Au milieu d’une activité diplomatique débordante concernant un possible règlement politique en Syrie, l’administration Obama signale son intention d’intensifier l’action militaire des États-Unis tant en Syrie qu’en Irak.
Le 23 octobre – jour d’une réunion peu concluante à Vienne sur la guerre civile en Syrie entre le secrétaire d’État américain John Kerry et les ministres des Affaires étrangères russe, saoudien et turc – le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter a annoncé aux journalistes davantage d’actions de combat des Etats-Unis, comme celle ayant entraîné la veille la première mort depuis 2011 d’un soldat américain en Irak.
Le 22 octobre, les forces spéciales américaines avaient participé à l’attaque conjointe, avec des peshmergas kurdes, d’une installation de l’État islamique (EI) près de Kirkouk dans le nord de l’Irak. Le maître-sergent Joshua Wheeler a été tué, selon les assertions du Pentagone, dans une action réussie visant à libérer 70 prisonniers de l’EI. L’attaque avait été la première opération de combat américaine reconnue publiquement depuis que Washington a lancé sa nouvelle guerre en Irak, ostensiblement contre l’EI, en juin 2014.
L’opération et la mort de Wheeler ont fait éclater l’affirmation répétée du président Obama que l’intervention américaine en Irak ne comprendrait pas d’actions de combat américaines directes. Mais Carter, loin de présenter l’incident de Kirkouk comme une aberration, a défendu l’opération inconditionnellement et en a profité pour affirmer l’intention de l’armée américaine d’intensifier ses opérations en Irak.
« Il y aura davantage de raids », a dit Carter le 23 octobre à la conférence de presse du Pentagone. Confirmant des informations qu’il avait personnellement autorisé le raid, il a ajouté que les forces américaines « allaient s’exposer aux dangers, cela ne fait pas de doute. » En outre, les États-Unis étaient « engagés à améliorer le soutien qu’[ils] fournissent » aux forces anti-EI en Irak.
Un porte-parole de la Maison-Blanche a lui aussi défendu le raid, affirmant qu’il était « compatible avec notre mission de former, conseiller et assister les forces irakiennes. »
La défense par Carter de l’opération de combat de jeudi dernier cadre avec d’autres développements indiquant un engagement militaire intensifié des États-Unis en Irak, au-delà de l’actuelle campagne de frappes aériennes contre l’EI. Le chef d’état-major de l’armée américaine, le général Joe Dunford, a déclaré, après avoir visité l’Irak la semaine dernière, qu’il était temps d’y « ouvrir l’entrée » dans les opérations militaires.
Le mois dernier, Carter avait mis en place le lieutenant-général Sean MacFarland pour superviser les opérations en Irak et en Syrie, en remplacement de trois officiers responsables des différents aspects de la campagne militaire dans les deux pays.
La semaine dernière, le New York Times publiait un article s’appuyant sur des fuites de hauts responsables de l’administration Obama indiquant que le secrétaire d’État Kerry et d’autres font pression pour que les États-Unis établissent des zones d’exclusion aérienne en Syrie sous prétexte de protéger la population civile. Selon ce journal, Carter et le Pentagone résistent à une telle démarche, avertissant qu’elle entrainerait un déploiement important de forces américaines et pouvait facilement conduire à un conflit direct avec l’aviation russe qui effectue des bombardements intensifs contre les forces « rebelles » anti-Assad dans le nord et l’ouest du pays.
L’initiative d’intensifier leur intervention militaire en Irak et en Syrie est largement dictée par l’inquiétude des Etats-Unis devant l’accroissement de l’influence russe dans ces deux pays et le reste du Moyen-Orient. Elle suit la décision de Moscou, fin septembre, de bombarder les milices islamistes, dont les forces liées à al-Qaïda et soutenues par la CIA se battant pour renverser le président syrien Assad, seul allié arabe de la Russie au Moyen-Orient. La Russie est intervenue pour protéger sa seule base militaire hors des frontières de l’ex-Union soviétique, la base aérienne de Tartous, et les pipelines et gazoducs cruciaux pour les oligarques représentés par le régime du président Poutine.
Pour les États-Unis, la guerre contre l’EI a toujours été subordonnée à leur détermination à renverser Assad et à installer une marionnette à la tête du gouvernement syrien. C’est une considération essentielle pour l’impérialisme américain qui veut établir son hégémonie sur un Moyen-Orient riche en pétrole.
Les 25 années ou presque d’agression militaire américaine dans la région, inaugurées par la première guerre du Golfe en 1991, ont débouché sur une débâcle pour les États-Unis. Le régime fantoche afghan est assiégé par les talibans, ce qui a poussé Obama a revenir sur sa promesse de retrait de toutes les troupes américaines d’ici la fin de l’année; la Libye s’est désintégrée à la suite de la guerre menée par les États-Unis pour renverser et assassiner Mouammar Kadhafi; Washington a échoué jusqu’ici à déloger Assad; et le gouvernement installé en Irak s’aligne de plus en plus ouvertement sur l’Iran et est en train de basculer du côté de la Russie.
