La caractéristique la plus frappante de la campagne électorale américaine 2016 est l’absence presque totale de discussion sur ce qui est de loin le problème le plus grave auquel sont confrontés les habitants des États-Unis et du monde, qui pèse sur tout le reste : l’escalade des conflits militaires qui menacent de plonger la planète entière dans une nouvelle guerre mondiale.
Bien que ce ne soit pas un sujet de débat important entre les différents candidats en lice pour la nomination présidentielle des partis démocrate et républicain, il se passe presque pas un jour sans qu’une nouvelle provocation ne soulève la perspective d’une confrontation militaire impliquant les États-Unis, la Chine, la Russie et les puissances européennes.
Hier n’a pas fait exception. Le secrétaire adjoint américain à la Défense Robert Work a annoncé que le gouvernement Obama ne reconnaîtrait aucune Zone d’identification de défense aérienne (ADIZ) que la Chine pourrait déclarer en mer de Chine méridionale en réponse à une prochaine décision du tribunal international sur les différends territoriaux dans la région.
Plus tôt ce mois-ci, le chroniqueur du Washington Post David Ignatius, se référant à un futur conflit sur une ADIZ, a écrit que« Les États-Unis se dirigent vers une épreuve de force dangereuse en Chine ». Ignatius a cité Kurt Campbell, ancien ministre adjoint à la défense pour l’Asie, qui avait dit : « Ce n’est pas Pearl Harbor, mais si les gens de tous les côtés ne sont pas prudents, ce pourrait être « The Guns of August » [Les cannons d’août] ». Campbell citait le titre du livre de Barbara Tuchman sur les événements qui ont mené à la Première guerre mondiale, qui a entraîné la mort de 17 millions de personnes.
Mercredi toujours, le Wall Street Journal a rapporté que le Pentagone a « élaboré des plans pour positionner des troupes américaines, des chars et d’autres véhicules blindés à plein temps le long des frontières orientales de l’OTAN […] dans ce qui serait le premier déploiement de la sorte depuis la fin de la guerre froide ».
Work, qui le mois dernier a déclaré qu’un test de missiles balistiques intercontinentaux avait été conçu pour montrer « que nous sommes prêts à utiliser des armes nucléaires dans la défense de notre pays », a déclaré au Wall Street Journal qu’avec les forces supplémentaires, « il y aura l’équivalent d’une division pour lutter contre [la Russie] s’il se passe quelque chose ».
En ce qui concerne les médias et les candidats des partis démocrate et républicain, tout cela tombe dans la catégorie du grand « sujet tabou ». En effet, le gouvernement Obama tente de reporter temporairement un conflit direct avec la Russie ou la Chine, suivant un modèle bien rôdé selon lequel les opérations militaires majeures sont lancées après les élections présidentielles. Le but est d’empêcher que la question de la guerre et les plans de guerre de la classe dirigeante ne deviennent un sujet de discussion politique entre les sections plus larges de la population.
En particulier depuis le lancement de la « guerre contre le terrorisme », puis, après les manifestations de masse en 2003 contre l’invasion imminente de l’Irak, la classe dirigeante américaine a œuvré systématiquement pour exclure toute expression des sentiments anti-guerre du processus politique. En 2002, les démocrates ont exclu la question de l’invasion imminente de l’Irak des élections de mi-mandat, après que les démocrates au Congrès eurent convenu de donner à Bush un chèque en blanc pour utiliser la force militaire.
En 2004, l’opposition à la guerre était si intense qu’elle menaçait de submerger le cycle électoral. Ce fut l’année où Howard Dean, le gouverneur du Vermont, a remporté un large soutien principalement en raison de son opposition déclarée à la guerre en Irak, et semblait être en route pour gagner l’investiture démocrate. Sa campagne a ensuite été déraillé par une opération soigneusement coordonnée par la direction du Parti démocrate et les médias, qui l’ont proclamé « inéligible ». Le sénateur John Kerry, qui avait voté pour la guerre en Irak, a été mis en avant, les démocrates « anti-guerre » l’ont soutenu, et la question de la guerre a été retirée de l’élection qui a abouti à la victoire de George W. Bush pour un second mandat.
Deux ans plus tard, malgré les efforts du Parti démocrate pour empêcher que les élections de mi-mandat ne deviennent un référendum sur la guerre, l’opposition à l’invasion de l’Irak a conduit à une défaite massive pour les républicains et a donné le contrôle des deux chambres du Congrès aux démocrates pour la première fois depuis 1994. Les démocrates ont réagi en rejetant toute tentative de forcer un changement de cap, et encore moins de porter des accusations contre les responsables du gouvernement Bush. Ils ont financé toutes les demandes de crédits militaires du gouvernement Bush, y compris pour le « surge » (grand envoi de renforts militaires) de 2007 en Irak.
Le détournement des sentiments anti-guerre vers un soutien au Parti démocrate fut réalisé avec l’aide essentielle des organisations de la classe moyenne qui avaient dirigé les manifestations contre la guerre en 2003. Cela a abouti à la campagne du sénateur de l’Illinois, Barack Obama, en 2008. Obama fut présenté comme le « candidat qui allait tout changer », qui allait renverser les huit années de guerre et de réaction sociale sous Bush. Pendant les primaires, la carte politique maîtresse d’Obama était le fait qu’il s’était opposé à l’invasion de l’Irak tandis que son principal adversaire, Hillary Clinton, l’avait voté au Sénat.
