Dans un article de perspective (2014-2015: Bilan et perspectives) publié au début de 2015, le World Socialist Web Site commentait ainsi la fréquence des crises secouant le système capitaliste mondial. « Les intervalles ‘pacifiques’ entre l’éruption de crises majeures – géopolitiques, économiques et sociales – sont devenus courts au point de ne pouvoir être qualifiés d’intervalles », écrivions-nous. « Les crises n’apparaissent cependant pas comme des ‘épisodes’ isolés, mais comme des traits essentiellement permanents de la réalité contemporaine ».
Alors que le monde entre dans la dernière période de 2015, on peut dire que non seulement la fréquence, mais aussi l'intensité des crises atteignent un nouveau point d'inflexion. La nécessité de résoudre la crise de la direction révolutionnaire se pose avec une urgence de plus en plus grande.
L'économie mondiale reste embourbée dans les contradictions qui ont, il y a sept ans, éclaté à sa surface. La politique par laquelle la classe dirigeante a répondu au krach de Wall Street est dans l’impasse. L'argent avec lequel on a inondé les marchés financiers a créé des bulles boursières sans produire aucune croissance économique significative. Pourtant, toute initiative visant à freiner la politique d'argent facile de la Réserve fédérale et d'autres banques centrales risque de déclencher une panique financière encore plus grave que celle de 2008.
Cette semaine, le Fonds monétaire international a réduit ses prévisions de croissance mondiale à seulement 3,1 pour cent pour 2015, le taux de croissance le plus faible depuis 2009. « Six ans après que l'économie mondiale a émergé de la récession la plus large et la plus profonde de l'après-guerre», a écrit le Conseiller économique du FMI, Maurice Obstfeld, « retourner à une expansion mondiale robuste et synchronisée reste un but insaisissable ».
C‘est là un euphémisme considérable. Dans les pays capitalistes les plus avancés, la croissance économique est stagnante, le chômage chronique est général, les salaires stagnent ou sont en baisse. La situation est encore pire dans les soi-disant « marchés émergents ».
Lawrence Summers, secrétaire au Trésor sous le président Clinton, a indiqué à quelle crise faisait face la classe dirigeante dans un commentaire du Washington Post jeudi. Sous le titre « Une économie mondiale en péril », Summers écrit que les dangers « sont plus sévères qu’à tout moment depuis la faillite de Lehman Brothers en 2008. » Il poursuit: « Le problème de la stagnation séculaire – l'incapacité du monde industriel de croître à des taux satisfaisants même avec des politiques monétaires très libérales – s’aggrave à la suite de problèmes dans la plupart des grands marchés émergents, à commencer par la Chine ».
L'économie mondiale était confrontée au « spectre d'un cercle vicieux mondial dans lequel la croissance lente des pays industrialisés met à mal les marchés émergents, ralentissant plus encore la croissance de l'Ouest », dit Summers, ajoutant: « Les pays industrialisés qui font à peine plus que la vitesse de décrochage peuvent difficilement se permettre un choc mondial négatif ».
La crise économique s'intensifie et elle est aggravée par la montée de crises géopolitiques et de conflits internationaux, provoqués surtout par la poursuite incessante de l'hégémonie mondiale par l'impérialisme américain. Depuis un quart de siècle, la classe dirigeante américaine a été engagée dans des guerres sans fin d’ampleur géographique croissante. Ces quinze dernières années, les interventions militaires ont été menées sous la bannière de la «guerre contre le terrorisme», le cadre idéologique utilisée par l'aristocratie financière américaine pour réorganiser, par le carnage et la violence, le Moyen-Orient et l'Asie centrale.
Un pays après l'autre a été visé par les Etats-Unis et leurs alliés pour changer ou subvertir son régime: l'Afghanistan, l'Irak, la Libye, la Syrie, le Yémen. Le carnage causé par ces guerres a conduit au quasi-effondrement des structures étatiques dans tout le Moyen-Orient et produit un flot de réfugiés désespérés auquel les classes dirigeantes de l'Europe réagissent par la violence et la répression.
Là aussi, la crise a atteint un point de basculement. Les guerres locales au Moyen-Orient mènent de plus en plus à des conflits directs entre grandes puissances. Il y a quelques jours, le président français François Hollande a déclaré que le conflit syrien risquait de sombrer dans « une guerre totale, qui pourra concerner aussi nos propres territoires », à savoir l’Europe.
La semaine dernière, la classe dirigeante russe a cherché à défendre ses intérêts en Syrie en soutenant plus ouvertement le gouvernement du président Bachar al-Assad, visé pour être renversé par les milices islamistes soutenues par les Etats-Unis. Les États-Unis et les pouvoirs de l'OTAN y ont réagi de façon extrêmement agressive.
Lors d'une réunion des ministres de la Défense de l'OTAN à Bruxelles jeudi, le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter a déclaré que les actions de la Russie « auraient des conséquences pour la Russie elle-même, qui craint à juste titre des attaques. Dans les jours qui viennent, les Russes vont commencer à subir des pertes », a-t-il averti, menaçant.
