Le parti social-démocrate du Canada, le Nouveau Parti démocratique (NPD), a annoncé qu’il appuierait l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement minoritaire libéral ou d’une coalition menée par les libéraux après les élections fédérales de lundi prochain.
Le chef du NPD, Thomas Mulcair, a dit à plusieurs reprises que si aucun parti ne remportait une majorité parlementaire le 19 octobre, son parti serait prêt à former un gouvernement de coalition avec le parti de la grande entreprise qu’est le Parti libéral du Canada.
Cependant, dans sa plateforme électorale publiée vendredi dernier, le NPD est allé encore plus loi. Dans sa plateforme, le NPD s’engage officiellement à travailler «de concert avec d’autres partis fédéralistes, dans le cadre d’ententes informelles ou stables, pour mettre un terme à la décennie perdue de Stephen Harper».
Considérant que les libéraux dominent actuellement les sondages alors que le NPD est tombé loin derrière en troisième place, il s’agit d’un engagement à aider Justin Trudeau à devenir premier ministre, comme chef d’un gouvernement minoritaire ou d’une coalition NPD-libérale.
La référence aux «ententes informelles ou stables» s’applique autant à une coalition, dans laquelle le NPD détiendrait des portefeuilles ministériels dans un gouvernement dirigé par les libéraux, qu’à un «accord». Selon ce scénario, le NPD s’engagerait à soutenir un gouvernement libéral au parlement pendant une durée déterminée, sans doute comptée en années, en échange d’une promesse libérale à mettre en œuvre une série de mesures convenues.
Faisant une apparition au programme télévisé «Question Period» de la chaîne CTV, Mulcair a dit croire que la porte pour une coalition avec les libéraux demeure ouverte, même si Trudeau a dit à maintes reprises que bien qu’il est prêt à travailler avec le NPD au parlement, il ne souhaite pas se joindre à ce parti dans un gouvernement de coalition. Quoi qu’il en soit, a insisté Mulcair, la priorité numéro un du NPD est de chasser Harper et ses conservateurs du pouvoir.
Un gouvernement dirigé par les libéraux, peu importe sa composition, serait un instrument de la grande entreprise pour intensifier l’assaut contre la classe ouvrière. Il utiliserait un discours «progressiste» afin de mieux aller de l’avant avec le programme d’austérité et d’agression impérialiste de la classe dirigeante.
La dernière fois qu’ils ont été au pouvoir au niveau fédéral, les libéraux ont imposé les plus importantes coupes sociales de l’histoire canadienne, sabrant des dizaines de milliards de dollars dans les soins de santé, l’éducation post-secondaire et l’aide sociale, puis réduisant radicalement l’accès à l’assurance-emploi. Le gouvernement Chrétien-Martin a ensuite mis en œuvre des réductions d’impôt massives sur les revenus personnels, ainsi que sur les revenus d’entreprise et les gains en capital dans le but d’augmenter les profits et les revenus des sociétés, des riches et des super-riches.
En alignant la politique étrangère canadienne sur l'offensive militaire et stratégique de Washington contre la Russie, la Chine et au Moyen-Orient, Harper et ses conservateurs n’ont fait que poursuivre la voie tracée par ses prédécesseurs libéraux. Sous le gouvernement Chrétien-Martin, l’armée a joué un rôle dirigeant dans la guerre de 1999 contre la Yougoslavie, l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan, et le changement de régime orchestré par les États-Unis en Haïti en 2004 pour renverser le président élu Jean-Bertrand Aristide. De plus, c’est sous les libéraux qu’Ottawa a lancé un programme de réarmement ayant augmenté les dépenses militaires à tel point qu'elles étaient en 2011, en termes réels, à leur plus haut niveau depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Le Parti libéral, le parti préféré de la grande entreprise pour la plupart du 20me siècle, a entamé la campagne électorale au troisième rang. Il a toutefois été catapulté au premier rang, du moins selon les sondages, sur la base d’appels extrêmement limités et hypocrites visant à exploiter la colère populaire envers l’inégalité sociale et l’insécurité économique. Les libéraux promettent une réduction d’impôt à la classe moyenne qui serait financée par une hausse d’impôt modeste sur le 1 pour cent le plus riche (les Canadiens gagnant plus de 200.000 dollars par année), et s'engagent à stimuler la croissance économique par un programme d’infrastructure financé par trois années de déficit budgétaire.
Le NPD, de son côté, a monté une campagne visant à convaincre la grande entreprise que les sociaux-démocrates défendront ses intérêts au pays et à l’étranger aussi implacablement que Harper et ses conservateurs. Mulcair a attaqué à maintes reprises les libéraux de la droite. Il leur a reproché de vouloir abandonner l’achat d’avions de chasse F-35 et de défendre un plan de déficit budgétaire, qu’il a qualifié de «fiscalement irresponsable». De plus, le chef du NPD persiste que les Canadiens les plus riches paient déjà leur «juste part». Et cela même si leur part du revenu et de la richesse nationale a fortement augmenté pendant les trois dernières décennies en raison de la croissance spectaculaire des revenus combiné à des baisses massives d’impôt.
Cherchant à donner une apparence de principe à la volonté du NPD d'appuyer la formation d'un gouvernement libéral pro-patronal, Mulcair a déclaré qu'il n'aura «rien à voir avec Stephen Harper», étant donné son recours à une «politique raciale très dangereuse» – une référence à l'attisement de sentiments anti-musulmans par les Conservateurs par leur campagne anti-niqab.
