Ce dimanche, l’Élysée a publié une déclaration du président François Hollande disant que des avions de chasse français avaient bombardé des cibles à l’intérieur de la Syrie.
Selon les premières informations des médias, ces cibles seraient des camps d’entraînement des milices de l’État islamique (EI) près de Raqqa et les frappes une extension de la campagne de bombardement lancée par les pays de l’OTAN, dont la France, contre des cibles EI en Irak. Les attaques auraient été menées par six Mirage-2000 basés en Jordanie et six Rafale basés dans les Émirats arabes unis.
Le gouvernement n’a pas fourni de détails concrets sur les cibles visées ou les pertes causées. Le communiqué de l’Élysée déclarait que la mission de bombardement était « fondée sur les renseignements collectés lors des opérations aériennes lancées il y a plus de deux semaines, en respectant notre autonomie d’action et en coordination avec nos partenaires de la coalition. »
Le communiqué contenait, dans l’affirmation que la campagne aérienne visait à protéger les civils, non seulement contre l’EI, mais « aussi contre les attentats meurtriers du président [syrienne] Bachar al-Assad, » une apparente menace d’attaquer les forces gouvernementales syriennes.
Le bombardement de la Syrie, ancienne colonie française, par la France, est un acte de guerre qui s’inscrit dans la large intensification par les principaux pouvoirs impérialistes de la guerre de changement de régime par procuration lancée en 2011 et où ils se sont servis de milices islamistes armées et financées par eux. L’escalade aggravera l’effusion de sang et accentuera la crise désespérée des millions de réfugiés syriens qui fuient vers d’autres pays, au Moyen-Orient et en Europe.
Les arguments présentés au public par le gouvernement français du Parti socialiste (PS) pour justifier cette agression, affirmant qu’elle fait partie d’une « guerre contre la terreur » visant les islamistes d’Al-Qaïda en Syrie, sont un tissu de mensonges. Parlant de l’EI par son acronyme arabe, Daesh, le Premier ministre français, Manuel Valls, a déclaré : « Nous frappons Daesh parce que cette organisation terroriste prépare des frappes sur la France depuis la Syrie... Nous avons donc agi en légitime défense. »
L’argument que la France exerce son droit d’autodéfense en bombardant la Syrie, un pays dont le gouvernement n’a pas attaqué la France ou n’importe lequel de ses alliés, est clairement faux. Quant à l’affirmation que la France se bat contre le terrorisme en Syrie, il est directement contredit par les positions officielles du gouvernement français, qui a utilisé les milices terroristes islamistes dans la poursuite de son agenda plus général de renverser Assad et d’installer un régime néocolonial et pro-OTAN en Syrie.
L’an dernier, quand la France a bombardé des positions de l’EI en Irak, les responsables français ont refusé de cibler les forces de l’EI en Syrie, affirmant qu’affaiblir ce dernier renforcerait le régime d’Assad. La conclusion inéluctable de cette déclaration est que Paris, comme les émirats pétroliers du Golfe et les milieux politiques influents de Washington, supportait l’EI en tant que force par procuration pour détruire le régime Assad.
Les responsables français ont décidé de cibler les forces de l’EI en Syrie même, après l’attaque terroriste d’un homme qui aurait été formé par l’EI, et déjouée en août dans un train Thalys. Mais Paris continue de soutenir des groupes terroristes islamistes en Syrie. Le Monde citait dimanche les assurances officieuses de responsables français que, si les avions français attaquaient à présent les positions de l’EI, ils ne bombarderaient pas le Front al-Nusra, que Paris et Washington voient comme un allié, malgré qu’il soit classé comme groupe lié à Al Qaeda par le gouvernement américain.
Le 18 septembre, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a précisé que la France accepterait de bombarder des cibles de l’EI seulement tant que cela ne nuirait pas à l’agenda plus large du PS d’un changement de régime visant Assad. Il a dit que des frappes aériennes contre l’EI pouvaient être envisagées, puisque « le périmètre contrôlé par les forces fidèles à Bachar [al-Assad] a diminué et aujourd’hui, frappant Daesh ne signifie plus militairement aider Bachar. »
La proposition faite par des fonctionnaires européens et américains d’une escalade militaire renouvelée en Syrie témoigne de l’indifférence totale des élites dirigeantes pour les souffrances des millions de réfugiés syriens et l’irresponsabilité des grands pouvoirs impérialistes qui risquent une guerre totale au Moyen-Orient.
