De grandes manifestations ont eu lieu à Tokyo dimanche contre la législation militaire débattue dans la Chambre haute (Diète) de la législature japonaise. C'est un signe du sentiment anti-guerre très répandu au Japon et de l'opposition au soutien du Premier ministre Shinzo Abe pour la poussée guerrière des États-Unis contre la Chine.
Des dizaines de milliers de personnes ont défilé devant la Diète. Selon les organisateurs, il y avait 120.000 manifestants. Environ 200 rassemblements plus petits se sont produits à travers le Japon. A Osaka, 25.000 personnes se sont rassemblées pour dénoncer le projet de loi et le gouvernement Abe.
Divers groupes ont organisé la manifestation. Certains ont des liens avec les partis d'opposition, tel le Parti démocratique du Japon (PDJ). Les manifestants ont porté des pancartes et ont scandé des slogans dont « La paix, pas la guerre », « Supprimez les lois maintenant » et « Abe dégage »!
La législation est composée de deux projets de loi. L'un permettrait au gouvernement de mobiliser les Forces d'autodéfense sans faire adopter une loi spéciale ou des prolongement réguliers par la Diète. L'autre projet de loi comporte 10 révisions de lois actuelles, qui permettraient au Japon de fournir un soutien militaire à un allié, tel les États-Unis.
Le Japon pourrait donc participer à des guerres américaines, notamment contre la Chine. Washingon encourage Tokyo à se remilitariser dans le cadre de son «pivot vers l'Asie», une stratégie visant à saper l'influence chinoise dans la région et à encercler la Chine militairement. L'impérialisme japonais en profite pour se libérer des restrictions imposées après la Seconde Guerre mondiale aux forces armées japonaises afin de poursuivre agressivement ses intérêts.
Les chefs du PDJ, Katsuya Okada, et du Parti communiste japonais (PCJ), Kazuo Shii, ont pris la parole lors de la manifestation pour critiquer le militarisme d'Abe. « Le gouvernement Abe doit comprendre que les citoyens ordinaires sont conscients qu'il y a crise et sont en colère », a déclaré Okada. Shii a dit : «Nous allons certainement mettre fin à ces projets de loi en développant la campagne à travers le Japon".
Cependant, toute la classe politique s'est alignée d'une manière ou d'une autre sur la position des Etats-Unis contre la Chine. Au pouvoir en 2012, le PDJ a « nationalisé » les îles contestées Senkaku/Diaoyu afin de contrarier Pékin. À l'époque, le PCJ a critiqué le DPJ depuis la droite, parce qu'il n'avait pas affirmé de manière suffisamment agressive les droits du Japon sur les îles. Le PCJ a reproché à la Chine de créer des tensions régionales.
Les manifestations anti-guerre ne cessent de croître en nombre depuis que la législation militaire a été votée à la chambre basse en mai. Elles attirent un large éventail de la population. Des Japonais âgés qui se souviennent des horreurs de la Seconde Guerre mondiale ont rejoint les protestations, aux côtes des jeunes et des étudiants qui ont été généralement marginalisés de la vie politique.
Michio Yamada a raconté au Japan Times son expérience du bombardement incendiaire de Tokyo par les Etats-Unis en 1945. « Vu l'avance des technologies (au cours des sept dernières décennies), la guerre serait sans doute encore plus mortelle qu'auparavant », a-t-il dit. « En cette ère d'armes nucléaires, on ne sait jamais ce que sera le taux de mortalité. Le danger est beaucoup plus grand qu'auparavant. On ne doit jamais permettre que cela se reproduise ».
De nombreux participants ont dit que leur opposition à la guerre les poussait à participer à leur première manifestation. « Je pense qu'un nombre croissant de gens comme moi se rendent compte que la situation n'a fait que s'empirer sous M. Abe », a déclaré à l'AP Etsuko Matsuda, âgé de 40 ans. « J'espère que plus de gens seront intéressés par la politique et s'exprimeront ».
De nouvelles organisations se forment, dont les Mères contre la guerre, fondée en juillet et qui a recueilli 20.000 signatures d'opposition à la législation militaire d'Abe. Une collégienne de 14 ans qui a manifesté aux côtés de sa mère a déclaré: « Je n'ai pas le droit de voter, mais je ne veux pas voir la loi adoptée parce que je veux que la paix continue au Japon ».
Un autre groupe, le Comité anti-guerre 1.000, a recueilli 1.650.000 signatures contre la législation. Les étudiants d'action d'urgence pour une démocratie libérale, formé en réaction à la loi sur le secret d'Etat adoptée en décembre 2013, prennent aussi place dans les cortèges.
Beaucoup d'avocats ont rappelé que la législation militaire est inconstitutionnelle, car elle contrevient à l'article 9 de la constitution japonaise qui renonce formellement à la guerre et déclare que le Japon ne maintiendrait jamais plus de forces armées.
Abe a choisi de "réinterpréter" la Constitution l'année dernière, sachant très bien qu'un amendement, qui nécessite un référendum national, serait presque certainement vaincu. Environ 60 pour cent des sondés d'un sondage récent étaient catégoriquement opposés à la législation sécuritaire, alors que plus de 80 pour cent de la population exprimait des réserves.
Cette hostilité aux nouvelles lois reflète le sentiment anti-guerre profondément enraciné au Japon, surtout dans la classe ouvrière. En 1960, des manifestations de masse ont éclaté contre la signature d'un traité de sécurité qui permettait le maintien permanent de bases militaires américaines au Japon et engageait le Japon comme allié des USA. Les manifestations ont forcé l'annulation d'une visite au Japon par le président américain Eisenhower. L'armée américaine a dû envoyer un hélicoptère pour secourir l'ambassadeur des États-Unis, dont la voiture était entourée de manifestants.
Quand le traité a finalement été ratifié, le Premier ministre japonais Nobusuke Kishi s'est senti obligé de démissionner. Après la Seconde Guerre mondiale, il avait été soupçonné de crimes de guerre et emprisonné. C'était un responsable du régime fantoche japonais en Mandchourie et ministre du Cabinet de guerre du ministre Hideki Tojo. Abe, le petit-fils de Kishi, a déclaré à plusieurs reprises son admiration pour Kishi.
(Article paru le 31 août 2015)