Si les responsables politiques canadiens ont évité la dirigeante du Front national, Marine Le Pen, durant son voyage de mars dernier au Canada, c'est parce qu'ils craignaient qu'un contact direct avec un parti néo-fasciste (qui a défendu le régime pro-nazi de Vichy, nié l'Holocauste et salué le régime colonial français d'Algérie) ne souligne leur propre tournant prononcé vers la droite.
La scène politique au Québec et au Canada est, en effet, dominée par l’austérité capitaliste, le chauvinisme anti-musulman, la violation des droits démocratiques et la guerre impérialiste.
Le Parti québécois (PQ) a joué un rôle clé dans ce processus. Son projet séparatiste québécois étant discrédité par ses brutales mesures d'austérité au pouvoir, et sa base traditionnelle menacée par un mouvement populiste de droite représenté aujourd'hui par la Coalition Avenir Québec, le PQ s'est tourné vers les éléments ultra-nationalistes en prônant une politique identitaire, axée sur un chauvinisme québécois aigu et l'islamophobie.
Un projet avorté de citoyenneté québécoise, qui aurait privé de droits politiques essentiels tout immigré ne parlant pas suffisamment bien le français, a été suivi d'une «Charte de la laïcité» (ou «Charte des valeurs québécoises») dirigée contre la minorité musulmane. Placée au coeur de la politique du dernier gouvernement péquiste de 2012-2014, cette Charte aurait interdit aux employés du secteur public de porter des signes religieux dits ostentatoires (le foulard islamique étant jugé ostentatoire, mais pas la croix chrétienne), et privé les musulmanes portant la burqa ou le niqab (voiles recouvrant tout le visage) de services publics essentiels.
Lors de l’élection fédérale de l’automne dernier, le Bloc québécois, parti frère du PQ sur la scène fédérale, a accueilli une campagne démagogique des conservateurs contre le port du niqab et exigé une plus grande implication des forces armées canadiennes au Moyen-Orient – le tout au nom de la défense des femmes face à l’oppression islamique. Le chauvinisme anti-musulman se trouvait ainsi à la base d’une alliance entre les souverainistes québécois et un gouvernement conservateur ultra-droitiste qui a criminalisé des grèves, organisé l'espionnage en masse de la population et ravivé les traditions militaristes du Canada.
Durant son passage au Canada, Marine Le Pen a salué le projet séparatiste du PQ comme une expression légitime de la souveraineté nationale, tout en réitérant son plein soutien pour sa Charte anti-musulmane. Mais comme cet appui pourrait nuire aux efforts de bureaucratie syndicale et des éléments de la pseudo-gauche pour garder les travailleurs attachés au PQ supposément «progressiste», le PQ a préféré garder ses distances avec Marine Le Pen.
Anxieux de cacher les affinités entre les deux formations, le chef multimillionnaire du PQ, Pierre Karl Péladeau, a décrit le Front national comme un parti «aux antipodes des valeurs du Parti québécois». Ironiquement, Péladeau a fait cette critique après avoir appris que quatre jeunes membres du Parti québécois avaient rencontré Le Pen – une initiative défendue avec véhémence par le site vigile.net, fréquenté par des nationalistes québécois purs et durs.
Ce n’est pas la première fois que des membres du PQ montrent une sympathie politique pour le Front national. En février 2015, des élus du Comité national des jeunes du PQ ont été rappelés à l’ordre par la direction du parti pour s’être s’associés au FN afin de dénoncer une décision du gouvernement québécois de hausser les frais de scolarité des étudiants français.
Boudé par son «allié naturel», le Front national a échangé des courriels avec la Coalition Avenir Québec (CAQ). Une rencontre officielle a été finalement écartée, bien que plusieurs positions de la CAQ sur l'immigration soient comparables à celles prônées par le FN.
S'inspirant du projet péquiste de citoyenneté québécoise, la CAQ demande au gouvernement québécois de révoquer le «certificat de sélection» des nouveaux arrivants qui ne démontrent pas, après trois ans, une maîtrise suffisante du français «et des valeurs de la société québécoise». Une telle mesure, a reconnu la CAQ, pourrait rapidement mener à leur expulsion, le certificat de sélection étant nécessaire pour s'établir au Québec.
C'est toute la classe dirigeante canadienne qui attise les sentiments anti-musulmans afin de camoufler son assaut sur les droits démocratiques, diviser la classe ouvrière au pays et justifier les opérations militaires qu’elle mène à l'étranger aux côtés de Washington pour défendre ses intérêts géostratégiques.
Cela vaut pour les fédéralistes du parti libéral du Québec (PLQ) qui, après avoir hypocritement dénoncé le «nationalisme ethnique» et la Charte du PQ, ont repris des pans entiers de cette même Charte, notamment l’interdiction aux musulmanes portant la burqa ou le niqab de recevoir des services publics. Reporté au pouvoir en avril 2014, le PLQ a également annoncé un gel des quotas d’immigration du Québec.
