de gauche persistant et incontrôlable.
Qu’est-ce qu’il y a derrière cette crise du bipartisme en cours ? Comme tous les développements importants, elle a des racines politiques et sociales profondes. Les contradictions qui brisent le système des deux partis – dont l’origine est le déclin prolongé du capitalisme américain – se sont accumulées pendant des décennies. Mais l’effondrement économique massif de 2008, à la veille de l’élection de Barack Obama, a marqué un tournant qualitatif dans la crise de la société américaine.
L’impact désastreux de la crise économique sur la vie de dizaines de millions de personnes se reflète dans le rejet croissant d’un système politique qui est visiblement contrôlé par l’élite qui a d’abord provoqué puis profité de l’effondrement de 2008.
À l’extrême droite, le barrage d’insultes de Trump contre ses adversaires républicains et les médias résonne avec une section de l’électorat qui se sent trahie et embobinée. En outre, sa candidature est le produit final d’un environnement politique dégradé qui a inlassablement promu et a légitimé le genre d’attardement réactionnaire qu’exploite habilement Trump.
De l’autre côté du spectre politique, la croissance du militantisme de la classe ouvrière et le sentiment anticapitaliste, exprimé dans les grèves et le rejet des conventions collectives pourries par travailleurs de l’automobile, de la sidérurgie et de l’enseignement, ainsi que dans l’opposition aux meurtres commis par la police et l’indignation au sujet de l’empoisonnement de l’eau au plomb à Flint dans le Michigan, démontrent que la classe ouvrière se déplace vers la gauche, vers une lutte ouverte contre les patrons américains.
C’est le principal facteur derrière la crise du système bipartite. Le mouvement vers la gauche parmi les larges masses de la population a trouvé son expression dans la croissance du soutien pour Bernie Sanders, qui se dit « socialiste démocratique » et a placé l’inégalité économique et la criminalité de Wall Street au centre de sa campagne. Sanders a atteint une quasi-égalité avec la démocrate favorite, Hillary Clinton, lors des sondages précédant le caucus dans l’Iowa, ainsi qu’une avance significative dans les sondages au New Hampshire, où la prochaine primaire aura lieu le 9 février.
Le sondage du Des Moines Register publié samedi, le dernier avant les caucus de l’Iowa, a constaté que Sanders avait une avance de plus de 30 points sur Clinton parmi les électeurs potentiels de moins de 35 ans. Le sondage a révélé que 68 pour cent des électeurs démocrates potentiels pensaient qu’un président socialiste serait une bonne idée, une statistique remarquable dans un pays où le socialisme a été soumis à une diffamation sans fin par les médias et les élites politiques.
Le World Socialist Web Site a expliqué que Sanders n’est pas socialiste, mais un libéral modéré dont les vues auraient été considérées comme au centre dans le Parti démocratique des années 1960. Tout en critiquant la mainmise des milliardaires sur le système politique américain, Sanders défend la politique étrangère de l’impérialisme américain : à savoir, l’utilisation de la force militaire, l’assassinat, l’espionnage et de la subversion politique afin de défendre les intérêts de ces mêmes milliardaires dans le monde entier.
La fonction principale de la campagne Sanders est de faire appel aux sentiments de plus en plus radicaux chez les jeunes et les travailleurs dans le but de les ramener dans le giron du Parti démocrate. Malgré ce service politique, cependant, il y a de la nervosité croissante dans l’establishment du Parti démocrate, et plus largement dans les cercles dirigeants, l’on craint que les attaques de Sanders contre Wall Street pourraient encourager un mouvement allant bien au-delà des intentions du sénateur du Vermont.
Ceci explique l’attaque concertée contre Sanders ce week-end du principal organe du Parti démocrate, le New York Times. Le Times a publié un éditorial dimanche approuvant Hillary Clinton pour l’investiture démocrate à la présidentielle, tout en rejetant Sanders comme un candidat qui a soulevé des idées utiles, mais ne pouvait pas les mettre en pratique. Il met l’accent sur le rôle de Clinton comme un parangon de la politique identitaire, elle serait la première femme présidente et un défenseur des femmes noires, des homosexuels, etc.
L’argument de Paul Krugman, chroniqueur du Times, est plus développé : dans un commentaire intitulé « Ploutocrates et préjugés. » Il affirme que Sanders et Clinton représentent des diagnostics contradictoires de ce qui ne va pas avec l’Amérique, avec Sanders se concentrant sur l’inégalité économique et « l’influence corruptrice de l’argent », tandis que Clinton (et Krugman lui-même) soutiennent que « l’argent est la racine d’un mal, peut-être beaucoup de mal, mais il n’est pas toute l’histoire. À la place, le racisme, le sexisme et d’autres formes de préjugés sont des forces puissantes en elles-mêmes. »
La conclusion est que les questions de race et de genre sont tout aussi importantes, voire plus importantes, que les questions de classe. En raison de la prévalence du racisme et de sexisme chez les travailleurs blancs, prétends Krugman, les « visions de changement radical sont naïves » et la « révolution politique de gauche n’est pas faisable. »
Cette analyse de la société américaine est une diffamation politique contre la classe ouvrière. Krugman ne cite aucune preuve de la prévalence supposée du racisme dans un pays qui a élu un président afro-américain en 2008. Au contraire, les questions de race et de sexe sont délibérément injectées dans l’arène politique afin de diviser la classe ouvrière, et de détourner la croissance de la conscience de classe.
Une grande partie de la couverture de presse des caucus de l’Iowa et de la campagne électorale dans son ensemble concède que le sentiment dominant parmi les millions de personnes est la colère contre le système politique existant et les deux partis. Mais il n’y a aucune explication des raisons pour lesquelles il y a tant de colère, quand, selon les médias, l’économie américaine serait dans sa sixième année de reprise économique.
Les médias officiels sont soit inconscients de la réalité de la baisse du niveau de vie et de la détérioration des conditions sociales, soit ils les cachent délibérément. Leur Amérique s’arrête à la bourse qui monte – du moins jusqu’en janvier – et à la richesse qui s’accumule pour des super-riches et une couche privilégiée de la classe moyenne supérieure.
L’Amérique est une société profondément polarisée suivant les classes sociales, avec un fossé vaste et infranchissable entre les riches et le reste de la population. C’est cette réalité sociale qui sous-tends la crise qui s’accroît dans les deux partis démocrate et républicain. Au fur et à mesure que les questions de classe viennent au premier plan, en secouant le système politique sclérosé qui n’est plus représentatif. Il y aura sans doute d’autres chocs et surprises politiques au cours de la campagne électorale de 2016.
(Article paru d’abord en anglais le 1 février 2016)