Selon la presse de jeudi, les fabricants de médicaments Allergan et Pfizer sont à un stade avancé de négociations pour fusionner et former la plus grande société pharmaceutique au monde, un géant de 330 milliards de dollars qui sera basé en Irlande et ne payera quasiment pas d’impôt sur le revenu.
La fusion, qui serait la plus grande à ce jour cette année, est la dernière d'une vague de
fusions-acquisitions d'entreprises qui devraient faire de 2015 une année record pour les rachats d'entreprises, éclipsant les $3.4 billions de transactions effectuées en 2007, l'année avant le krach de Wall Street.
L'annonce à propos d’Allergan-Pfizer suit d’un jour celle concernant la chaîne de pharmacies Walgreens et les plans de rachat de son concurrent Rite Aid, une transaction évaluée à $17,2 milliards. La nouvelle société contrôlerait 41 pour cent du marché pharmaceutique des États-Unis et son concurrent CVS 58 pour cent. Toutes les autres sociétés ne feraient ensemble que 0,6 pour cent du marché.
Ce n'est là que la dernière dans une année record de fusions du secteur des soins, dont le rachat de 54,2 milliards de dollars de l'assureur de santé Cigna par son rival Anthem, et celui de Humana par Aetna au coût de $37 milliards. En conséquence de ces fusions, les cinq plus grands assureurs de santé aux États-Unis ont été regroupés en trois en quelques semaines.
Un motif central des fusions Walgreens/Rite Aid et Allergan/Pfizer était d'accroître la capacité de fixer les prix en monopolisant davantage le marché. La transformation du marché pharmaceutique des États-Unis en un duopole aura un impact spectaculaire sur la hausse des prix des médicaments pour les consommateurs.
La monopolisation croissante du domaine des soins a contribué à la flambée des coûts aux États-Unis. En 2013, la dernière année pour laquelle des données sont disponibles, le prix des meilleurs médicaments de marque sur ordonnance a augmenté de 12,9 pour cent, huit fois plus vite que le taux d'inflation.
Ces fusions, loin d'exprimer la santé économique et le «dynamisme», reflètent la pourriture économique au cœur du capitalisme mondial. Les fusions record de 2015 vont de pair avec le plus bas niveau de croissance de l’économie mondiale depuis 2008-2009.
Dans un sens très immédiat, ces fusions sont la réponse des grandes sociétés, poussées par l’exigence de Wall Street de paiements toujours plus grands, aux conditions de demande affaiblie dans un contexte de récession mondiale et d’effondrement du revenu des travailleurs.
La vague des fusions, accompagnée de rachats d'actions record et d'autres activités toutes parasitaires, sont facilitées par la politique des grandes banques centrales, Réserve fédérale américaine en tête, qui ont maintenu des taux d'intérêt proche de zéro et injecté des milliards de dollars dans les marchés financiers par le biais d'achats d'obligations, qualifiées d’«assouplissement quantitatif».
Loin d'utiliser ces fonds injectés dans le système financier pour l'investissement productif, les grandes entreprises sont assises sur des réserves record de 1.4 milliards de dollars, dont elles se servent pour le rachat d'actions (gonflant les prix des actions et les portefeuilles des riches et super-riches), pour augmenter la rémunération des dirigeants et pour des fusions-acquisitions.
Les fusions, tout en générant des profits juteux pour les investisseurs et des gains énormes pour les dirigeants d'entreprises, conduisent généralement à des licenciements, des réductions de salaires, des accélérations de cadences et des fermeture d'usines et de magasins. Ce parasitisme financier est la façon dont le capital financier augmente les profits en cannibalisant les forces productives de la société.
Si ces procédures se sont accélérées dans la foulée de la crise financière de 2008, elles ont cours depuis des décennies, avec comme résultat une catastrophe sociale pour une partie toujours plus importante de la classe ouvrière. Des millions de travailleurs américains ont été réduits à un état de semi-pénurie; 40 pour cent gagnent moins de $20 000 par an.
Une misère sociale abjecte côtoie une richesse fantastique. Pour ne citer qu'un exemple, le fonds spéculatif du magnat Kenneth Griffin, Citadel LLC, basé à Chicago, a engrangé $1,3 milliard l'an dernier et s'est lancé dans une frénésie d'achats immobiliers, prodiguant quelque $300 millions pour des propriétés dans trois villes, y compris trois étages entiers de la tour d'appartements en construction à 220 Central Park South, achetés pour $200 millions, un record pour l’immobilier à New York.
La vie économique et politique, des Etats-Unis comme du monde, est dominée par l’oligarchie financière parasitaire et assoiffée d'argent incarnée par Griffin. La politique des banques centrales et des principaux gouvernements capitalistes a eu pour seul but de protéger et d'accroître la richesse de cette élite financière et de subventionner son pillage, au profit de fortunes personnelles, des ressources de l’Homme dans le monde entier.
Ce sont là des caractéristiques que Lénine avait déjà identifiées à un stade bien plus précoce de leur développement. Dans son œuvre maîtresse de 1917, L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme, il explique que la tendance au parasitisme financier, le monopole, la dictature et la guerre ne sont pas simplement le résultat d’une politique subjective choisie par les dirigeants politiques, mais l'expression de tendances fondamentales du capitalisme dans sa période de décadence et de morbidité.
Lénine écrit, « La réaction politique sur toute la ligne est le propre de l'impérialisme », définie par la « vénalité, corruption dans des proportions gigantesques, panamas de tous genres ». La domination des banques sur tous les aspects de la vie sociale trouve son expression politique dans l'érosion des droits démocratiques à l'intérieur. « Le capital financier veut non pas la liberté, mais la domination ».
Il y a un lien entre le caractère criminel de cette aristocratie financière et le caractère criminel de la politique étrangère. La guerre contre les travailleurs américains à l'intérieur reflète les guerres de rapine lancées par les Etats-Unis contre les peuples du Moyen-Orient et d'Afrique. Habituée à spéculer pour accumuler ses milliards, l'élite financière a recours, dans sa politique internationale, à la « prise de risque » géopolitique et à l'irresponsabilité meurtrière.
Mais le corollaire de la théorie de Lénine, dont l'histoire ultérieure du 20e et du 21e siècle a fait la preuve, est que l'impérialisme est l'époque non seulement de la réaction et de la guerre, mais aussi de la révolution. A présent où ces caractéristiques fondamentales du capitalisme s'expriment sous leur forme la plus accomplie, l'aggravation des antagonismes de classe conduira inévitablement à des soulèvements révolutionnaires.
(Article paru en anglais le 30 octobre 2015)