En fait, le gouvernement Obama est devenu le véhicule pour les organisations de la classe moyenne autour du Parti démocrate qui ont embrassé pleinement et ouvertement l’impérialisme. Après plus de sept ans d’Obama comme « commandant en chef », les guerres en Irak et en Afghanistan continuent. Le gouvernement Obama a mené une guerre pour renverser le gouvernement en Libye, alimenté une guerre civile en Syrie à travers la promotion des milices fondamentalistes islamistes, a lancé les frappes de drones sur le Pakistan, la Somalie et le Yémen, soutenu l’offensive israélienne contre Gaza, soutenu un bombardement brutal saoudien du Yémen, et supervisé la militarisation de la mer de Chine méridionale et de l’Europe orientale.
Toutes les indications laissent à penser que dans un an, sinon plus tôt, l’ampleur des opérations militaires des États-Unis sera beaucoup plus grande. Malgré le danger imminent d’un conflit global impliquant des puissances dotées d’armes nucléaires, les médias et les différents candidats excluent les opérations militaires en cours de l’ordre du jour. Quand la guerre est discutée, c’est du point de vue d’un commun accord entre les républicains et les démocrates sur la nécessité de « détruire l’État islamique » et de s’opposer à « l’agression » chinoise et russe.
Dans la campagne du Parti démocrate, l’ancienne ministre de la défense Hillary Clinton a émergé comme la candidate préférée de l’appareil militaire et du renseignement. Elle est personnellement responsable du lancement de la guerre en Libye et de l’opération de déstabilisation soutenue par la CIA en Syrie. Sur sa page web de campagne, Clinton se vante d’avoir « défié les actions agressives de la Chine » en Asie. Le site Web de la campagne Clinton ajoute : « Hillary va limiter, contenir, et dissuader les agressions russes en Europe et au-delà, et augmenter ce qu’il en coûtera à Poutine pour ses actions. »
Quant à Bernie Sanders, il n’a pratiquement rien dit sur la guerre ou la politique étrangère, en dehors de critiquer Clinton pour avoir soutenu l’invasion de l’Irak en 2003. Sur le site Web de sa campagne, le thème « la guerre et la paix » est relégué à la position 25 des 28 questions de l’élection. Il appelle l’invasion de 2003 « la pire erreur de politique étrangère dans l’histoire américaine moderne ». L’invasion de l’Irak ne fut, selon Sanders, pas un crime, mais une erreur stratégique du point de vue des intérêts de la classe dirigeante américaine.
Il proclame que « en tant que président et commandant en chef, je vais défendre cette nation, son peuple, et les intérêts stratégiques vitaux de l’Amérique, mais je vais le faire de façon responsable ». Il se vante d’avoir voté pour la guerre dans les Balkans en 1999 et en Afghanistan en 2001. Il a soutenu les frappes de drones du gouvernement Obama, a dénoncé la Russie, et a insisté pour que les États-Unis maintiennent la plus grande armée du monde.
Malgré toutes ses critiques rhétoriques contre la « classe milliardaire » et son influence sur la politique américaine, Sanders ne donne jamais à penser que la politique étrangère est dictée par cette même « classe milliardaire ». D’ailleurs, il ne propose aucune coupe dans le budget militaire gargantuesque. Sanders défendrait lui aussi « les intérêts stratégiques vitaux de l’Amérique », jargon pour la poussée par l’élite patronale et financière américaine pour contrôler le monde et ses principales sources de matières premières, sa main-d’œuvre bon marché et ses routes commerciales. Rien d’autre ne pourrait démasquer plus complètement la fraude du « socialisme » de Sanders.
Il existe toujours de profonds sentiments anti-guerre très répandus parmi les travailleurs et jeunes américains. De grandes parties de la population en âge de voter ont vécu leur vie politiquement consciente sous des conditions de guerre permanente. Il n’y a pas de soutien de masse à la guerre contre la Chine ou la Russie, ni pour encore plus de mesures de destruction des droits démocratiques à l’intérieur ni pour l’introduction de la conscription militaire – qui accompagneraient inévitablement une telle guerre.
Il reste, cependant, un énorme danger. En conséquence de la conspiration du silence par les médias et l’establishment politique, la population dans son ensemble est largement ignorante de ce qui se déroule actuellement et de ce qui est prévu pour l’après-élections. C’est une question de vie ou de mort que l’attention de la classe ouvrière soit concentrée sur les plans de guerre de la classe dirigeante et que les fondations politiques soient jetées pour un nouveau mouvement de masse anti-guerre.
La lutte contre la guerre impérialiste nécessite la construction par la classe ouvrière d’un mouvement politique indépendant, sur la base d’un programme internationaliste et socialiste. Les travailleurs ne doivent pas se laisser enfermer dans les confins pro-impérialistes de la politique bourgeoise et du Parti démocrate. La classe ouvrière doit intervenir avec son propre programme et sa propre perspective, faisant le lien entre la lutte contre la guerre et la lutte contre les inégalités, la dictature et le système capitaliste.
(Article paru en anglais le 31 mars 2016)