Alors même qu’ils intensifient leurs menaces contre la Russie, les États-Unis accélèrent leurs manoeuvres militaires en Asie. Selon les médias, les Etats-Unis prévoient dans deux semaines l’envoi de bâtiments de guerre dans des eaux territoriales revendiquées par la Chine. Ces actions provocatrices suivent la finalisation du Partenariat Trans-Pacifique, un accord commercial et d'investissement entre les États-Unis, le Japon et d'autres économies asiatiques, conclu avec l'objectif spécifique d'isoler la Chine et de contrer son influence dans la région.
Les États-Unis ne sont pas la seule puissance impérialiste faisant valoir ses intérêts sur la scène mondiale. Le Japon se remilitarise et développe son industrie de l'armement, pour l’instant avec les encouragements de l'administration Obama. L'Allemagne affirme une fois de plus sa prétention à l'hégémonie sur le continent européen et a des ambitions mondiales. L'impérialisme allemand, qui est entré en conflit avec les Etats-Unis dans les deux Guerres mondiales du XXe siècle, a ses propres intérêts en Syrie, en Iran, en Russie et en Chine.
A la crise économique et géopolitique, s’ajoute l'extrême crise de pouvoir de la bourgeoisie. Les vieilles institutions politiques que la classe dirigeante utilise depuis des décennies, se désagrègent ou sont en piteux état. Aux États-Unis, au milieu d'une campagne électorale dominée par les porte-parole de divers milliardaires, le système politique est de plus en plus dysfonctionnel.
L'un des principaux partis de la classe dirigeante, le Parti républicain, a été plongé dans le chaos après le retrait de Kevin McCarthy, l'actuel dirigeant de la majorité à la Chambre, de la course au poste de nouveau président de cette Chambre. Selon les informations des médias, les députés rassemblés pour sélectionner ce président – la deuxième personne dans la ligne de succession présidentielle – étaient en « état de choc total »; certains pleuraient sans retenue quand la réunion s’est dispersée.
Toutes ces crises sont des manifestations en surface de quelque chose de plus profond: la crise du système capitaliste mondial. Cette crise apporte avec elle le danger de guerre mondiale et d'une descente dans la barbarie. Elle crée en même temps la base objective pour le renversement du système capitaliste – la radicalisation de la classe ouvrière internationale.
Des décennies de guerre, l'intensification de la crise économique et les inégalités sociales croissantes ont produit d'immenses changements dans la conscience de milliards de travailleurs et de jeunes dans le monde. Ces processus souterrains commencent à apparaître en surface. Il y a partout une agitation et un désir de plus en plus grand de se battre.
Dans une période de crise, le caractère de classe de tendances politiques apparaît plus clairement. En Grèce, l'opposition à l'austérité a porté la Coalition de la gauche radicale (Syriza) au pouvoir au début de l'année. L'organisation a été proclamée par toutes sortes d'organisations pseudo-socialistes et pseudo de gauche comme l'espoir de l'avenir, une alternative à l'appauvrissement de la classe ouvrière et de la jeunesse grecque, dicté par les banques.
Dix mois plus tard, c’est le dirigeant de Syriza Alexis Tsipras qui mène la campagne pour imposer un nouveau cycle d'austérité soutenu par l'UE. « Nous devons nous serrer la ceinture », a-t-il déclaré cette semaine en présentant son nouveau budget, « pour oser mettre en œuvre les réformes dont le pays a besoin ». Depuis, l'ancien ministre des Finances de Syriza Yanis Varoufakis, qui se qualifie de « marxiste erratique », a fait connaître son admiration pour Margaret Thatcher.
Non seulement les représentants pseudo de gauche des sections les plus privilégiées de la classe moyenne ont été démasqués en Grèce comme les complices de l'austérité, ils ont aussi été les champions des opérations impérialistes au Moyen-Orient. En Syrie, des groupes et des publications telles que l'Organisation Internationale socialiste et International Viewpoint ont justifié sur la base des « droits de l'homme » la campagne de la CIA pour renverser le régime d'Assad en attisant une guerre civile sectaire catastrophique. Reprenant les appels des factions les plus farouchement militaristes de la classe dirigeante américaine, ils critiquent l'administration Obama pour ne pas agir assez vite ou assez agressivement pour évincer Assad.
Un réalignement politique commence à avoir lieu, apportant avec lui une conjonction croissante entre la perspective et le programme défendus par le Comité international de la Quatrième Internationale et la recrudescence des luttes de la classe ouvrière. Aux États-Unis, le WSWS a joué un rôle central dans un mouvement croissant de travailleurs de l'automobile qui luttent pour se débarrasser du poids mort des syndicats et emprunter une voie indépendante. Ceci est un premier signe d’une réorientation de la classe ouvrière à l'échelle mondiale.
La crise grandissante est un symptôme de l’état de désintégration avancé du capitalisme. La question fondamentale est celle-ci: laquelle se développera le plus rapidement de la marche de la classe dirigeante à la barbarie et à la guerre ou de la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière dans la révolution socialiste mondiale?
Pour que cette question trouve une réponse qui inaugure une nouvelle étape de l'avenir de l'humanité, il faut que se produise un développement de la conscience politique socialiste dans la classe ouvrière à travers la construction d’une direction révolutionnaire, c’est-à-dire la construction du Comité international de la Quatrième Internationale, parti mondial de la révolution socialiste.
( Article paru en anglais le 9 octobre 2015)