L’afflux soudain de réfugiés désespérés venus du Moyen-Orient et tentant de se rendre en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe de l’Ouest a été accueilli par une vague de sympathie populaire, un flot de dons et de propositions d’héberger les migrants.
La sympathie exprimée envers les milliers de gens qui fuient les conséquences de la dévastation en Syrie et dans d’autres pays, soutenue par l’impérialisme, a suscité l’inquiétude au sein de l’élite dirigeante allemande. C’est à juste titre qu’elle considère ces manifestations de sympathie, même spontanée et politiquement peu développée, comme une menace à son impitoyable politique de guerre, d’attaques des programmes sociaux et de répression intérieure.
Si la chancelière Angela Merkel s’efforce de dissimuler sa politique droitière derrière une sympathie simulée à l’égard des réfugiés, les appels réclamant une campagne ouvertement xénophobe se multiplient.
Le politologue Herfried Münkler figure parmi ceux qui lancent de tels appels. Dans un article d’opinion du Süddeutsche Zeitung vendredi, Münkler exige une campagne anti-réfugiés destinée a créer un resserrement de la politique d’asile et justifie de nouvelles guerres au Moyen-Orient et l’expansion de la coopération avec les dictatures les plus sanguinaires. Ses intentions sont sans équivoques même s’il formule ses tirades dans un jargon pseudo-professionnel, répulsif.
Le professeur de l’université Humboldt débute par l’affirmation totalement vide de sens comme quoi les réfugiés provoquent une crainte diffuse parmi de vastes sections de la population allemande. Il attribue une telle peur non seulement à ceux qui tiennent des discours haineux mais aussi à ceux qui apportent de l’aide aux réfugiés. Münkler accuse les travailleurs humanitaires de « se débarrasser [de leur peur] par l’ouvrage ».
Selon Münkler, la raison de cette peur réside dans une politique d’asile prétendument laxiste : « Les uns ont naïvement cru que le nombre de réfugiés baisserait tout seul ; les autres ont érigé des panneaux d’interdiction moralisants pour faire obstacle à tout débat sur la manière de traiter ce problème. »
Le message est clair. Alors que des pays entiers du Moyen-Orient sont bombardés et mis en ruines par les puissances de l’OTAN, que des dizaines de milliers de réfugiés meurent aux frontières de l’Europe et que les demandeurs d’asile sont entassés en Allemagne dans des camps ignobles et sont même torturés, le professeur veut supprimer les « panneaux d’interdiction moralisants » pour régler le « problème. »
Par ce discours inhumain, Münkler encourage les demandes pour un resserrement drastique des lois d’asile. Mardi, le ministère de l’Intérieur a introduit un amendement constitutionnel qui retirerait les protections sociales et limiterait davantage le droit fondamental à l’asile établi de longue date.
Münkler toutefois, ne souhaite pas simplement resserrer la politique relative aux réfugiés. Il est pour se servir de la question des réfugiés pour faire voter toute une série de mesures politiques réactionnaires.
C’est à cette fin que Münkler a adopté son concept de « crainte diffuse ». Pour surmonter cette peur, il ne propose pas par exemple une clarification des problèmes ou un rejet de la propagande droitière. Au contraire, il exige la transformation de la crainte diffuse à l’égard des réfugiés en peur « qui soit tournée vers une menace ou un danger précis. » Selon lui, c’est sur cette base que pourront être prises des mesures pour contrer les causes premières de la crainte.
Le professeur suggère d’abord l’existence d’une peur générale qu’il cherche ensuite à transformer en crainte concrète du soi-disant problème des réfugiés. Ce que Münkler développe grâce à ses formulations sophistiquées et à sa psychologie de bas étage se résume à la vieille stratégie ressassée qui fait des migrants les boucs émissaires pour des problèmes sociaux fondamentaux.
Münkler est explicite à cet égard. Pour lui, la « période de calme en Allemagne » est révolue, non « parce que le capitalisme mondial est en train de ruiner économiquement les couches moyennes » (ce qu’une récente étude vient de confirmer), mais à cause de la « crainte des réfugiés » !
