Dans un rapport publié le 3 février, l’ONG internationale, Human Rights Watch (HRW), a dénoncé les abus commis par la police et l’État français sous l’état d’urgence. Le rapport souligne le refus systématique et arbitraire de droits démocratiques fondamentaux par la police française, non contrôlée par le pouvoir judiciaire en vertu de l’état d’urgence, et le ciblage des personnes d’origine musulmane.
HRW déclare, « La France a effectué des perquisitions et des assignations à résidence abusives et discriminatoires contre des musulmans dans le cadre de sa nouvelle loi à vaste portée sur l’état d’urgence. Ces mesures ont créé des difficultés économiques, ont stigmatisé les personnes ciblées et ont traumatisé des enfants. »
Selon les données de HRW, étayées par de nombreuses informations des médias français, les attaques contre les droits démocratiques se produisent sur une vaste échelle. En plus de 3.289 perquisitions sans mandat de maisons et de bâtiments, des équipes SWAT de la police et des gendarmes sont entrées par effraction, ont attaqué les occupants, les ont menottées et agressés. Elles ont régulièrement et arbitrairement endommagé les portes, les meubles et les biens des personnes visées; celles-ci doivent ensuite réparer les dégâts sans espoir de compensation par l’État.
HRW a évoqué le cas de M. Alami, 64 ans d'origine marocaine qui vit avec sa femme et trois de leurs enfants. Six policiers ont cassé la porte dans au 2 heures le 26 novembre 2015 : « Ils ne nous ont pas laissé le temps de parler. Ils m’ont poussé, m’ont mis les mains derrière le dos et m’ont plaqué au sol, face contre terre. L’un d’eux a mis son genou sur le dos. J’ai eu l’impression d’être cassé en deux. J’ai dit ‘Vous me faites mal !’ Il m’a tiré par les cheveux et a poussé ma tête par terre, me cassant quatre dents. Ils ont fouillé l’appartement jusqu’à 05h45, puis ils nous ont demandé, à ma femme et moi, nos papiers d’identité. Leur chef a dit : ‘On s’est trompés.’ (…) Ils ne se sont pas excusés. »
Alami a expliqué que le mandat était pour sa fille, qui vit ailleurs avec son mari et dont le domicile a été perquisitionné au même moment... Il a ajouté que sa porte d’entrée est toujours cassée. Il a déclaré que les policiers lui ont dit : « C’est l’état d’urgence. Nous avons le droit de casser des choses. Nous pouvons faire tout ce que nous voulons. »
L’état d’urgence décrété après les attentats terroristes du 13 novembre à Paris est sur le point d’être renouvelé pour une période supplémentaire de trois mois, ce qui portera sa durée à six mois et demi. Le premier ministre Manuel Valls a déjà prévenu qu’il serait maintenu en permanence, jusqu’à ce que la milice de l’État islamique en Irak et en Syrie (EI) soit détruite, c’est-à-dire en pratique indéfiniment.
Les rapports des groupes de droits de l’homme montrent ce que signifient les mesures prises pour créer un état d’urgence permanent. Cela reviendrait à la création d’un régime autoritaire, où les droits démocratiques fondamentaux sont bafoués, et où la population n’a aucun recours si elle est attaquée ou agressée par la police.
Le lendemain du rapport de HRW, Amnesty International (AI) a publié son propre rapport, « Des vies bouleversées, l'impact disproportionné de l'État d'urgence en France ». Il précise: « Ce rapport passe en revue un certain nombre de cas illustrant les dérives de la mise en œuvre des mesures d’urgence, en particulier les ordres de perquisition de domiciles et les arrêtés d’assignation à résidence, et conclut que ces mesures ont été appliquées de façon bien trop généralisée et, dans certains cas, arbitrairement. Les autorités françaises ont notamment restreint les droits humains, et en particulier les droits à la liberté, à la vie privée, à la liberté de réunion et le droit de circuler librement au-delà des exigences que la situation impose. »
« De plus, dans certains cas, ces mesures ont été appliquées de façon discriminatoire. Certains musulmans ont été ciblés principalement du fait de leur pratique religieuse, en l’absence totale d’éléments indiquant qu’ils avaient commis une quelconque infraction pénale. »
AI, comme HRW, détaille de nombreux cas de violence et de discrimination, principalement contre la population musulmane, par les forces de l’État. Dans un exemple, « Un membre de l’association dirigeant la mosquée d’Aubervilliers (région parisienne), perquisitionnée le 16 novembre, a déclaré : ‘La perquisition a été très violente, c’était une profanation. Ça nous a fait mal et ça nous a fait peur […] Le responsable de la mosquée a été aussi mis en garde à vue après la perquisition… mais cela n’a rien donné, ils n’ont rien trouvé. Le pire c’est que s’il y avait de véritables soupçons, ils lanceraient des enquêtes… mais là c’est comme s’ils nous punissaient pour rien.’ »
Un autre incident, à Strasbourg, a été signalé par le site Rue89: le samedi 21 novembre à 16 heures, une équipe de police SWAT a soufflé la porte d'un appartement dans cette ville. Il était habité par un homme de 80 ans avec sa fille de 46 ans, handicapée mentale. L'homme s’est levé en sursaut avec le bruit de l'explosion et a immédiatement perdu connaissance.
Il venait de rentrer d’une hospitalisation pour insuffisance rénale et une infection pulmonaire. La police l’a soulevé et menotté face contre terre sur le sol avec sa fille. Ensuite, ils ont été mis dans une pièce pendant que la police fouillait la maison. L’appartement a été dévasté ; il y a eu des trous enfoncés dans le plafond de l’appartement qui venait d’être rénové. L’homme a dû retourner à l’hôpital pour 5 jours.
La perquisition a été déclenchée par l'interrogatoire de deux des fils de l'homme qui se rendaient à Bâle, en Suisse, pour visiter la femme et la fille d'un des frères. Bien que les deux aient été libérés sans aucune charge, les douanes suisses ont signalé l'interrogatoire au bureau du procureur de Strasbourg avec l'adresse du vieil homme.
Les milliers de perquisitions sans mandat et les centaines d’assignations à résidence imposées depuis novembre ont un impact dévastateur. Plus de 407 assignations à résidence ont été imposées et HRW rapporte qu’en date du 2 février, 303 étaient toujours en vigueur. De telles mesures, qui imposent de se présenter à un commissariat 3 ou 4 fois par jour, font qu’il est impossible aux gens de travailler. Beaucoup ont perdu leur entreprise ou leur emploi.
Il est remarquable que des 488 enquêtes supplémentaires ouvertes relatives aux perquisitions, aucune d’entre elle n’est liée au terrorisme. Seules cinq enquêtes liées au terrorisme ont été lancées, ainsi que 21 enquêtes pour « apologie de terrorisme » qui n’impliquent pas cependant une activité terroriste quelconque.
L’échec d’une opération anti-terroriste massive, opérant sans restrictions judiciaires et ayant à sa disposition tous les moyens technologiques de l’espionnage électronique de masse, de trouver plus d’une poignée de gens suspects de terrorisme, soulève de sérieuses questions quant au développement des moyens policiers ayant lieu actuellement en France.
Après les attaques contre Charlie Hebdo, les services de renseignement et les programmes d’espionnage de masse ont été renforcés par des milliers de nouvelles recrues. Le fait que leur activité n’ait découvert que cinq personnes soupçonnées de terrorisme soulève la question de savoir quel est l’objectif réel de leur espionnage.
(Article paru d’abord en anglais le 9 février 2016)