Le mouvement d'opposition qui s'est cristallisé autour des manifestations contre la loi El Khomri du gouvernement PS devient de plus en plus un mouvement contre le PS lui-même et les organisations qui, depuis Mai-juin 1968, se font passer pour « la gauche ». Les syndicats, qui pendant quatre ans n'ont rien fait pour mobiliser l'opposition contre Hollande, craignent d'être débordés. Cette situation révèle le gouffre existant entre d'une part la classe ouvrière et la jeunesse, et de l'autre l'establishment politique bourgeois et les organisations syndicales.
Décrite par les médias patronaux comme l'« extrême gauche », Lutte Ouvrière (LO) contribue depuis des décennies à bloquer tout mouvement politique dans la classe ouvrière qui rompe avec le PS et les appareils syndicaux. L'émergence à présent d'un mouvement contre le PS terrifie LO, qui essaie de couvrir au maximum son rôle de soutien du PS et de rouage essentiel de la classe politique française.
A présent, tout ce mécanisme politique commence à se gripper face au mouvement des travailleurs et des jeunes contre le PS et à leur indifférence envers les syndicats. C'est ce que montre l'interview ci-dessous avec Arlette Laguiller, l'ex-candidate de LO aux présidentielles entre 1974 et 2007, réalisé à une manifestation à Paris, le 31 mars 2016. Un interview qui équivaut à un aveu de banqueroute politique totale.
***
Interrogée sur la position de LO sur la loi El Khomri, Laguiller a dit, « On est là bien sûr pour la contrer ; on est dans la rue depuis le 9, quoi. On a appelé pour toutes les manifestations ... Hollande a pris ce que veut le patronat, c’est ce que Sarkozy n’a pas osé faire parce qu’il y aurait eu des réactions encore plus fortes. Hollande le fait sous la dictée du patronat, du Medef et [du chef du Medef Pierre] Gattaz. Il est au service du patronat comme tous les gouvernements finalement qu’on a connus ».
WSWS : Est-ce que, dans ce contexte-là, LO reconsidère, ou a un positionnement différent sur sa décision de faire des alliances politiques avec le PS, et d’indiquer clairement dans ses déclarations des élections présidentielles qu’il fait une différence entre le PS et les partis de droite ?
A. Laguiller : Écoutez, nous on pense qu’il mène une politique de droite. Donc, on ne va pas dire que le PS c’est un peu moins mal que la droite. Ce n’est pas vrai... Voyez la montée du chômage, il n’a pris aucune mesure pour interdire les licenciements. Même quand il prétendait ne pas être d’accord avec les licenciements à PSA, il n’a rien fait pour les empêcher. Donc, nous, on a notre propre candidate Nathalie Arthaud pour les présidentielles pour défendre les intérêts des travailleurs.
WSWS : Que pensez-vous de l'inaction des syndicats face à Hollande depuis maintenant 4 ans ?
A. Laguiller : Ben, on est content que ça se réveille un peu maintenant avec la loi El Khomri, parce que jusqu’à présent c'est vrai que tous les mauvais coups sont passés sans qu’il y ait réellement de réaction.
WSWS : Comment expliquer cela ? Après tout, LO a beaucoup compté sur la CGT.
A. Laguiller : Non, nous on ne compte ni sur la CGT ni sur les autres confédérations syndicales. Nos militants de la CGT, ils militent à la base et ils essaient de faire que les choses bougent dans leurs entreprises, mais nous, nos militants d'entreprise dans les syndicats, on ne milite pour aucun syndicat. Ça me paraît normal que quand on est communiste révolutionnaire de faire au moins le travail syndical.
WSWS : Le fait que les confédérations syndicales sont à 95 pour cent financées par l’État et le patronat, ça vous inspire quelle réaction, à vous qui travaillez si intimement avec ces organisations ?
A. Laguiller : Écoutez, je crois que le problème, ce n’est pas le problème de financement. C’est sûr que ça serait plus sain si les partis, les syndicats tout le monde était financé par les cotisations des adhérents, c’est quand même vrai aussi. Mais voilà...
WSWS : A quoi attribuez-vous ce divorce entre la classe ouvrière et les syndicats ?
A. Laguiller : Je crois que pas mal de luttes ont été trahies. Il y a beaucoup de travailleurs qui ont des ressentiments via-à-vis des luttes qu’ils ont menées où finalement les syndicats ont fait reprendre alors qu’on n’avait pas obtenu satisfaction. Donc il y a tous ces ressentiments-là, et puis c’est vrai qu’on est dans une période où ce n’est pas facile, le combat syndical dans les entreprises, parce que les patrons sont à la manœuvre, créent même des syndicats à leur botte quand ils le peuvent, etc. »
WSWS : Vous avez reçu 3 millions de voix collectivement avec la LCR et d'autres partis en 2002. Comment expliquez-vous que ça n’a pas été plus facile de construire un mouvement plus large dans la classe ouvrière ?