En février, Hollande avait averti que la France et ses alliés de l’OTAN risquaient un affrontement militaire et une « guerre totale » avec la Russie. Il soutenait alors l’accord de paix, voulu par l’Allemagne, entre le gouvernement ukrainien soutenu par l’OTAN et les séparatistes soutenus par la Russie en Ukraine orientale. Malgré cet avertissement qui soulevait le spectre d’une troisième guerre mondiale, nucléaire, voilà Hollande poursuivant, quelques mois plus tard, une politique qui menace de causer, en Syrie, un conflit militaire avec la Russie, principal soutien international du régime Assad.
Moscou renforce une base aérienne près de la ville portuaire syrienne de Lattaquié. Il y aurait déployé au moins 30 avions de chasse et se préparait à mener ses propres frappes aériennes contre des cibles de l’EI, en appui au régime Assad. Ce dernier continuant vraisemblablement d’effectuer des frappes aériennes contre des cibles de l’EI près de Raqqa, il semble bien que les jets français vont se battre dans un espace aérien patrouillé par des avions de guerre syriens et russes.
Les hostilités pourraient facilement dégénérer entre avions russes et français, américains, ou ceux d’autres pays impérialistes en train de bombarder la Syrie. En même temps, l’OTAN et les forces russes ont étendu leurs capacités militaires et niveaux d’alerte à travers l’Europe de l’Est depuis l’éruption de la guerre civile en Ukraine déclenchée par le coup d’État de Kiev soutenu l’an dernier par l’OTAN.
Dans ce contexte international explosif, les responsables et les médias français prennent des positions agressives qui menacent les forces russes et syriennes. Parlant au journal Le Monde dimanche, Le Drian a promis qu’il n’y aurait pas d’échange d’informations entre autorités françaises, russes et syriennes sur les mesures prises par l’Armée de l’air française en Syrie. Le Monde fait ce commentaire, « les avions de chasse de la Russie, comme de la Syrie, ne seront pas sélectionnés en tant que cibles tant qu’ils ne procèdent pas à des attaques contre les avions de la coalition anti-EI. »
Les implications de cette déclaration sont stupéfiantes. Avec le soutien de ses alliés de l’OTAN, la France lance des opérations militaires tout en sachant qu’elles pourraient entraîner des combats entre avions de chasse français, russes et syriens. Personne n’a demandé au gouvernement PS si les avions de combat français étaient prêts à commencer une guerre avec la Russie en tirant sur ses avions ou jusqu’où les responsables français et de l’OTAN pensaient qu’un conflit avec la Russie irait.
Ces dernières semaines, il y eut une série de discussions de haut niveau entre les États-Unis, les responsables européens, russes et israéliens pour tenter de coordonner leurs politiques et d’éviter que leurs forces s’attaquent mutuellement, alors que tous intensifient leurs opérations militaires en Syrie. Le président russe Vladimir Poutine, qui devait avoir des entretiens avec des responsables américains à l’ONU hier et ira à Paris pour des entretiens sur la Syrie et l’Ukraine plus tard cette semaine, a signalé que la Russie pourrait envisager un accord de paix avec l’opposition islamiste de la Syrie, qui conduirait finalement à une démission d’Assad.
De tels pourparlers cyniques ne fournissent aucune garantie contre l’éruption d’un conflit catastrophique. En 1999, quand les troupes russes et de l’OTAN sont intervenues conjointement au Kosovo pendant les bombardements de la Serbie par l’OTAN, le commandant de l’OTAN, le général américain Wesley Clark, a ordonné une attaque contre des forces russes arrivant à l’aéroport de Pristina. Seule la décision des subordonnés européens de Clark de désobéir à son ordre a évité une guerre entre grandes puissances dans les Balkans. Comme le montrent les déclarations de Hollande, il est beaucoup moins sûr que des officiers européens refusent un tel ordre aujourd’hui.
(Article paru d'abord en anglais le 28 septembre 2015)