Cependant, les Libéraux sont eux-mêmes entièrement complices des attaques sur les droits démocratiques des Canadiens et de la promotion de la réaction sociale. Ils ont aidé à légitimer et voté en faveur du draconien projet de Loi C-51 des Conservateurs, qui a grandement renforcé les pouvoirs arbitraires de l'appareil de sécurité nationale, y compris en donnant au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) le droit de violer toutes lois dans le cadre d'opérations pour perturber de soi-disant menaces à la sécurité nationale et économique du Canada.
De plus, les alliés politiques les plus proches de Trudeau au Québec se trouvent dans le gouvernement libéral provincial de droite de Philippe Couillard. Le gouvernement Couillard a déposé le projet de loi 62, qui va beaucoup plus loin que l'actuelle interdiction du niqab par Harper et qui stipule que les femmes qui portent un voile religieux qui recouvre leur visage ne devraient pas avoir accès aux services publics, y compris la santé et l'éducation.
Les sociaux-démocrates et les syndicats, qui ont joué un rôle clé dans la formation du NPD en 1961 et qui demeurent ses fidèles alliés, sont depuis longtemps orientés vers la collaboration avec les Libéraux.
Dans un contexte où tant les syndicats que le NPD ont fortement évolué vers la droite, en facilitant ou en imposant des coupes dans les salaires et les emplois, ainsi que le démantèlement des services sociaux qu'ils présentaient auparavant comme la preuve qu'on pouvait «humaniser» le capitalisme, le NPD et les Libéraux sont devenus des alliés encore plus proches.
En décembre 2008, le NPD a accepté de prendre part à un gouvernement de coalition mené par les Libéraux et voué à la poursuite de la guerre en Afghanistan jusqu'en 2011 et à la «responsabilité fiscale» par l'application du plan libéral-conservateur de réduire les impôts des entreprises de $50 milliards sur cinq ans. L'entente de coalition s'est écroulée après qu'Harper, bénéficiant du vaste soutien de la classe dirigeante canadienne, ait utilisé le gouverneur général, qui n'est pas élu, pour fermer le Parlement et ainsi empêcher les partis de l'opposition d'exercer leur droit constitutionnel de renverser le gouvernement.
Les négociations entourant la coalition de 2008 ont été parrainées par Chrétien et l'ancien chef du NPD et «vétéran de la politique», Ed Broadbent. Dans les années subséquentes, Chrétien et Broadbent ont aidé à organiser des discussions de coulisses autour d'une possible fusion entre les Libéraux et le NPD.
Les syndicats sont à l'origine d'une autre campagne «n'importe qui sauf les Conservateurs» dans le cadre de la présente élection. Cette campagne s'inspire en particulier de celle pour «stopper Hudak» que les syndicats ont organisée en Ontario dans le but d'empêcher Tim Hudak et son Parti conservateur de prendre le pouvoir dans la province canadienne qui compte le plus d'habitants. Les syndicats ont «stoppé Hudak» à l'aide du NPD qui a maintenu au pouvoir un gouvernement libéral minoritaire, lequel a imposé de vastes coupes sociales et criminalisé les grèves des enseignants. Ensuite, lorsque de nouvelles élections ont été lancées, les syndicats, par le biais du «vote stratégique», ont fait campagne pour la réélection des Libéraux.
Après avoir gagné une majorité grâce à l'appui des syndicats, les Libéraux de l'Ontario ont mis de l'avant leur programme d'austérité, en imposant un gel de salaire de deux ans dans le secteur public et en liquidant la part majoritaire d'Hydro One, la plus grande privatisation au Canada depuis des décennies. La première ministre de l'Ontario, Kathleen Wynne, était régulièrement présente lors des rassemblements de la campagne de Trudeau et plusieurs des plus proches conseillers de Trudeau sont des architectes clés du gouvernement libéral soi-disant «progressiste» de l'Ontario.
Au cours des dernières semaines, comme en attestent des reportages favorables à Trudeau dans les médias et son endossement par La Presse, le quotidien le plus influent au Québec, des sections importantes de la classe dirigeante se sont ralliées aux libéraux. Elles craignent que la politique de la peur et de la xénophobie des Conservateurs ne favorise une montée de la colère populaire qui pourrait déclencher une opposition à l'austérité et à la guerre parmi la classe ouvrière. Comme un sondeur l'a fait remarqué: «Les Canadiens seront furieux si Stephen Harper gagne une autre majorité.»
Ces sections de la bourgeoisie calculent qu'un nouveau gouvernement sera mieux placé pour imposer l'austérité et la guerre en leur redonnant un vernis progressiste. Cela veut dire, entre autres, d'utiliser plus systématiquement les syndicats comme des partenaires pour supprimer la lutte des classes et stimuler les profits des entreprises.
Après tout, les Libéraux ont historiquement utilisé des partis ouvertement de droite comme un épouvantail pour ensuite appliquer leur politique une fois au pouvoir. Pour ne citer qu'un exemple: en 1993, Chrétien a dénoncé les Conservateurs pour leur «obsession» à vouloir éliminer le déficit budgétaire et a plutôt promis «des emplois, des emplois et des emplois». Son gouvernement a ensuite imposé les plus grandes coupes dans les dépenses sociales de l'histoire canadienne, tout en reniant sa promesse de renégocier l'Accord de libre-échange nord-américain et d'abolir la Taxe sur les produits et les services (TPS), une taxe régressive.