D'autre part, le Canada joue depuis plusieurs années un rôle plus agressif sur la scène internationale en participant à une série de guerres de conquête menées par Washington et en soutenant l'hégémonie américaine afin de renforcer sa propre position géo-stratégique. Dans ce contexte, la politique étrangère canadienne a reposé sur les éléments les plus réactionnaires – les forces duvaliéristes ayant chassé le président élu d'Haïti en 2004; les fondamentalistes islamiques armés et financés par l'OTAN en 2011 pour renverser le régime Khadafi en Libye; ou les éléments fascistes qui ont servi de troupes de choc en 2014 pour faire tomber un régime ukrainien jugé trop proche de Moscou par Washington et ses alliés.
Poursuivant sur cette voie, le gouvernement libéral de Justin Trudeau a triplé les forces spéciales déployées par le Canada en Irak et en Syrie, et finalisé une livraison d’armes de $15 milliards à l’Arabie saoudite, un régime autocrate qui constitue un pilier de la réaction au Moyen-orient.
Au Canada comme ailleurs dans le monde, les partis de l’establishment frayent la voie aux éléments ultra-réactionnaires en imposant de brutales rondes d'austérité, ainsi que des mesures historiquement associées à l’extrême-droite: le militarisme débridé, la violation éhontée des droits démocratiques et la promotion de la xénophobie. En France par exemple, le gouvernement social-démocrate (PS) a exploité les attentats terroristes de novembre 2015 à Paris pour instaurer un état d’urgence qui met en place la structure d'un État policier.
Ces mesures ont causé une profonde aliénation populaire envers l'ordre capitaliste existant et ses partis politiques traditionnels. Si le vide politique ainsi créé peut profiter à des démagogues d'extrême-droite, comme Marine Le Pen en France, c'est à cause des éléments de la pseudo-gauche. Ces derniers ont collaboré avec les syndicats pour étouffer la lutte de classe, et ils sont devenus les champions de l'austérité capitaliste, les avocats de la guerre impérialiste et les apologistes d’éléments pro-fascistes à travers le monde.
En Grèce, Syriza (Coalition de la gauche radicale) a formé un gouvernement de coalition avec les Grecs indépendants, un parti ultra-nationaliste, et a rapidement abandonné ses promesses anti-austérité pour imposer les coupes budgétaires encore plus draconiennes exigées par la classe dirigeante européenne.
En Angleterre, les deux plus grosses organisations de la pseudo-gauche, le Parti socialiste (SP) et le Parti ouvrier socialiste (SWP), ont adhéré au camp bourgeois prônant la sortie de l'Union européenne au référendum de juin prochain, dans une campagne xénophobe dominée par l'aile droite du parti conservateur et le parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP) d'extrême-droite.
En France, le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) a légitimé l’hystérie anti-musulmane de l’élite dirigeante, contribué à l'élection du gouvernement PS de François Hollande qui est aujourd’hui universellement détesté par la classe ouvrière, et endossé les opérations impérialistes de changement de régime en Libye, en Ukraine et en Syrie comme étant des «révolutions».
Un rôle tout aussi pernicieux est joué au Canada par le parti supposément «de gauche», Québec solidaire (QS), au sein duquel évoluent les sympathisants québécois du NPA.
Amir Khadir, ancien porte-parole et actuel député de QS, fut le seul chef politique canadien à se dire prêt à rencontrer Marine Le Pen. «C'est une Française qui arrive au Québec, alors on n'est pas pour la repousser», a fait savoir Khadir.
Cette déclaration de QS qu’il est prêt à discuter avec une néo-fasciste, et à la traiter comme une personnalité politique «respectable», en dit long sur sa propre évolution accélérée vers la droite. Après avoir accueilli la Charte anti-musulmane du PQ comme une réponse légitime (bien qu'exagérée) à un problème réel, QS cherche aujourd'hui à se rapprocher encore plus du PQ sur la base du projet réactionnaire de l'indépendance du Québec.
L’ouverture de Québec solidaire au Front national n’est que la continuation du rôle qu'il joue sur la scène politique québécoise, celui d'une couverture et d'un soutien politiques pour le tournant du PQ, et de tout le milieu indépendantiste, vers des politiques basées sur le chauvinisme national et inspirées du Front national. Les dirigeants de QS discutent maintenant de «convergence» avec un Parti québécois dirigé par Péladeau, un droitiste notoire connu pour ses positions anti-ouvrières et un acteur clé du tournant identitaire du PQ.
La visite de Marine Le Pen au Canada aura servi à illustrer, une fois de plus, jusqu’à quel point les forces de la pseudo-gauche s’orientent vers les éléments les plus à droite, voire néo-fascistes.