L'ambassadeur d'Irak aux États-Unis, Lukman Faily, a récemment dit à CNN que le gouvernement dominé par les chiites à Bagdad accueillerait les efforts russes pour « compléter la lutte que nous avons contre l'EI. » Un chef chiite irakien important, Hakim al-Zamili, a déclaré à Reuters plus tôt ce mois-ci, « Au cours des prochains jours ou semaines, je pense que l'Irak sera obligé de demander à la Russie de lancer des frappes aériennes, et cela dépend de leur succès en Syrie. »
Il a ajouté : « Nous voulons que la Russie joue un rôle plus important en Irak. Oui, sans aucun doute un rôle plus important que les Américains. »
Le 23 octobre, la Russie a annoncé un accord avec la Jordanie, un allié clé des États-Unis, pour coordonner des opérations militaires en Syrie.
Le même jour, la Maison-Blanche a officiellement annoncé le départ du général John R. Allen, nommé l’an dernier par Obama pour être la cheville ouvrière de la guerre contre l’EI. Cet officier de marine à la retraite, ancien commandant de la coalition dirigée par les Etats-Unis en Afghanistan, démissionnera à la mi-novembre et sera remplacé par Brett McGurk, son adjoint au département d’État. Le New York Times qui a rapporté l’annonce, a noté d’un ton neutre qu’il existait des différences entre le Pentagone et le Département d’État sur la politique des États-Unis en Syrie. .
Les divisions déjà existantes dans l’État et l’establishment américain de la politique étrangère ont été fortement aggravées par l’intervention militaire russe en Syrie. Les députés républicains du Congrès, tous les candidats républicains à l’élection présidentielle de 2016, des responsables militaires et des renseignements à la retraite et une partie de la direction démocrate ont dénoncé la politique de l’administration Obama comme insuffisamment agressive et ont exigé une escalade majeure à la fois contre Assad et contre la Russie. La plupart appellent à la création de zones d’exclusion aérienne en Syrie et certains exigent une extension majeure de la présence de troupes américaines dans la région.
Parmi ces critiques figurent l’ancien commandant des forces américaines en Irak et ex-directeur de la CIA, David Petraeus, et la rédaction de journaux comme le Wall Street Journal et le Washington Post. En fait partie également la principale candidate à l’investiture démocrate à la présidentielle, l’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton qui appelle à la création de soi-disant « zones de sécurité » en Syrie.
En face, il y a des personnalités politiques ayant récemment fait savoir par la presse qu’elles étaient pour que l’Administration laisse tomber l’exigence d’une destitution d’Assad et recherche un arrangement tant avec lui qu’avec le président russe. Parmi elles il y a l’ancien président Jimmy Carter qui a publié la semaine dernière dans le New York Times un article en faveur d’un « plan des cinq nations » pour mettre fin à la guerre civile syrienne et qui engagerait à la fois la Russie et l’Iran dans un processus de transition facilitant un départ d’Assad du pouvoir et l’installation d’un successeur mutuellement acceptable.
Henry Kissinger a publié un commentaire similaire plus tôt ce mois-ci, intitulé « Un chemin qui permet de sortir de l’effondrement au Moyen-Orient », qui appelle à un compromis avec la Russie et avec Assad.
La réunion des ministres des Affaires étrangères américain, russe, saoudien et turc à Vienne vendredi a pris fin sans accord sur la question clé de l’avenir d’Assad. Washington et Riyad continuent d’insister pour que tout règlement se fonde sur un accord qu’Assad parte, tandis que Moscou, sans exclure un départ d’Assad, refuse d’en faire une condition préalable.
Tant Kerry que le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov ont néanmoins qualifié les discussions de positives et ont convenu d’une nouvelle réunion, avec un plus grand nombre de participants, dès cette semaine. La Russie, l’Irak et l’Union européenne insistent pour que l’Iran soit parmi les nations invitées, mais Kerry a jugé cela irrecevable pour l’instant.
Il y a aussi des signes que Moscou est peut-être en train de faire pression pour qu’Assad quitte ses fonctions. La semaine dernière, Assad a été appelé à Moscou pour des discussions intensives et depuis Lavrov et d’autres responsables russes ont appelé à des élections législatives et présidentielles anticipées en Syrie qui se tiendraient l’an prochain.
Mais quelles que soient les manœuvres diplomatiques, l’impérialisme américain n’est pas prêt à accepter d’être délogé de sa position dominante au Moyen-Orient. Sa politique militariste et criminelle a produit une catastrophe pour les peuples de la région (des centaines de milliers voire des millions ont été tués, plusieurs millions d’autres transformés en réfugiés) sans pour autant réaliser les objectifs prédateurs de ses guerres.
Les prétextes mensongers utilisés pour justifier les guerres – la prétendue guerre contre le terrorisme, la menace des armes de destruction massive, les droits de l’homme, la démocratie – ont tous été entièrement démasqués et discrédités. Aujourd’hui, Washington est ouvertement allié, dans la guerre pour le changement de régime contre Assad, avec la filiale d’Al-Qaïda en Syrie, le Front al-Nusra, que le Département d’État américain a lui-même désigné comme une organisation terroriste étrangère.
Livrée à elle-même, la classe dirigeante américaine va inévitablement répondre à l’aggravation de sa crise au Moyen-Orient en intensifiant la violence militaire et la subversion, augmentant ainsi le risque de guerre avec une Russie puissance nucléaire. D’autant plus urgent est la construction d’un mouvement international de la classe ouvrière contre la guerre impérialiste et le système capitaliste qui la produit.
(Article paru d'abord en anglais le 26 octobre 2015)