Münkler a exprimé sa pensée sur le sujet dans une interview accordée vendredi dernier à la chaîne d’informations Deutsche Welle. Il a expliqué que le manque d’intégration des réfugiés était à la base de la peur montante. Selon Münkler, la « population autochtone, ou les soi-disant Bio-Allemands » (textuellement: « Bio-Deutschen ») n’accepteront pas indéfiniment les immigrés si ceux-ci ne s’adaptent pas à « l’éthique de travail d’une société de l’Europe centrale. »
Jusqu’à récemment l’on ne lisait de telles choses que dans les torchons droitiers comme Junge Freiheit. Münkler déclare ici que par rapport aux « Bio-Deutschen, » les immigrés de certaines régions devraient être considérés comme un genre de racaille qui rechigne à la besogne, que l’on fait travailler ou dont on se débarrasse. Autrement, prédit Münkler, il y aura des « conséquences dramatiques. »
Ce point de vue raciste est tout particulièrement répugnant lorsqu’on regarde l’histoire de « l’éthique de travail de l’Europe centrale » à laquelle Münkler fait référence. Le professeur sait sans aucun doute qu’en juin 1938 les nazis ont utilisé des arguments identiques dans leur campagne contre le « Reich qui ne veut pas travailler » où plus de 10.000 jeunes gens, calomniés en tant qu’asociaux et fainéants, furent envoyés dans des camps de concentration.
Münkler veut transformer la peur qu’il s’efforce de créer en quelque chose d’efficace pour une politique étrangère plus agressive. Münkler est maintenant d’avis que c’était une grave erreur que de ne pas avoir tout de suite fourni un soutien militaire à l’armée syrienne libre (FSA) dans la lutte contre le régime de Bachar al-Assad. Selon lui, ceci a entraîné une flambée du nombre des réfugiés.
En réalité c’est la FSA qui, avec l’appui de l’Allemagne et des Etats-Unis, a déclenché la guerre civile qui a conduit à la déstabilisation du pays tout entier. Derrière le soutien de la FSA, tout comme pour la guerre en Irak et l’intervention en Libye, il y a les intérêts de l’impérialisme. Münkler est résolu à voir ces intérêts défendus par tous les moyens nécessaires.
Ce serait « politiquement stupide » de ne pas coopérer « avec des partenaires très déplaisants », a-t-il dit à l’antenne de Deutsche Welle. Münkler estime que le régime en Iran, la brutale monarchie d’Arabie saoudite et même la dictature sanguinaire d’al-Sissi en Egypte pourraient rendre à l’Allemagne de très bons services. »
La promotion par Münkler de la guerre et de la dictature n’a rien de neuf. Dans un article écrit en mai 2014 pour le ministère allemand des Affaires étrangères, il avait réclamé une politique étrangère orientée moins vers les valeurs de l’Allemagne et plus vers ses intérêts. Il a écrit que la « vulnérabilité démocratique » de la politique allemande ne pourrait être surmontée que par une campagne offensive pour ces intérêts.
A l’époque, le professeur avait déjà commencé à attiser la peur des réfugiés. Il avait écrit, « Au vingt-et-unième siècle, le plus grand défi à la sécurité nationale ne viendra pas de forces militaires hostiles menaçant nos frontières, mais de leur franchissement par d’énormes vagues de réfugiés. Une telle éruption massive ne servira pas la prospérité économique de l’Europe mais malmènera les systèmes de protection sociale des pays européens et mettra en cause l’ordre social. »
Lorsque des groupes d’étudiants, Münkler-Watch et les Etudiants et jeunes internationalistes pour l’égalité sociale (EJIES), ont critiqué les positions du professeur comme étant militaristes et hostiles aux réfugiés, ils furent farouchement attaqués dans les médias. Les critiques furent qualifiées d’infondées et les étudiants de cinglés.
A présent, Münkler adopte ouvertement les positions de l’extrême droite et propage des théories racistes sur les étrangers fainéants. Tant Deutsche Welle que Süddeutsche Zeitung, tous deux financés par des fonds publics et qui avaient comparé Münkler-Watch au mouvement d’extrême droite Pegida, publient cette saleté sans le moindre commentaire.
(Article original paru le 5 septembre 2015)