A. Laguiller : Écoutez, en 2002, moi, j’avais fait 5,7 pour cent, Besancenot 4,3 pour cent. On a fait quasiment 10 pour cent. C’est avéré que c’était un geste électoral de la part d’un certain nombre de votants, mais que ce n’était pas une adhésion forcément totale à nos idées aux uns et aux autres. On n’a pas réussi finalement à grandir tellement et les uns et les autres après, cela c'est nos scores aux élections... je crois qu’il faut... ce n’est pas la même chose le vote, que de construire des organisations.
Interrogée sur la politique étrangère française, Laguiller a brusquement mis fin à l'entrevue : « Ecoutez franchement, faire un interview dans ces conditions, ce n’est pas terrible. Je vous ai répondu sur la Loi El Khomri ... ».
***
Laguiller n'a pas expliqué pourquoi elle répugnait à répondre à des questions sur le rôle de la classe capitaliste française dans le monde et des rapports, politiques et financiers, qu'entretient LO avec sa politique étrangère. Mais sa réponse souligne que LO n'est pas une organisation marxiste, voulant mobiliser la classe ouvrière contre l'impérialisme, mais une organisation nationaliste qui maintient généralement un silence complice sur les guerres et les crimes internationaux de Paris.
Il est de plus en plus difficile de nier l'étroite implication de LO dans la politique bourgeoise française, y compris avec les forces qui veulent imposer la Loi El Khomri. Laguiller n'a pas essayé de nier que LO travaille au sein d'organisations syndicales achetées et pilotées par le patronat, ou que LO entretient d'étroites relations avec le PS. Ses alliances électorales avec le PS, notamment aux élections municipales de 2008, sont bien connues ; Laguiller a tenté d'esquiver la question de l'importance politique de ces liens en affirmant simplement qu'Arthaud est la candidate de LO.
Le rôle d'Arthaud souligne les liens politiques étroits entre LO et le PS, car en 2012 elle a indiqué très clairement qu'elle accepterait que les voix des électeurs de LO se reportent sur Hollande, qu'elle présentait comme moins le président des riches que Sarkozy.
En mai 2012 Arthaud avait écrit : « Aucun travailleur conscient ne peut évidemment voter pour Nicolas Sarkozy, le président des riches, cet homme qui, pendant les cinq ans de son pouvoir, a été le fidèle serviteur des groupes capitalistes et des banquiers. Certains de mes électeurs, confrontés au choix pipé entre un ennemi ouvert des travailleurs et un faux ami, s’abstiendront ou voteront blanc. D’autres, pour se débarrasser de Sarkozy, voteront pour François Hollande ».
Quant aux commentaires de Laguiller sur la trahison des luttes ouvrières par les syndicats, ils sont malhonnêtes, car elle fait semblant de critiquer des trahisons qui ont été effectuées en fait par LO.
La lutte au site PSA d'Aulnay-sous-bois a été menée dans le mur par personne d'autre que le dirigeant de LO Jean-Pierre Mercier, délégué syndical porte-parole de la CGT à Aulnay et chef de campagne de Nathalie Arthaud. Mercier a aidé la CGT à isoler la lutte contre la fermeture, bloquant la mobilisation de couches plus larges de travailleurs pour sauver Aulnay, permettant au PS et a PSA de fermer le site.
Laguiller considère comme « normal », sans réelle incidence sur les intérêts défendus par les syndicats et LO que les militants de LO travaillent dans des syndicats financés par l'aristocratie financière. Cette attitude est le reflet fidèle de la psychologie de nombreux bureaucrates syndicaux et autres petits bourgeois dans les milieux de la pseudo gauche qui trouvent le plus normal du monde de se faire acheter par le patronat.
Se référant à l'élection présidentielle de 2002 et au clair vote de gauche contre le gouvernement PS de Lionel Jospin, suivi d'un deuxième tour excluant la classe ouvrière et n'offrant comme choix qu'un conservateur ou un fasciste, Laguiller exprime la nette hostilité de LO à la construction d'un mouvement socialiste révolutionnaire d'opposition au capitalisme.
Son indifférence envers le fait que 10 pour cent de l'électorat ont voté pour des candidats qu'ils considéraient comme « trotskystes » est en soi une condamnation. Dire comme le fait Laguiller que dans les conditions d'une mobilisation massive des jeunes contre la présence du FN au second tour et d'un mouvement de masse contre la guerre en Irak, il était impossible de faire quoi que ce soit, est la marque d'une organisation défendant avant tout le statu quo. Si les électeurs de LO ne s'identifiaient pas à lui, c'est tout simplement qu'ils étaient bien plus à gauche que lui.
Il n'y a rien qui fasse plus peur à cette organisation qu'un mouvement de la classe ouvrière dirigé contre le capitalisme, sa marche à la guerre et ses préparatifs de dictature, entrant en collision avec le PS, les syndicats et leurs soutiens de la pseudo-gauche. Un prochain développement de ce mouvement montrera inévitablement que LO est de l'autre côté des barricades des travailleurs.
Voir :
Entrevue avec Arlette Laguiller, dirigeante de Lutte Ouvrière, et commentaire de Peter Schwarz
[10 mai 2002]